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Philippe Bercovici ("Les Femmes en blanc") : « Je lisais Le Canard enchaîné, bien avant Spirou »

Par Nicolas Anspach le 25 mai 2011                      Lien  
{{Philippe Bercovici}} est connu pour son trait humoristique fluide et instinctif. Avec {{Raoul Cauvin}}, il a signé 33 albums des {Femmes en Blanc} depuis 1981. Aujourd’hui encore, chaque nouvel titre de cette série est tiré à plus de 40.000 exemplaires. Le public n’a jamais abandonné cette amusante parodie du monde hospitalier. Bercovici s’est par ailleurs récemment renouvelé dans un registre plus politique, alliant enquête et humour.

Philippe Bercovici ("Les Femmes en blanc") : « Je lisais Le Canard enchaîné, bien avant Spirou »

Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Raoul Cauvin ?

Je l’ai rencontré au Salon du livre de Nice en mai 1976. J’avais alors 13 ans. A cette époque ce salon était le plus important de France. Le salon du livre de Paris n’avait pas la même renommée qu’aujourd’hui. Dupuis avait envoyé une grande délégation d’auteurs. Mes parents m’y ont emmené. Je dessinais beaucoup et mon obstination les inquiétait. Ils voulaient s’assurer que j’avais le potentiel nécessaire pour percer dans ce métier. Je me souviens avoir eu un excellent contact avec Fred et avec quelques autres auteurs.

Puis, j’ai atterri chez Dupuis où j’ai été accueilli d’une façon un peu moqueuse lorsque j’ai sorti un ensemble de dessins boiteux. Raoul Cauvin a gentiment discuté avec moi et m’a proposé de lui envoyer régulièrement mes dessins. Je lui ai posté quelques lettres et il me répondait par des encouragements. Il y a eu bientôt une rubrique intitulée « Carte Blanche », destinée aux amateurs dans le journal de Spirou. J’y ai publié les premières planches des Grandes Amours contrariées scénarisé par Raoul. Un album est paru en 1982. Je me souviens encore de la fin des années 1970, où l’on pouvait percer relativement facilement. Je me rends compte aujourd’hui que c’était un âge d’or !

Les planches des Grandes Amours contrariées sont parues entre 1979 et 1981. Pensez-vous qu’il soit encore possible d’être accueilli aussi jeune dans une rédaction ?

Je ne pense pas être le seul à avoir été publié si tôt. Mais je ne crois pas que cela soit un problème d’âge. Au contraire, les jeunes dessinent de mieux en mieux. Lorsque je regarde les planches faites par des personnes d’une vingtaine d’années, je suis généralement stupéfait par la maturité de leur trait. À quinze ans, ils devaient déjà avoir un bon niveau. Après, il y aussi une question d’énergie et de temps à consacrer au dessin pour progresser.

Dupuis publie six hors-séries totalement inédits des "Femmes en blanc"

En mars 1981 paraît dans le journal de Spirou le premier gag des Femmes en blanc. Raoul Cauvin nous expliquait avoir eu l’idée de cette thématique après un séjour à l’hôpital…

J’ai directement perçu qu’il y avait-là un énorme potentiel de gags et de situations humoristiques. Le thème n’avait pas été exploité en bande dessinée. Je me souviens juste d’un recueil de dessins de Claude Serre, Humour noir et hommes en blanc (Glénat), qui avait marqué les années 1970. On a senti que l’on tenait quelque chose quand on a proposé l’idée à Dupuis.

Comment décririez-vous l’humour de Raoul Cauvin ?

C’est difficile pour moi de répondre à cette question. Cela touche vraiment à la fibre du scénario, qui est quelque chose d’un peu mystérieux. Je suis plus porté sur l’image. Raoul s’intéresse avant tout au caractère de ses personnages. Il se glisse dans leur peau pour leur insuffler une vraie personnalité. C’est, je pense, une des clefs de son succès : il s’intéresse aux gens. Il a un contact facile avec les autres tout en étant très réservé. Raoul est un observateur de la vie. Rien ne lui échappe dans une discussion, et cela ressort dans ses histoires. C’est aussi quelqu’un de très sensible. Cette sensibilité lui permet de retenir des sentiments que d’autres auraient laissé s’échapper.

C’est d’ailleurs pour ces raisons qu’il continue encore à se rendre plusieurs fois par semaine à Marcinelle, aux éditions Dupuis.

Extrait des "Femmes en Blanc" T32
(c) Bercovici, Cauvin & Dupuis

Lui soumettez-vous des idées ?

Cela m’arrive, mais Raoul n’aime pas trop qu’on lui souffle une idée. Cela ne lui rend pas forcément service. Il préfère partir d’une situation, qui n’est pas forcément humoristique, pour la développer et aboutir à un gag. Mais si je lui fais remarquer que l’on n’a pas encore fait de gags sur la chirurgie esthétique, par exemple, il va saisir la balle au bond. Je lui suggère plutôt des thèmes que des idées…

Vous avez réalisé plusieurs mini-récits autour des Femmes en blanc pour le journal de Spirou dont Dupuis vient d’assurer la réédition en albums. Leur publication sous la forme de mini-livres était-elle prévue dès le départ ?

C’était plus ou moins dans l’air. J’avais dessiné des ébauches de couverture, et Sergio Honorez, le directeur éditorial de Dupuis, les a appréciées. Aujourd’hui, on a la possibilité de réaliser des livres de différents formats chez Dupuis. Cela permet d’expérimenter de nouvelles choses. C’était plutôt amusant de le faire avec Les Femmes en blanc, une série qui a atteint un nombre vénérable d’albums et qui est confrontée au temps qui passe. Nous nous retrouvons, Raoul et moi-même, dans la situation de parents qui voient leurs enfants avoir 25 ans et qui partent vivre leur vie, alors qu’il n’y a pas si longtemps, ils jouaient au foot avec eux. J’ai intégré que Les Femmes en blanc font désormais partie du « patrimoine ».
Ces mini-albums ont été accueillis favorablement, et donnent un coup de projecteur à la série. Quand on publie un nouvel album de la série régulière, il y a un effet de « non-nouveauté ». Ce n’est pas LA série qui va promettre monts et merveilles à son éditeur, qui va être louangée par les médias, … Mais la série reste toujours aussi valable. Raoul Cauvin et moi-même, nous nous donnons à fond. Et le public nous suit toujours !

Vous réalisez toujours des animations pour le journal de Spirou …

Je reste très attaché au journal de Spirou. C’est important pour moi de leur fournir des dessins. Un auteur a un autre contact avec la rédaction quand il travaille directement pour elle. Cela n’est pas très amusant de faire un album dans son coin et de le poster sur un serveur informatique. J’aime recevoir un texte à illustrer et être confronté à des délais, à un challenge. J’ai toujours travaillé pour la presse, que cela soit avec Spirou, Pif ou Bayard Presse.

Extrait des "Femmes en Blanc" T32
(c) Bercovici, Cauvin & Dupuis

Il y a une dizaine d’année, on citait votre nom pour la réalisation d’un Donjon. Pourquoi ne l’avez-vous pas dessiné ? Aviez-vous peur de ne pas correspondre à la charte graphique ?

Non. Ce n’était pas une question de graphisme. Bien que cela serait sûrement plus facile pour moi d’illustrer aujourd’hui ce type d’histoire. Nous en avions parlé avec Joann Sfar et Lewis Trondheim au début de la série. J’ai reçu un scénario en 2005, mais entretemps, je me suis désintéressé ce l’Heroïc Fantasy. L’éditeur ne semblait pas très motivé et je n’ai jamais reçu de contrat. J’ai reçu le scénario sous la forme d’une suite dialoguée, avec des croquis sur d’autres pages. Je devais redécouper l’histoire. J’ai fais trois ou quatre pages sans réellement savoir où j’allais. Puis, j’ai embrayé sur d’autres choses en attendant que l’éditeur se sente un peu plus concerné…

En 2009, vous vous êtes renouvelé en illustrant Ben Laden dévoilé, un livre d’humour plus polémique aux éditions 12Bis. Comment avez-vous été amené à illustrer cette histoire ?

Mes discussions avec Laurent Muller et Dominique Burdot étaient souvent consacrées à la politique et à l’actualité. Ils ont toujours été intéressés par ces sujets. En plus d’être éditeurs chez 12Bis, ce sont aussi des citoyens engagés. Lorsqu’ils ont mis sur pied ce projet sur Ben Laden avec Mohamed Sifaoui, ils ont pensé à moi pour le dessiner.

N’avez-vous pas eu une certaine appréhension pour vous lancer dans cette aventure. Vous deviez dessiner des personnages existants.

Je ne me suis pas posé cette question. J’ai toujours essayé de me diversifier, même si c’était à l’intérieur du style humoristique. Par contre, je me suis interrogé sur la manière dont l’album serait perçu. Avec Ben Laden dévoilé, nous étions dans un genre qui n’était pas encore complètement balisé, un mélange d’enquête et de satire. Bien sûr, il y avait déjà eu des livres sur Nicolas Sarkozy. Mais Ben Laden est un sujet plus difficile, que l’on connaît moins. C’était un personnage célèbre, mais peu connu. Il fallait expliquer ses origines, etc. C’était un chalenge excitant ! Ben Laden dévoilé est une bande dessinée, mais en même temps, c’était aussi une manière de s’engager pour une cause…

L’accueil du livre ne vous a a-t-il pas étonné ? La presse ne parle pas beaucoup de vous. Et là, vous étiez propulsé…

Ah, oui ! Je suis passé de l’obscurité totale à une certaine exposition. Même Bernard-Henri Lévy a parlé de cette bande dessinée. Mohamed est connu, et cela a bien sûr aidé le livre. Mais c’est vrai qu’il a suscité une certaine curiosité. Nous avons publié Ahmadinejad atomisé en 2010. Un livre sur le Pape est en projet, avec Mohamed Sifaoui, Caroline Fourest et Fiammetta Venner.

Vous dessinez une autre série aux éditions 12 Bis.

Effectivement. Camping Car est scénarisé par Patrice Perna, un ancien journaliste qui vient de signer le dernier tome de Joe Bar Team. Cette série est née suite à une demande de l’éditeur. Le camping car est une sorte de phénomène de société et 12Bis voulait développer une série sur ce sujet. Patrice est un scénariste populaire doué, doté d’un excellent humour. Il a développé une série autour de ces personnes qui « vivent » avec leur camping car. Ils voyagent avec ce moyen de locomotion et n’arrêtent pas de le bricoler… La série n’a pas décollé, du coup, nous avons extrait un couple de personnages pour les animer dans leurs propres aventures. Le premier tome de Monique et Robert contient un tiers d’histoires inédites, le reste étant issu de Camping Car.

Extrait du Bercolateur
(c) Bercovici & RTL-TVI

Le site de la chaîne télévisée belge RTL-TVI accueille depuis peu vos dessins d’humour.

Effectivement. C’est un défi de réaliser un dessin tous les jours et d’être pertinent en s’imposant de coller à un sujet d’actualité. Je sélectionne trois ou quatre titres arbitrairement, et j’essaie de trouver une idée rigolote sur l’un d’eux. Je suis publié dans une partie du site de RTL-TVI qui fait une place importante au divertissement. Je dois donc veiller à ne pas réaliser des dessins douloureux tous les jours. Mais le Bercolateur me force à me diversifier. Je fais du dessin d’humour depuis des années, en dilettante. J’en ai publié de nombreux sur le blog de Mohamed Sifaoui et quelques-uns dans des journaux. C’est la première fois que je réalise aussi sérieusement des dessins d’humour. Je vis l’un de mes rêves. Quand je suis arrivé à Paris, à l’âge de 17 ans, j’ai soumis mes dessins au Canard enchaîné que je lisais depuis mon enfance. J’ai quasiment appris à lire avec Le Canard Enchaîné et Charlie Hebdo. J’ai découvert ces journaux bien avant Spirou. Le dessin d’humour fait partie de mon histoire. Et puis, le dessin d’humour est un genre prestigieux. Il faut exprimer une idée en un dessin. Articuler une histoire avec un titre, une bulle et le dessin lui-même.

Le dernier tome d’Adostars, scénarisé par Noblet, est paru en 2009…

L’éditeur a arrêté la série. Elle n’a pas trouvé son public. Adostars a été créé en 2006 à l’époque où Dupuis traversait une crise importante. Le marché est aussi devenu très difficile. Les décisions sont prises dès la sortie du premier tome. S’il y a trop de retours, la série est condamnée… même si un deuxième album paraît ! Les libraires sont organisés et commandent généralement pour le deuxième tome une quantité légèrement inférieure aux ventes réalisées pour le premier album. Ils veulent être certains de les vendre. Une pente descendante s’installe donc rapidement.
Il est difficile de connaître les raisons du mauvais accueil d’une série. Peut-être n’étais-je pas le bon dessinateur pour Adostars ? Je ne sais pas. Mais les scénarios étaient amusants et originaux.

Vous vous apprêtez à publier une nouvelle série avec Raoul Cauvin.

Oui. J’étais heureux que Raoul pense à moi pour l’illustrer. Cela fait longtemps que nous avions envie de travailler sur un autre univers. Il y a quelques années, je lui ai proposé une idée de série. Il a eu un coup de foudre pour ce thème, mais malheureusement, le projet n’a pas abouti. Nous avons réalisé deux albums sur les sports. L’un sur les sports de loisir, l’autre sur les sports professionnels. C’était amusant à dessiner. Il y a un dynamisme particulier dans la représentation des mouvements, qui renvoie à la grande tradition du dessin sportif que l’on a pu apercevoir notamment dans MAD. Je songe aux dessins de Jack Davis sur le foot américain et le baseball. Je ne me compare pas à son travail, mais je ne peux pas m’empêcher d’y penser.

Extrait des « Sports de Compétition » (titre provisoire).
(c) Bercovici, Cauvin & Dupuis

Avez-vous encore l’impression d’apprendre en dessinant ? Vous dessinez avec facilité et fluidité …

Oui. Je me l’impose. Il y a deux manière de dessiner : la version simple, où l’on recherche la facilité tant dans le travail du dessinateur que dans la lecture. La version compliquée consiste à chercher à dérouter le lecteur. Le dessinateur est donc forcé de sortir des sentiers battus. Ces derniers temps, j’ai plutôt tendance à me remettre en question. Évidemment, mon rêve serait d’arriver à dessiner un album que j’aurais plaisir à relire. Je ne suis pas un grand fan de mon travail. Beaucoup d’auteurs éprouvent le même sentiment à l’égard de leurs planches. C’est d’ailleurs l’un des moteurs de notre métier : faire à un dessin où on sent que l’on est arrivé à quelque chose ! Et c’est bien sûr pour cela que l’on continue…
Dernièrement, je me suis remis à dessiner à la plume. Une technique que je n’avais plus pratiquée depuis l’adolescence. Mon graphisme a légèrement changé. J’essaie aussi de passer plus de temps à réfléchir à la planche, avant de tracer la moindre ligne. La conception d’une case, d’un dessin, ce n’est pas seulement de l’exécution. C’est aussi une intention. Que veut-on y mettre ? Que veut-on faire passer au lecteur ?
Des albums comme Ben Laden dévoilé ou Robert Parker et les Sept péchés capiteux ont été un défi. Ces BD sont plus réalistes et je devais dessiner des choses crédibles et des personnages existants. J’ai dû abandonner les formes un peu abstraites pour entrer dans la peau de ces personnalités et les représenter graphiquement. Il fallait qu’on les reconnaisse.

Des projets ?

Les deux albums avec Raoul sur les sports. Nous allons peut-être embrayer sur autre chose ensemble. Nous verrons… Sinon, aux éditions 12Bis, je sors « Les Caves du CAC40 – Les dix commandements du vin », scénarisé par Simmat. On y évoque ces grands capitaines de l’industrie française qui ont racheté des vignobles dans les années 1980 et 1990. Il s’agit d’une enquête sur le monde du luxe et sur la mégalomanie qui entoure ces personnalités…

Extrait du "Bercolateur".

Extrait du Bercolateur
(c) Bercovici & RTL-TVI

(par Nicolas Anspach)

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Code EAN :


Lire notre interview de Raoul Cauvin : "Écrire un scénario, cela prend du temps. Se le faire refuser, c’est l’affaire de quelques secondes" (Mars 2011).

Lire les chroniques de :
- Les Femmes en Blanc T24, T23
- Ben Laden Dévoilé
- Ado Stars T1
- Le flagadaT1
- Cactus Club T6, T5
- L’Ensexyclopedie

Lire une autre interview de Bercovici (Avec Bob De Groot) : "J’écris comme il dessine" (Janvier 2007).

Lien vers les dessins d’humour de Bercovici

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Photos : (c) Nicolas Anspach

 
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