Tout ceci commence bien bizarrement. Un pape - mais un pape génétique - demande une audience à un enfant à qui vient d’échoir un règne établi sur le monde entier. C’est l’heure de la passation de pouvoir et le pape est là pour enseigner au jeune et nouvel empereur "l’Histoire Occulte", celle d’un "Ancien Futur".
Le récit enchâssé nous entraîne donc en 2053. La chrétienté voit son influence réduite comme peau de chagrin sous la poussée de l’Islam en Europe. Mais, dans le même temps, le Vatican a entamé des recherches de pointe qui débouchent sur la possibilité d’un voyage dans le temps. Après quelques hésitations, une décision est prise : des croyants, militaires chevronnés, seront envoyé en 312 après Jésus-Christ afin de remodeler l’Histoire. Bien évidemment, tout cela va soigneusement déraper.
Jonathan Hickman livre là un récit sans concession. La narration évite scrupuleusement toute action (au sens de « scène d’action ») ou presque, et ne cède à aucune facilité. L’intrigue revêt essentiellement la forme du dialogue, jusqu’à parfois se muer en simple compte-rendu de conversations enregistrées.
Ainsi se trouvent mis en scène des héros dépassés par leur entreprise, sombrant dans l’ubris la plus complète, tout en demeurant, pourtant, tragiquement humains. Là, tout n’est qu’affaire de choix éthiques envisagés à l’échelle des civilisations, de leur durée, du développement de l’Humanité.
Il ne s’agit pas tant d’une fresque, puisque peu d’années sont en fin de compte narrées (le reste de la chronologique apparaît comme une vaste frise historique dont les figures sont laissées à la libre imagination du lecteur), que d’une réflexion sur les sociétés et systèmes politiques, ce qui les engendre et ce qui les détruit, et sur la place de la religion - et des religions - dans cet ensemble.
Graphiquement, Hickman offre des planches dominées par le blanc ou de grands fonds colorés, dégradés et mouchetés, sur lesquels des contours de visages, de corps, par leurs pleins d’ombre et leurs creux de lumière, se découpent et dessinent le mouvement de l’Histoire.
Radical à tout point de vue, Pax Romana se présente comme une œuvre stupéfiante, exigeante, déroutante et haletante à la fois, comme une expérience tour à tour sidérante et exaltante. De manière très enthousiaste, la romancière et comédienne américaine Blair Butler compare Jonathan Hickman aux géants que sont Warren Ellis, Frank Miller et Alan Moore. Après la lecture de Pax Romana, on est tenté de la croire...
(par Aurélien Pigeat)
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