Qu’est-ce que cette biographie a de plus que les précédentes ?
Des tas de choses. Il y a une quantité d’informations glanées méthodiquement, des informations récentes même très importantes, notamment sur la base de documents dans lesquels Hergé se confie dans des moments de désarroi. J’ai essayé de débusquer l’homme qui était derrière cette image lisse qu’il donnait de lui. Évidemment, pour cela, il a fallu aller vers des documents qui sont de nature intime et il n’en a pas manqué, j’en ai eu beaucoup.
Lesquels sont-ils ?
Par exemple un carnet personnel qu’il tenait au début des années vingt jusqu’aux années trente, et auquel il se confie, dans une période où il est amoureux fou de Germaine, sa future femme, qui le repousse, car elle ne le trouve pas assez mûr. C’est un carnet assez touchant dans lequel on peut voir l’influence de l’abbé Wallez, un document que personne n’a jamais vu. Il y a aussi des échanges de correspondance qui n’avaient jamais été exploités. Il y en a d’autres qui ont été exploités de façon plus patiente que précédemment. J’ai eu ces lettres en main, je n’ai pas eu à les lire à la sauvette. Par exemple, dans une période plus tardive, quand Hergé est en difficulté au moment de Tintin au Tibet, j’ai pu exploiter les agendas de sa femme Germaine, la retranscription des rêves d’Hergé, les lettres qu’il a envoyées à son confident Marcel Dehaye, celles qu’il envoie à Edgar Jacobs. C’est une période pendant laquelle je peux savoir ce qui se passe pratiquement au jour le jour.
Alors que ressortent aujourd’hui les critiques que l’on a faites de tous temps à Hergé, quelle est sa ligne politique ?
Sa ligne politique est avant tout une absence d’intérêt pour la politique. Il s’intéresse aux gens. Il a bien entendu un fond d’éducation catholique de droite, ça on le sait, mais il s’est assez vite libéré de tout cela et son parcours montre que ce qu’il retient de la politique, c’est son côté caricatural. Il s’est moqué d’Hitler pendant son ascension. Il a fréquenté une série de gens qui se sont, eux, politisés. Le premier d’entre eux, c’est Léon Degrelle. Quand Hergé l’a rencontré, il n’était rien, c’était simplement un éditeur, un opportuniste. Il y a tout un chapitre qui lui est consacré. C’est une relation très symptomatique, car elle est plus de l’ordre de l’attitude, de la relation humaine, que de la politique. Ils se sont brouillés et quand Degrelle a commencé à faire de la politique après, Hergé l’avait « classé », il savait très bien à qui il avait affaire.
L’homme devait être réhabilité face à son œuvre ?
Ce n’est pas une réhabilitation mais, jamais dans une biographie qui le concerne, on a été aussi proche de l’homme, non pas dans sa voie royale, mais dans ses difficultés, dans son désarroi. C’est là qu’il se livre véritablement. Les documents intimes dont je fais état ne sont pas des documents dans lesquels il se dissimule, au contraire. Il est parfois même extrêmement déprimé et donc, il se lâche. Dans une lettre qui fait l’ouverture de mon livre, elle date de 1948, il est vraiment poignant, il remet tout en question. Mais il va retomber sur ses pattes et la deuxième partie de sa carrière est devant lui.
Est-ce que le point de vue que vous aviez sur Hergé a changé après ce travail ?
Je pense qu’il s’est enrichi. Quand on a rencontré quelqu’un comme Hergé comme j’ai eu l’occasion de le faire et que l’on est face à cet homme très ouvert, accueillant, attentif, on ne trompe pas son monde. Quand je l’ai mieux connu après, à travers son œuvre, ou par exemple dans sa correspondance d’affaire, il y a des aspects qui m’ont parfois un peu surpris mais, en bout de course, il faut parfois se demander ce que l’on aurait fait à sa place dans les mêmes circonstances. Cela vaut pour les grandes options mais aussi pour le détail de la vie, comme lorsqu’Hergé se plaint auprès de son éditeur qu’il est mal placé dans telle ou telle librairie. C’est étonnant d’un certain côté pour ce grand homme qui peut paraître là, tout à coup, assez mesquin. Mais dans l’édition, tous les auteurs font pareil ! Ce genre de choses, je ne l’avais pas perçu au départ. Hergé est un personnage sensible et complexe que j’espère avoir rendu attachant.
Propos recueillis le 25 octobre 2007.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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