Pécau, Kordey & O’Grady, le trio de choc de "L’Histoire secrète" se relance avec "Les 30 Deniers"

Lorsque Delcourt annonce une nouvelle série de quatre tomes historico-fantastico-politiques publiés en huit mois, c’est presque sans surprise qu’on découvre qu’elle est signée par Pécau, Kordey & O’Grady. Les trois hommes ont une expérience commune de près de trente albums, mais il ne faut pas oublier que leur collaboration a débuté il y a moins de dix ans.

L’Histoire secrète : le mastodonte avènement

Lorsqu’on évoque L’Histoire secrète, l’imposante masse des trente-deux albums s’impose à l’esprit. Rappelons-nous que lorsque la série a débuté, il était "seulement" question de sept tomes, dans le but de renforcer le rapprochement inéluctable entre la série Arcanes et son spin-off Arcane majeur.

Pour réaliser l’exploit de publier les sept tomes en moins d’un an, Il fallait une base forte au collectif de dessinateurs, et Delcourt décida de confier les deux premiers et deux derniers tomes à Igor Kordey. Le Croate qui avait déjà publié quelques albums en France, produisait alors principalement pour les États-Unis (entre autres chez DC Comics et Dark Horse). Et c’est en publiant Smoke en 2005 que Delcourt l’a repéré et lui a proposé d’entamer une collaboration sur L’Histoire secrète.

Quelle forme revêt l’Apocalypse "attendue" depuis 31 tomes ?

Ce retour en Europe ne s’est pas cantonné à ce projet, car outre la traduction de Smoke chez Delcourt, on lui doit aussi Le Coeur des batailles et Taras Boulba avec Morvan (et Frédérique Voulizé). Mais si un déclic devait se produire réellement, c’est bien avec le scénariste Jean-Pierre Pécau que les affinités vont se créer. Artistiquement et thématiquement, mais aussi parce que les deux hommes partagent cet appétit de production, cette envie de raconter des histoires au lecteur.

Alors que L’Histoire secrète se prolongea bien au-delà des sept premiers albums, et que Kordey en devint le dessinateur attitré, il continua de dessiner d’autres récits de J-P Pécau. On a pu ainsi découvrir la trilogie Empire qui répond aux envies uchroniques du scénariste, et Keltos, une chevauchée "barbare" qui mêle légendes et Histoire, chères à Kordey.

2008 : le trio entame sa collaboration

Dans le même temps, Len O’Grady succède à Carole Beau et Chris Chuckry pour la mise en couleur des planches de Kordey. Dès le douzième tome de L’Histoire secrète, la jonction se fait entre le dessinateur et le coloriste. Bien entendu, l’ensemble peut parfois déconcerter : l’appui photographique est de temps en temps indéniable, certains expressions faciales sont presque caricaturales, et l’utilisation d’aplats noirs tranche parfois avec certaines planches plus aérées.

De L’Histoire secrète aux 30 Deniers, il n’y a qu’un pas !

Une série qui n’a pas cessé de surprendre

Faut-il voir dans ce traitement une influence du comics ou une volonté d’aller à l’essentiel pour coller au rythme de l’histoire, quitte à parfois utiliser quelques artifices ? Quoiqu’il en soit, le style s’impose, alliant l’efficacité à la rapidité, le lecteur pouvant suivre sa ou ses séries, univers riches en matière, sans attendre trop longtemps entre les tomes. C’est ainsi que le trio livra fin 2013 la conclusion de L’Histoire secrète. Nous avons déjà traité en détails de ce développement.

Les 71 pages de ce dernier tome ne décevront pas ceux qui font confiance aux auteurs depuis le début. Les protagonistes des différentes séries se sont rejoints dans une Apocalypse (c’est le titre) à la hauteur de nos attentes, et c’est presque avec regret que le rideau est tombe sur ce qui reste comme l’une des plus imposantes aventures de la bande dessinée contemporaine francophone, par sa taille, son angle d’attaque et son rythme de parution.

Jour J s’attaque à Jésus

Et c’est presque simultanément que les mêmes auteurs, aidés entre autres par Fred Duval, publient un autre récit tout aussi subversif. Moins géopolitique que la série précédente. Mais dans cette période où les religions sont un sujet très sensible, il fallait oser s’attaquer à Jésus !

Bien entendu, Le Casse avait déjà abordé ce sujet précédemment, sans oublier Le Triangle secret et les autres séries qui découlèrent de cet engouement populaire. Mais Pécau, Duval, Kordey, O’Grady et consorts ont franchi plus d’une limite en proposant cette uchronie dans la veine de Jour J !

Jugez plutôt : alors que Jésus est arrêté et qu’il passe devant Ponce Pilate, le bouleversement de l’Histoire se déroule lorsque que la foule demande la crucifixion de Barabas. Débarrassé de cette image de sacrifié, Jésus devient alors le leader d’un mouvement terroriste prêt à tout pour chasser les Romains, quitte à envoyer des fidèles s’immoler par le feu pour entraîner de hauts dignitaires dans leur voyage sans retour.

Par ce traitement, les auteurs illustrent autant la vie antique que certaines pratiques terroristes encore bien actuelles. Si l’on n’est pas choqué par ce détournement du discours religieux, La Secte de Nazareth se révèle incontournable pour revenir sur les épisodes "bien connus" de la Passion du Christ et du mouvement chrétien qui en découla, marqués par les agissements de certains fanatiques.

Les 30 Deniers : une recette gagnante

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que l’on découvre la nouvelle série attendue de Pécau, Kordey et O’Grady : Les 30 Deniers. Retiré des services spéciaux mais toujours vigilant et en pleine forme, Yann Gral exerce le métier d’enseignant tout en élevant seul sa fille. Il apprend qu’elle souffre d’une maladie incurable et se tourne alors vers les thérapies alternatives. Comprenez : un remède miraculeux. Sa recherche va l’emmener vers une étrange magnétiseuse qui prétend guérir la petite Laureline. Yann va vite s’apercevoir que cette femme possède une sorte de talisman, appelé "talent" par un certain nombre de personnages qui surveillent ses actes dans l’ombre. Désormais, Yann Gral devient lui aussi une cible...

À grand renfort de changements de lieux, qui nous amènent de Jérusalem à Paris, dans l’ambiance tendue de 1982, puis de nos jours, Pécau reprend un classique qui fonctionne toujours dans le polar : le dur à cuire retiré des affaires qui dégaine à nouveau son flingue pour sauver les siens. Avec le trait très dur, connoté comics hard-boiled, de Igor Kordey, la série s’annonce comme une course-poursuite haletante. Les Méchants sont ambigus et malins, la police en pilotage automatique, et le danger surgit à chaque page. En prime, on visite plusieurs quartiers de Paris, exercice qu’affectionne particulièrement le scénariste.

Les amateurs de L’Histoire secrète se sentiront directement en terrain connu : on y parle de personnages haut en couleurs, peut-être immortels, en tout cas qui ont le bras très long et peuvent influencer les gouvernements et services secrets des grandes puissances. Cette entrée en matière replace donc le fantastique et le mystique au cœur d’une série également dominée par la géopolitique et l’action.

Le rythme de parution mérite une mention : tome 2 dès juin 2014, les deux suivants à 3 mois d’intervalle ! Une fois de plus, les futurs accros n’ont pas à craindre le manque. Dans une période où les séries de bande dessinée souffrent de la concurrence et du rythme effréné des séries TV, et où les one-shots semblent parfois l’unique réponse offerte pour capter l’attention du lecteur-zappeur, la maîtrise et la rapidité de ces trois auteurs permettent de présenter un autre offre... Décidément bien séduisante !