Après une double barrière de sécurité (on vous demande qui vous a invité. Sur mon invitation, on vérifie si j’ai bien une mystérieuse pastille jaune), vous arrivez dans la cour des Beaux-Arts. Là, des comédiens habillés en guides loufoques vous interpellent avec un accent bruxellois et vous dirigent vers l’entrée. Un huissier de pacotille me demande mon nom et crie à la cantonade : « Le baron Panasonic et ses deux épouses ». Les deux dames qui se trouvaient par hasard derrière moi s’offusquent.
Le tout-Paris réduit à la taille d’une souris
Plusieurs mondes se croisent sans se connaître. Une vraie curiosité. Le monde politique : Le ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon (le crieur a dû annoncer le ministre Harpagon), le Maire de Paris, Bertrand Delanoë,… Le monde de la télé, bien sûr : Ruquier et sa bande, Michel Drucker, Pierre Tchernia, Bruno Mazure… Le monde des affaires : Michel-Edouard Leclerc, le PDG de Renault Louis Schweitzer, le président des Mutuelles du Mans Assurances, Jacques Le Normand… Le monde du cinéma : Pierre Arditti, Evelyne Bouix, le réalisateur Patrice Leconte… Le monde de la BD : François Schuiten, Moëbius accompagné de Jean Giraud, Benoît Sokal, Fred,… Tiens, il n’y a pas Beigbeder ? Il est has-been, celui-là. Geluck navigue, à l’aise, parmi eux. Sa main droite est dans un pansement : « C’est le seul accident du chantier. J’ai reçu un panneau sur ma main ce matin, à cinq heures. » C’est peut-être vrai, mais on suppute le gag : prévoyant le millier de serrements de main qui l’attendait, peut-être a-t-il trouvé cette parade pour éviter les poignes à la Valhardi. Tout ce beau linge découvre l’expo, ludique, surprenante et drôle, mais surtout gigantesque. Devant les fresques de plusieurs mètres de haut, un crayon de 27 mètres de long dans lequel la foule s’engouffre, des pots d’encre et de peinture de huit mètres de haut, le spectateur est réduit à l’état de souris.
Geluck, Chevalier des Arts et des Lettres
Soudain une rumeur, des applaudissements. Qu’est-ce qui se passe ? La personne qui me précède répond : « C’est Jean-Jacques Aillagon qui remet à Geluck la croix de Chevalier des Arts et des Lettres ». Effectivement, le voilà qui arbore sa décoration, tout sourire, comme un gamin paradant avec son nouveau déguisement.
On continue de regarder l’expo. Jean-François Derek a l’air comme fasciné par le mur d’écrans de télés représentant Le Chat. Peut-être attend-t-il la séquence où l’armée belge dessine le facétieux félin ? Dans le « grenier », les statuettes parodiques de Juan d’Oultremont font sensation. La machine à fabriquer des offres d’emploi intrigue. Ceux qui ont compris le principe attendent sagement que l’on fabrique le collector qu’ils pourront emmener. La salle des Vénus de Milo surprend le journaliste et musicien belge Marc Moulin. Les bras lui en tombent. Le chanteur québécois Robert Charlebois s’esclaffe devant les gags accrochés aux cimaises. L’expo séduit, c’est sûr.
Un évènement d’exception.
« Hergé n’a jamais reçu un tel hommage » nous dit le sémiologue et critique Pierre Fresnault-Desruelle, auteur d’un des textes du catalogue. C’est vrai, avec un budget d’un million d’euros, financés principalement par MMA, les ministères français et belges de la culture, et la Mairie de Paris, l’expo a demandé six semi-remorques pour être amenée de Court-Saint-Etienne en Belgique jusqu’à Paris. Certes, elle va voyager (de Bruxelles à Clermont-Ferrand, notamment) mais il est avéré qu’aucun auteur de BD n’a jamais reçu en francophonie une telle reconnaissance. « Pour ce qui ne sont finalement que des gamineries, souligne Geluck », toujours soucieux de mesurer ces fastes à l’aune du dérisoire.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Il faut absolument jeter un coup d’oeil sur la catalogue de l’expo. Il s’y trouve notamment une très bonne interview de Geluck par le brillant Pierre Sterckx.
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Pour en savoir plus sur l’expo : Le Site de Philippe Geluck
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