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Philippe Druillet, un colosse, vacillant certes, mais toujours magnifique

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 décembre 2016                      Lien  
Il est un peu fourbu, le colosse. Quand on le rencontre, il vient de passer une sale année. Il n’est pas encore sorti des séquelles d’une chute de quatre mètres cinquante faite dans l’escalier en ferraille de son atelier et qui lui a écrasé la main droite. De plus, un virus particulièrement virulent l’accable depuis des semaines. Et pourtant, jamais d’aussi beaux livres n’ont mis en valeur son travail : Michel-Edouard Leclerc et son label MEL d’abord, avec une monographie somptueuse, et les intégrales magnifiques de "Vuzz" et d’"Yragaël" chez Glénat. Rencontre.
Philippe Druillet, un colosse, vacillant certes, mais toujours magnifique
Monographie Philippe Druillet -Avec Benjamin Legrand - MEL Publishing

Le livre de MEL publisher, signe Benjamin Legrand et sobrement intitulé « Philippe Druillet », est la première monographie exhaustive sur l’un des plus puissants créateurs d’images de la génération Métal Hurlant. « Cela me fait chier, surtout avec un livre comme celui-là et tout ce que j’ai encore à faire. J’en ai pris plein la gueule. Ma main ne fonctionne plus, pour un dessinateur, c’est dur, mais ça revient. Mon chirurgien me dit qu’il y en a encore pour six mois. Cela fera dix-mois au total. Toutes les horreurs que j’ai vécues m’ont permis de travailler et de les sublimer, mais là, je ne peux pas… »

Le titan, pourtant, a la tête pleine d’images, il est comme un fauve en cage : «  En travaillant à ma dernière exposition pour la galerie Barbier & Mathon, j’avais découvert un nouveau Druillet. J’étais dans une pêche colossale, magnifique, je voyais les trucs sortir avec facilité. Et puis j’ai eu cet accident où je me suis écrasé la gueule sur une étagère. Cela m’a foutu un bordel général, comme dans un accident de voiture. J’ai eu vingt-deux toubibs autour de moi, tous ont vu mon état, les radios, les machins… Ils m’ont dit : logiquement, tu devrais être mort. Avec une cavalcade pareille, -la Mistinguett, 104 Kg, merci !- tu aurais dû te péter au moins une clavicule. » C’est la viande, les nerfs qui ont pris… »

© MEL Publisher

C’est plein les mirettes, en revanche, que lecteurs de cette monographie vont prendre : 336 pages de Druillet intégral : son œuvre littéraire, les BD de Sloane, Délirius, Urm, La Nuit, Nosferatu, Salammbô…, ses affiches de films, son travail pour le cinéma (story-board, décors, films d’animation…), ses dessins et ses peintures : masques, figures, nus, « architextures », cosmos… À chaque fois, des images titanesques, hantées, habitées…

« Le père Michel-Edouard Leclerc qui a quand même sauvé Angoulême il y a une vingtaine d’années, tout le monde lui a craché sur la gueule, dit-il. Le seul qui l’ait soutenu, c’est moi. Je le connais depuis vingt ans. Il ne fait pas partie des collectionneurs qui, depuis dix ans, s’arrachent la BD. Lui, il aime la BD depuis toujours. Respect. Là ce qu’il lance comme bouquin avec moi, c’est prodigieux, c’est un des plus beaux bouquins de ma vie. »

© MEL Publisher

Druillet, l’artiste

Druillet a été l’un des premiers auteurs de bande dessinée à se prévaloir de sa qualité d’artiste. Il expose dès 1964 chez le libraire François Bau, rue Raymond Losserand, puis dans la librairie Le Kiosque de Jean Boullet, rue du Château : « Je vivais place de Catalogne, à 200 mètres des uns et des autres… Comme j’étais fils de concierge et fils de crétin [1], j’ai fait les galeries de façon normale, cela a été mon université. J’avais la rage pour m’en sortir. Quand j’ai vu Barbarella et Jodelle, je me suis dis, c’est cela qu’il faut faire. Mais Losfeld, qui nous publiait, était un éditeur très branchouille parisien. Il fallait sortir du ghetto, faire du délire pour le grand public, c’est pourquoi j’ai rejoint René Goscinny, Albert Uderzo et Pilote. Sans Astérix, je ne serais pas là, et beaucoup de copains de ma génération, aussi. Personne ne voulait de moi, j’étais un malade mental. Puis sont arrivés Métal et L’Echo des Savanes… Cinquante ans que je vis de mon boulot de petits mickeys ! »

Il a beau avoir fait de la peinture, de la sculpture, de la décoration, il se revendique comme « un homme de bande dessinée » : «  C’est la bande dessinée qui m’a construit, je me suis battu pour elle. J’ai imposé le nom du coloriste et du lettreur. Cela ne s’était jamais fait, pourtant, dans un film, il y a un générique. J’étais un précurseur… On vient me chercher pour mon univers. »


En ce qui concerne les galeries et les salles de vente actuelles où ses œuvres graphiques atteignent des sommes croquignolettes, il considère qu’elles ont acquis leurs lettres de noblesse. Au début, il exposait dans des galeries de passionnés. Mais dès 1987, il expose dans des galeries d’art, pas de bande dessinée. « La BD, c’était un ghetto. Il fallait en sortir. Je faisais des grands formats et les mecs qui m’exposaient dans les salons de BD venaient avec leur Twingo. Je leur demandais de revenir le lendemain avec un camion... »

Maintenant qu’elles ont pris du galon, les galeries de BD retrouvent ses faveurs : « Dans un pays qui vénère Proust, Jean-Paul Sartre et Jean-Luc Godard, il faut qu’on arrive à faire comprendre ce que nous représentons. Michel-Édouard Leclerc fait ce travail. Il y a trois types de collectionneur : le premier qui achète pour montrer qu’il a du fric, le deuxième parce que cela va valoir du fric, et le troisième qui est un passionné. Michel-Édouard Leclerc fait partie de cette dernière catégorie. Maintenant qu’il se lance dans l’édition, et qu’il fait ce monstre de bouquin, alors que j’étais malade et déprimé, ça m’a reboosté ! J’espère que ce bordel avec ma main va s’arrêter car j’ai un planning, trois expos en retard, et l’envie de faire des choses, le temps que la vie me donnera, bien entendu.  »

Projet d’affiche de Druillet pour "La Guerre du feu"
© MEL Publisher
Intégrale Yragaël et Urm le fou de Demuth et Druillet (Ed. Glénat)

Les métamorphoses de Druillet

Druillet a connu différentes périodes successives qui se retrouvent dans cette monographie. Le Druillet de Pilote  : « Une bombe atomique ! Un canard de 60 pages qui paraissait toutes les semaines et où il y avait tout le monde : de la SF, Charlier, Gir, Cabu, Reiser, Gotlib… C’est impossible aujourd’hui ! Je voulais faire mon délire perso dans un support populaire ! Et quand mes copains viennent dans ma chambre de 6e me lire les premières pages de Lovecraft et de Michael Moorcock avec Elric le nécromancien, les Twin Towers à côté, c’est un feu de bois ! Tu vois ce que je veux dire ? Je découvre ça. »

Intégrale Vuzz (Ed. Glénat)

Il y a de tout dans le dessin de Druillet : la puissance d’évocation de Gustave Doré, le mystère des Symbolistes, les volutes décoratives de l’Art Nouveau… « Dionnet explique bien cela, nous dit Druillet : nous sommes des enfants propulsés vers un monde nouveau lié à l’Underground, aux Zap Comics de Crumb et au Rock qui bouleverse tous les codes mais qui a encore les pieds dans la mémoire du XIXe siècle : le symbolisme et tout le bordel, je connais ça par cœur ! Je suis un dessinateur métissé. En musique, mes deux idoles sont Oum Kalsoum et La Callas, j’adore les chants yiddish et tsiganes, les airs érythréens et la musique japonaise du XVIe siècle ! J’ai fait ma culture moi-même. Je vais au Louvre comme je vais aux chiottes, autant de fois que nécessaire ! Ce sont les puces, les brocanteurs, qui m’ont formé. Quand j’ai travaillé pour Daum voici quelques années, je connaissais le travail. Quand j’ai fait les 300 pièces du mobilier de Benjamin de Rothschild, j’ai travaillé avec des ébénistes. Mes techniques aussi sont métissées par mes connaissances générales. Quand je dessine, je fais de l’acide de façon naturelle. Ce qui ne m’empêche pas d’être un homme de bande dessinée et de m’être battu cinquante ans pour elle. »

Ce sont ces cinquante ans que l’on trouve réunis de façon somptueuse dans la Monographie éditée par Michel-Edouard Leclerc, MEL Publisher. Mais on peut lui ajouter l’intégrale de Vuzz (Glénat) dont les premières pages ont paru dans le Phénix de Claude Moliterni dans les années 1970 et celle d’Yragaël et d’Urm le fou (Glénat toujours) parues dans Pilote signées Demuth, le camarade qui faisait découvrir au jeune Druillet la SF en classe de 6e.

C’est certes le parcours de Druillet que nous découvrons là, mais aussi un pan majeur de l’histoire de la bande dessinée française.

Intégrale Yragaël et Urm le fou de Demuth et Druillet (Ed. Glénat)

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9791094823057

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