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Pierre Alary ("Silas Corey") : « Fabien Nury préfère les personnages qui gardent la tête haute, qui assument et qui assurent leurs positions »

Par Charles-Louis Detournay le 2 mars 2015                      Lien  
Après un premier diptyque plus que réussi, Fabien Nury et Pierre Alary entament un nouveau cycle plus sombre de "Silas Corey", au cœur de l'Allemagne, quelques semaines après sa capitulation à la fin de la Première Guerre mondiale. Le dessinateur du héros au flegme imposant nous dévoile les coulisses de sa création.

On s’étonne de vous retrouver dans l’univers de la Première Guerre mondiale alors que vous sortiez de Belladone avec Ange et Sinbad avec Arleston. Comment s’est réalisée votre rencontre avec Fabien Nury ?

Ma motivation première était de réaliser la rencontre de scénaristes comme Fabien. Sans que nous nous connaissions au préalable, je l’ai contacté en lui expliquant que j’aimerais collaborer avec lui, pour autant qu’il apprécie mon travail, ce qui était heureusement le cas. A l’époque, il n’était néanmoins pas disponible pour écrire un scénario sur mesure, mais m’a présenté ce qu’il avait sous la main, notamment ce Silas Corey. J’ai immédiatement accroché à l’esprit du roman-feuilleton, à la fois classique et historique.

Comment avez-vous travaillé les personnages pour convenir aux types de caractères imaginés par Fabien Nury ? Vous avez dû modifier votre dessin !?

Oui, Fabien et Glénat m’ont directement fait comprendre que mon dessin devait se rapprocher du réalisme, car j’ai tendance naturellement à aller vers du semi-réaliste plus caricatural. Mes premiers dessins de Silas le présentaient cheveux dans le vent, en pleine action, un sourire en coin. Fabien m’a immédiatement repris : "Je désire un personnage stylé, plus statique, qui ne sourit pas : il faut que tu trouves une silhouette qui en impose !" J’ai donc repris mes croquis, et sur base de ces précisions, Silas est arrivé assez vite sous mon crayon. Et encore plus vite pour le personnage de Nam, qui lorgne graphiquement vers le cliché du second couteau asiatique.

Pierre Alary ("Silas Corey") : « Fabien Nury préfère les personnages qui gardent la tête haute, qui assument et qui assurent leurs positions »

À la lecture de vos précédentes séries, on ressent que vos personnages étaient en permanence dans l’action : un peu ramassés, le buste tourné par rapport aux jambes. Tandis que dans Silas Corey, les poses sont rectilignes, dominatrices !

Graphiquement, j’ai toujours apprécié les postures des comics : Wolverine est courbé, prêt à bondir ! Mais c’est trop évident pour Fabien : il préfère les personnages qui gardent la tête haute, qui assument et qui assurent leurs positions.

Est-ce que votre scénariste vous envahit de documentation, ou préfère-t-il que vous trouviez vous-mêmes ce qui vous intéresse ?

Fabien m’envoie quelques éléments sur lesquels il est tombé lorsqu’il tente de visualiser les lieux. Mais j’effectue normalement la majorité des recherches, ce qui me convient parfaitement. Pour évoquer le Paris de1918, il y a énormément de photos qui existent. Concernant les objets, comme les pistolets, je dois juste veiller à éviter les erreurs historiques.

Fabien Nury nous a expliqué qu’il vous sentait de plus en plus passionné par le récit, rajoutant plus de détails dans chacune de vos planches !

Loin du travail de commande, je sens que Fabien travaille sur Silas car ce récit lui fait plaisir ! Du coup, je désire lui rendre la pareille, et en débutant le second cycle, nous avons tous deux voulu donner plus d’éléments que dans le premier ! Il a beaucoup retravaillé son récit : il a d’ailleurs réécrit toute la moitié de l’histoire en modifiant un élément important qui ne cadrait finalement pas avec le ton désiré. Fabien s’est donc beaucoup investi, et pour me mettre à sa hauteur, je me rends compte que nous réalisons une bande dessinée à l’ancienne qui ne surprendra pas les lecteurs par l’effet de nouveauté. Il faut donc donner dans chaque planche un aspect traditionnel mais généreux : comme un vieux film en noir et blanc qui donne du plaisir lors de chaque nouvelle vision.

Votre défi est donc de surprendre et d’attirer le lecteur avec un genre connu ?

Je prends toujours Indiana Jones comme référence : sur un genre qui existe et qui a été réalisé mille fois, Steven Spielberg est parvenu à imposer un film-étalon ! Cela fonctionne, car il a repris les bases et il s’est investi sans compter. C’est ce que nous voulons également donner au public, au lecteur.

Vous disposez également de petits artifices graphiques qui vous sont propres, comme ses ombres blanches en négatif qui apparaissent à l’avant-plan dans des scènes d’action...

En effet, cela devient un tic de construction. Je ne sais pas si cela plaît à Fabien ou au lecteur, mais je trouve que cela casse la sempiternelle ombre sombre du premier plan. Cela donne de la profondeur sans noircir la page. Mais je désire ne l’utiliser qu’une fois par album, afin d’éviter de fatiguer le lecteur. Il y a des endroits où cela me semble évident, et je joue donc cette carte !

De la même façon, vos cadrages sont donc généralement très posés, mais dès que l’action débute, vous multipliez les angles de manière amplifier le dynamisme de la séquence ?!

Oui, le contraste attise l’importance de la séquence. Fabien suit cela de près lors de l’étape du story-board. Il est partisan de l’image forte, pas démonstrative, mais efficace. Il me reprend souvent lors de cette étape, car il sait ce qu’il veut voir : du bon cinéma. Même avec le temps, nous continuons à peaufiner ce moment. Sur le tome 4 que je suis en train de réaliser, nous passons beaucoup de temps à choisir les bons cadrages, à retirer ou rajouter un petit dialogue, ou bouger une bulle. Cette partie de ping-pong peut tendre vers l’orfèvrerie, mais c’est notre façon de travailler, sans rien lâcher.

Le tome 3 vient de paraître ; quand le lecteur pourra-t-il attendre la seconde partie de ce deuxième diptyque ?

J’aimais beaucoup l’idée de publier les deux parties du premier diptyque dans un mouchoir de poche. Mais ce n’est pas toujours facile de travailler deux ans sans avoir de sortie prévue. Le tome 4 sortira donc un an, en reprenant un rythme de parution plus classique.

Est-ce que vous avez prévu un jour de réaliser la suite de Belladone, la série scénarisée par Ange ?

Belladone a toujours été pensé en deux cycles de trois albums. J’ai beaucoup d’envies et d’idées pour le second cycle. Mais il faut que nous puissions trouver le bon planning et la méthode. Ce qui m’a donné envie de travailler avec Fabien, c’est qu’il livre un scénario en intégralité avant que je ne commence à dessiner. Je peux donc le lire dans sa globalité, ce qui me permet de parler de l’histoire avec le scénariste, mais aussi de comprendre que ce petit personnage en page 4 devra être soigné, car il va prendre toute son importance dans la seconde moitié du récit. Avec Ange, on évoque le pitch d’entrée de jeu, mais par la suite, il livre le scénario page par page, ce qui me tente moins. Nous sommes donc en train de discuter lequel va s’adapter à l’autre ! (rires)

Une double page, comme Fabien Nury aime en à en placer dans ses récits

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire les chroniques des premiers tomes : Le Réseau Aquila tome 1 et 2

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Lire également nos deux dernières interviews de Fabien Nury : « Pour moi, le seul barème de la réussite est le plaisir de lecture, l’émotion ressentie. »

« Non, le scénariste n’écrit pas ses bulles après que le dessinateur a fini sa planche...  »

 
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