Judd Winick s’est fait un nom dans la BD américaine : après des albums personnels souvent humoristiques qu’il a écrits et dessinés et qui restent inédits en France, il scénarise maintenant de nombreuses séries chez Marvel ou DC. Mais en 1993, il n’était qu’un jeune illustrateur de 23 ans rêvant de percer dans le comic strip, sans grand succès. Il décide de postuler à The Real World, une émission de télé-réalité de MTV pour laquelle sept étrangers vivent dans une maison et sont filmés 24h/24 pendant six mois. À sa grande surprise, sa candidature est retenue, et il fait connaissance des autres personnes. Parmi elles, deux vont prendre une grande importance dans sa vie : Pam Ling, qui deviendra sa compagne, et Pedro Zamora, un jeune exilé cubain avec qui il se liera d’amitié.
Pedro & moi est un album paru aux États-Unis en 2000, dans lequel Winick rend hommage à Zamora, mort du sida à l’âge de 22 ans, après avoir été contaminé à 17 ans. Déjà avant sa participation à The Real World, celui-ci menait des actions de prévention sur le SIDA, et la célébrité que lui apporta l’émission lui permit de faire encore un peu plus entendre sa voix.
Winick a réussi l’exploit (n’ayons pas peur des mots) de ne jamais tomber dans le mélodrame, et de ne jamais faire éprouver au lecteur une impression de voyeurisme. Il a trouvé un équilibre remarquable entre une franchise sans faille dans sa peinture de la déchéance physique de son ami, et le message de vie qui traverse le livre et semble bien être également celui que voulait faire passer Zamora. On rit souvent en lisant ce livre, et Winick a un réel talent pour faire ressentir l’importance des relations humaines, y compris (et peut-être surtout) dans les moments les plus dramatiques. L’amour naissant entre Winick et Ling, celui entre Zamora et son petit ami, l’amitié profonde entre toutes ces personnes, tout cela est aussi important dans cet album que la place grandissante prise par la maladie de Zamora.
Le dessin de Winick est lui aussi riche et sa narration très fluide, avec un découpage solide et varié. Il s’agit typiquement d’un album que des gens qui ne lisent pas de BD n’auront aucun problème à aborder. La façon dont Winick dessine les visages doit plus à un style venu des strips que des comics, et pourra dérouter certains lecteurs par la déformation qu’il utilise pour représenter les émotions. Mais Winick reste cohérent d’un bout à l’autre de l’album - il faut aussi dire qu’il s’agit de sa première œuvre étendue, et pour l’instant de sa plus sérieuse.
Les BD qui abordent le thème du SIDA sont assez rares, même si on peut penser à l’excellent Pilules bleues de Frederik Peeters. Pedro & moi serait donc déjà un album important de par sa thématique [1]. La chaleur humaine qui s’en dégage en fait un album essentiel.
(par François Peneaud)
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[1] Et puis, l’éditeur reverse un euro par album vendu au sidaction. Cela, plus la volonté affichée de s’assurer de la justesse du message de prévention que transmet l’album, montre le sérieux de çà et là.
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