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Peggy Adam : "Le fantastique a toujours été présent dans mes récits."

Par Yohan Radomski le 20 octobre 2012                      Lien  
Habituée à peindre un quotidien mêlé de fantastique, Peggy Adam réalise avec {La Gröcha} (Éditions Atrabile), son album le plus noir. Rencontre avec une auteure à l'univers très personnel.

La Gröcha est un récit angoissant, plus noir que vos œuvres précédentes, la comédie de mœurs Plus ou moins... et même Luchadoras, qui laissait poindre de l’humour et de l’espoir. Pourquoi être allée vers ce récit ?

Depuis la naissance de ma fille, je me pose la question : quel monde vais-je lui laisser en héritage ? Et je dois bien l’avouer, quand je fais le bilan des restes de la planète, ce n’est pas glorieux. Je suis assez pessimiste, oui.

Pourtant je vis en Suisse, dans un pays préservé de toute guerre, sans violence (ou très peu) où le nucléaire est freiné, où le social est mis en avant. La chance d’y vivre ne m’empêche pas d’être réaliste envers l’état du monde.

Peggy Adam : "Le fantastique a toujours été présent dans mes récits."
La Gröcha
(C) Peggy Adam & Atrabile

On pourrait rattacher votre récit aux genres science-fiction, fantastique, voire horreur... Vous intéressez-vous à la littérature de genre ? Et à son pervertissement ?

Pas en ce qui concerne la littérature, à quelques exceptions près (l’un de mes livres préférés est quand même Nostalgie de la magie noire de Ravalec). J’apprécie en effet le cinéma fantastique, la SF et même l’horrifique, mais il est difficile, je trouve, pour une femme, de s’identifier aux personnages essentiellement masculins de ce genre de films. Une de mes émissions radio préférées est "Mauvais genre" animée par François Angelier sur France culture, qui parle beaucoup de fantastique, SF, d’ horreur et de série B.

Le fantastique a toujours été présent dans mes récits : sous la forme de rêves ou d’hallucinations. Dans Plus ou moins l’automne, il y a quand même une horde de femmes zombies qui se venge de leurs bourreaux ! J’avais commencé, quand j’habitais Angoulême, une série de récits courts basés sur mes rêves : Arara, qui prendra bientôt la forme d’un long récit. Là aussi le fantastique est, quelque part, issu d’un fait existant.

D’où viennent vos personnages ? Cherchez-vous à leur construire une personnalité d’emblée ?

Physiquement, ils me viennent de croquis que je réalise ou de personnes que je rencontre. Leur personnalité, je la découvre au fur et à mesure que l’histoire avance dans ma tête. Puis quand je couche quelques idées sur le papier, ils s’affirment.

Ainsi je voulais que Marc soit plutôt comme un gros ours, renfrogné et bougon, pas très bavard. Emma, je la devinais un poil hystérique, mais lâche. Elle s’est révélée plus manipulatrice que je ne le pensais !

La Gröcha
(C) Peggy Adam & Atrabile

Est-ce que les personnages vous échappent et vous amènent dans des directions non prévues au départ ?

Souvent. Sauf dans Luchadoras, je savais où j’allais. En général, je construis une histoire sans vraiment en connaître la fin. Je connais les lignes directrices, je sais ce que je veux raconter, mais rien n’est abouti avant la page ultime.

On croise des personnages de la série Plus ou moins... dans Luchadoras. Est-ce important de créer des liens entre vos différents récits ?

Entre Luchadoras et Plus ou moins , j’ai effectivement créé un lien entre les personnages : les parents de Josie et Sylvie (Plus ou moins) sont Alma et Jean (Luchadoras). La Gröcha n’a pas été pensé vis à vis de mes autres livres. Mais il se peut bien que l’un des personnages trouve une place dans un prochain album !

Quel est votre processus de création ? Travaillez-vous le scénario d’un bout à l’autre avant de vous attaquer à la phase du dessin ?

Non, c’est même plutôt l’inverse : souvent le scénario découle d’un dessin que j’ai réalisé et qui me donne envie d’aller au-delà.

Ancrer un récit dans la réalité est-il important ?

Pour La Gröcha, ou Luchadoras, j’ai voulu effectivement les ancrer dans la réalité. Car ces deux histoires partent de faits réels : les femmes continuent de se faire assassiner à Juarez, et les humains comme ceux de La Gröcha continuent de s’autodétruire.

Maintenant il faut savoir de quelle réalité on parle : la mienne est sans doute biaisée par mon propre regard. La fiction me paraît le médium idéal pour parler de sujets réels lourds. La réalité a toujours une répercussion sur mes livres, mais la fiction est, pour moi, le meilleur moyen d’en parler.

Luchadoras
(C) Peggy Adam & Atrabile

Qu’est-ce qu’un bon dessin en bande dessinée ?

Sans doute un dessin qui fait naître un sentiment chez celui qui le regarde.

Avez-vous le sentiment d’avoir désormais acquis une grammaire narrative qui vous permet de raconter tout ce que vous désirez ?

Houlala non ! comme je ne sais jamais vraiment où je vais, je jongle avec les pages. La façon dont je crée mes histoires est à l’image de ma vie : un peu désordonnée, mais dans l’ensemble, j’avance et progresse un peu plus chaque jour (du moins je l’espère !).

La dernière image de La Gröcha est inspirée d’une peinture de l’artiste d’origine chinoise Gao Xingjian. Vous intéressez-vous à la peinture, à la bande dessinée chinoise ?

Je n’ai hélas encore pas eu l’occasion de voir le magnifique travail de Gao Xingjian en vrai. Si une exposition de ses lavis passe par ici, je cours la voir ! Idem pour le travail photographique de Li Wei, absolument hallucinant (qui me rappelle celui du français Philippe Ramette).

Quand j’étais enfant, je lisais tout ce que je pouvais trouver sur la Chine ancienne. J’étais surtout fascinée par les représentations de chevaux aux cous imposants et à la crinière toujours bien taillée. En bande dessinée je connais surtout le travail de Chihoi par le biais des éditions Atrabile. Il avait exposé il y a deux ans au Festival Fumetto de Lucern (en Suisse) : de superbes planches au crayon.

On passe souvent d’une culture à une autre, d’un pays à un autre dans vos récits. Pourquoi ce cosmopolitisme ?

Je suis curieuse de nature, j’ai la conviction que toutes les cultures sont liées les unes aux autres, que ce soit au niveau linguistique, traditionnel, culinaire, social. On retrouve toujours chez l’autre quelque chose de notre propre culture.

Plus ou moins... l’automne
(C) Peggy Adam & Atrabile

Vos albums sont-ils traduits à l’étranger ?

Oui : en anglais, en espagnol, en italien pour Luchadoras.

Quels sont vos autres projets ?

j’ai dans mes tiroirs l’équivalent d’une vie de projets. À part Arara, je suis en train de travailler sur une BD dont le héros, Chuntian, pratique la peinture sur soie. Eh oui, cela se passe en Chine ! Dans la région de Qufu, le pays natal de Confucius. Chuntian fait une sorte de pèlerinage jusqu’à la maison de son maître à penser. Mais Chuntian est "l’idiot qui regarde le doigt" quand on lui montre la lune. Aussi, je ne suis pas certaine qu’il arrive jusqu’à Qufu.

Avez-vous songé à écrire pour d’autres dessinateurs ?

Oui, j’avais écrit le scénario de La Gröcha pour un dessinateur, mais comme au final cela ne s’est pas fait, c’est moi qui m’en suis chargé. Je suis en ce moment sur un projet d’album avec un autre ami dessinateur avec qui je co-écris et co-dessine, mais cela n’en est qu’aux premiers balbutiements.

Quel est l’album qui vous a marqué dans votre jeunesse, que vous avez sans cesse lu et relu ?

Les albums des aventures de Sibylline, de Raymond Macherot. J’adore cette petite souris énervée et tyrannique, quasi insupportable, mais en même temps courageuse et aimante. Les personnages de Macherot ont des personnalités assez complexes, en cela son travail m’a sans doute influencée pour construire mes propres personnages.

La Gröcha
(C) Peggy Adam & Atrabile

(par Yohan Radomski)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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