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Philippe Moins (directeur d’Anima) : « Le langage est différent, mais certains artistes peuvent circuler de l’animation à la bande dessinée avec aisance. »

Par Morgan Di Salvia le 16 février 2013                      Lien  
Le directeur d’Anima, le festival du film d’animation de Bruxelles, nous parle de l’organisation de cet événement incontournable dans le paysage belge et des rapports actuels entre l’animation et la bande dessinée.

Le Festival Anima existe depuis 1982. En 30 ans, le paysage audiovisuel a beaucoup changé. Pensez-vous qu’il est plus difficile d’organiser un festival consacré aux films d’animation en 2013 que ça ne l’était à l’époque de la fondation d’Anima ?

Je dirais qu’il y a deux réponses. La réponse du point de vue de l’organisateur du Festival Anima c’est non. C’est à dire que c’est désormais plus lourd, plus grand, mais ce n’est pas plus difficile, parce qu’ayant acquis une certaine notoriété, des portes s’ouvrent plus facilement, vis à vis des médias notamment. Par contre, j’ai l’impression que la situation est plus compliquée pour des jeunes qui prendraient aujourd’hui une initiative comme celle que nous avons prise il y a 30 ans. On ne fait pas confiance à la nouveauté de nos jours. Ça a toujours été difficile, mais j’ai l’impression que pour des raisons de crise, d’économie étriquée, il est de plus en plus compliqué de faire sa place.

Philippe Moins (directeur d'Anima) : « Le langage est différent, mais certains artistes peuvent circuler de l'animation à la bande dessinée avec aisance. »
L’affiche de l’édition 2013
© Feroumont / Folioscope

Notamment du côté des aides et des subsides ?

Oui, tout à fait. Durant les dix premières années du festival, nous avons galéré. Ensuite, nous avons reçu une aide publique. Mais une fois que vous commencez à recevoir des subsides, vous pouvez avoir l’impression que c’est une rente, et que vous les avez pour toujours. Les subsides vous font entrer dans une grande machine qui tourne et qui joue un rôle d’assurance-vie. Les nouveaux arrivants qui attendent une aide à côté de la machine en souffrent ! C’est une perversion du système qui freine les nouvelles initiatives. Mais bon, il faut s’accrocher, l’envie et la ténacité permettent parfois de mener à bien les projets les plus ambitieux.

Dans l’économie d’un festival comme le vôtre que représente la part des subventions ?

Nous avons l’habitude d’évaluer cela à un tiers. Un autre tiers est assumé par le sponsoring et l’échange de visibilité. Le dernier tiers est constitué par la vente de billets pour nos séances. On a pas mal développé les partenariats avec les professionnels de l’animation, des distributeurs, des studios... Ils associent leur image au festival, ils peuvent y donner des rendez-vous pour leurs clients. En contrepartie, nous bénéficions de leur savoir-faire pour nos bandes-annonces ou d’autres aspects techniques. C’est un échange de bon procédés.

Il y a des passerelles entre le cinéma d’animation et la bande dessinée. C’était d’ailleurs le sujet d’une conférence entre Benoit Feroumont et Arthur de Pins durant le festival. Anima paraît complètement décloisonné et particulièrement ouvert aux disciplines connexes. Ce qui n’est pas le cas de la plupart des festivals de bande dessinée. À votre avis, pourquoi ?

Quand on parle des rapports entre l’animation et la bande dessinée, on utilise parfois une expression malheureuse : « relations incestueuses ». Ça voudrait dire qu’il y a accouplement et qu’il y a transgression. Ce n’est ni l’un, ni l’autre. Pour moi, la BD et l’animation, quand on réfléchit un peu et que l’on voit ça dans une perspective historique, ont toujours co-existé au cœur d’œuvres d’artistes. Emile Cohl, l’inventeur du dessin animé, venait de l’illustration et du cartoon, c’était aussi un fantaisiste qui se produisait au music-hall. Winsor McCay était un homme de bande dessinée, qui faisait de l’animation et qui était aussi un show man. Morris, Peyo, Franquin sont des gens qui ont débuté dans le dessin animé. Hergé rêvait de travailler pour Walt Disney ! En Belgique, je pense que l’expérience du studio Belvision a été contrastée. C’était un grand studio. Mais il a pu donner lieu à des adaptations de BD contestables. Les relations entre la bande dessinée franco-belge et l’animation ont été tendues à ce moment. Je crois que c’était aussi lié au fait qu’il y avait des mauvais génies… J’aimais beaucoup Yvan Delporte, mais il avait une idée de l’animation européenne qui était très négative. Je pense que c’est lui qui a convaincu Peyo de signer avec Hanna-Barbera pour la série TV des Schtroumpfs. Beaucoup d’auteurs de BD ont été très déçus de la médiocrité de la production et du coup ont eu peur d’être un jour adapté. Aujourd’hui, la mentalité des jeunes dessinateurs a changé. Nous sommes revenus à la case départ : les gens passent de l’un à l’autre sans problème. Le langage est différent, mais certains artistes peuvent circuler de l’animation à la bande dessinée avec aisance.

Pour un auteur, la différence d’ambiance entre les festivals d’animation et les festivals de bande dessinée n’est-elle pas liée au fait qu’il s’agit d’un côté de réalisation collective et de l’autre de travail solitaire ?

Oui, sans doute. Les deux types de festivals ont un public en partie commun. Mais, dans les festivals de BD, il y a un phénomène qui n’existe pas dans l’animation, c’est la présence massive des collectionneurs et spéculateurs. Je pense que ça pourrit l’ambiance. La chasse frénétique à la dédicace peut devenir pénible et rendre l’ambiance moins sympathique. Ça créé immanquablement une tension et un stress pour les auteurs.

Philippe Moins à Bruxelles,
en février 2013

Est-ce qu’un programmateur de festival d’animation comme vous garde un œil sur l’actualité de la bande dessinée ?

J’essaie. Mais je dois avouer que je suis un petit peu dépassé par le nombre de sorties ! C’est impossible de se tenir au courant d’une façon systématique. Je passe du temps dans les librairies. Je me suis toujours intéressé à des aspects marginaux de la BD, à des œuvres à la frontière avec l’illustration plutôt qu’à la BD classique.

Pour aller plus loin dans ce sujet, est-ce que les animateurs s’intéressent à la bande dessinée ? On connaît l’exemple de Didier Conrad, dessinateur du prochain album d’Astérix, qui a longtemps travaillé pour un studio hollywoodien…

Conrad a travaillé pour Dreamworks. Ce genre de travail doit être très frustrant. En Belgique, nous avons aussi l’exemple de Frank Pé qui a travaillé pour le cinéma. Un dessinateur BD qui est engagé pour ce genre de mission doit mettre de côté son habitude d’auteur. Quand il entre dans la machine hollywoodienne, la règle c’est qu’il faut fournir des croquis, des dessins inspirationnels. Ce peut être un flux de deux ans de dessin qui ne devient qu’un plan de 15 secondes (parfois complètement déformé ou dénaturé) dans le film. C’est la règle du jeu et c’est pour ça que ces boulots de mercenaire sont généralement très bien payés.

La présentation de la revue Professeur Cyclope
lors des rencontres Futuranima qui se tiennent pendant le festival

Dans la programmation 2013, Anima proposait une présentation de la BD numérique et singulièrement de l’initiative Professeur Cyclope. Sur les nouveaux supports, il y a une hybridation de plus en plus importante entre la bande dessinée et l’animation. Le turbomédia est quelque chose qui vous intéresse ?

Je suis curieux. Tout m’intéresse. Au départ, j’ai tout de même une réaction de ma génération qui est l’attachement à l’objet livre dans la BD. J’aime le papier. Pour des raisons professionnelles et pratiques, j’utilise beaucoup Internet, notamment pour lire et visionner des œuvres. Mais le livre me procure un plaisir plus grand. Cependant, j’ai hâte de découvrir la nouvelle revue Professeur Cyclope. Le maître mot c’est qu’il ne faut pas chercher à convertir ou à adapter, il faut chaque fois essayer de trouver un nouveau langage pour le nouveau support.

J’ai épluché votre curriculum vitae. En 1982, lors de la convention BD de Liège, vous avez reçu le « Milou de Marbre ». Ça veut dire que vous avez été tenté par une carrière dans la bande dessinée ?

"La Planète sauvage"
un film de René Laloux sorti en 1973

Ah oui vous avez bien épluché mon CV ! (Rires !) J’ai eu des aspirations pour la bande dessinée, mais j’ai vite renoncé. Lors de cette convention en 1982, Sokal a gagné dans la catégorie professionnelle et moi dans la catégorie amateur. Ce que je faisais à cette époque était plutôt influencé par Crumb ou les Peanuts. Un dessin rapide et un humour très verbal. C’était un peu atypique et ça n’intéressait pas grand monde. Je suis resté amateur et j’ai laissé la bande dessinée de côté. Par contre, j’ai fait des milliers de cartoons pour le journal Le Ligueur.

Une dernière question rituelle, avant de vous quitter. Quel est le film qui vous a donné l’envie de faire de l’animation votre métier ?

Je crois qu’il y en a deux qui m’ont fait réaliser que l’animation ne s’adressait pas qu’aux enfants. Dans les années 1970, j’ai vu « La Planète sauvage » de Topor et Laloux et les films de Picha. En voyant cela, je me suis dit que de la même manière qu’il y avait de la BD adulte, il y avait du dessin animé adulte.

(par Morgan Di Salvia)

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Photos © M. Di Salvia

Le Festival Anima s’achève ce dimanche 17 février.
Toutes les informations et le palmarès sont à retrouver sur www.animafestival.be

A propos du Festival Anima, sur ActuaBD :

> Festival Anima 2013 : feu d’artifice animé à Bruxelles

> Festival Anima 2012 : Bruxelles à l’heure de l’animation

> Le 30ème Festival Anima à Bruxelles

> Festival Anima 2010

 
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3 Messages :
  • Les collectionneurs et les spéculateurs ont amené la BD dans une direction qui ressemble à un mur.Pour les auteurs c’est la tension alimentaire et le stress qui leur fait s’arracher les cheveux .Mais bon si le prestige et la grandeur de la BD sont à ce prix !

    La véritable nouveauté de ces dernières années,c’est l’arrivée massive dans le média BD, d’artistes formés à l’école de l’animation qui ont fait monter d’un cran ses standards de qualité.Notamment dans le jeu d’ acteurs des personnages.La BD y a gagné un supplément de vie.

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    • Répondu par Oncle Francois le 18 février 2013 à  13:09 :

      L’animation... oui, vous avez raison, ami occulte ! Beaucoup d’étudiants ont appris les bases du métier à l’école. Pas forcément pour faire de la BD plus tard, mais pour peut être travailler dans le jeu-vidéo ou le film publicitaite. Tous ces domaines sont amateurs de techniques sophistiquées qui demandent de longues nuits d’effort pour être domestiquées, asservies. Maintenant, il me semble que Fantasia ou Blanche-Neige de Walt Disney resteront des chefs d’oeuvre inégalable. Et pourtant, tout était fait à la peinture et au pinceau, et oui mes bons amis !

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      • Répondu par la plume occulte le 20 février 2013 à  14:38 :

        Allons allons très cher Oncle,le 100% fait main est parfois très surfait.C’est ainsi,entièrement fait à la main ,que sont conçu les bébés éprouvette. Et ce n’est pas à vous que je vais apprendre que certain estiment que ce n’est pas la meilleure manière...

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