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Pierre Bellemare : « Jacky Clech a respecté le ton de mes histoires extraordinaires ! »

Par Nicolas Anspach le 19 avril 2010                      Lien  
Le principe des "Histoires extraordinaires" de Pierre Bellemare est connu de tous. Il a publié bon nombre d'ouvrages relatant, avec un talent de conteur hors-pair, les récits qui ont fait les belles heures de l'émission, "Les incroyables Histoires de Pierre Bellemare", sur RTL. Jacky Clech les adapte aujourd’hui en BD.

En 1959, déjà, Pierre Bellemare s’intéressait à la bande dessinée. Il a participé à l’aventure de Pilote en y signant « Les Enquêtes de l’inspecteur Robillard », dessinée par Moallic. Cet inspecteur est intervenu plus tard, dans une émission sur Pilote sur Radio-Luxembourg, alors partenaire de l’hebdomadaire créé par Goscinny, Uderzo et Charlier.

En 1971, il avait également animé avec le créateur de Jerry Spring, Jijé, et Jean-Paul Rouland les « Enquêtes du Commissaires Major » dans La Voix du Nord.

Pour Bellemare, il était donc naturel de voir ses Histoires extraordinaires adaptée en BD. Jacky Clech a concrétisé cette envie. Ils ont publié à la fin de l’année dernière un premier volume reprenant cinq histoires aux éditions Joker. Inutile de dire que lorsque nous avons rencontré ces deux auteurs, nous étions sous le charme.


Pierre Bellemare : « Jacky Clech a respecté le ton de mes histoires extraordinaires ! »

Pierre Bellemare, votre père était un grand spécialiste de livres anciens. C’est lui qui vous a transmis le goût pour les belles illustrations ?

PB : Mon père était, en effet, un grand spécialiste des incunables, ces merveilleux livres écrits et reliés à la main avant le XVe siècle. J’ai découvert dans sa bibliothèque des illustrateurs plus tardifs qui ont impressionné leur temps comme Gustave Doré. Vous savez que même Vincent Van Gogh appréciait son travail. Il s’est inspiré d’un dessin de Doré pour illustrer un tableau intitulé « La Ronde des prisonniers ». Albert Robida et Gustave Doré sont les dessinateurs géniaux du 19e siècle, d’un modernisme absolu, tout en étant dans leur temps ! Les illustrateurs anonymes qui ont illustré les incunables que j’ai vus chez mon père avaient un talent magnifique. Mais leurs thèmes n’étaient que religieux. Il faudra attendre les livres scientifiques, du 18e et du 19e siècle pour trouver des dessinateurs qui vont illustrer par exemple la faune et la flore. Ou encore ceux qui vont illustrer la Grande encyclopédie de Denis Diderot et Jean d’Alembert. Les illustrations de l’Encyclopédie étaient tellement belles que beaucoup, à l’époque, achetaient ces livres pour retirer les planches et les encadrer. Ce qui était d’ailleurs un acte monstrueux. On ne peut pas démolir un livre de la sorte !
Effectivement donc, j’ai été initié très tôt à l’illustration. Enfant, mon père me lisait beaucoup de livres lorsque j’étais assis sur ses genoux. J’ai commencé à lire des bandes dessinées avant la guerre. Puis, j’ai découvert Tintin. Mais mon personnage de BD préféré reste le Marsupilami. Je suis un inconditionnel des albums d’André Franquin ! Cet animal est fabuleux ! Il est extrêmement sympathique, même s’il ne faut pas lui chercher des crosses !

Est-ce votre père qui vous a transmis la passion de raconter des histoires ?

PB : Peut-être. Mon père n’était pas un mauvais conteur. Il me jouait les histoires racontées dans les livres à la manière d’un feuilleton. Je me souviens encore de ses attitudes lorsqu’il me « jouait » Quatre-vingt-treize de Victor Hugo. Ce livre fut mon premier choc littéraire. Ensuite, il y a eu Maupassant, Georges Duhamel et Jules Romains. C’était l’époque où les gens faisaient des blagues avec toute une mise en scène pour mystifier les gens. Un journaliste avait par exemple souhaité fêter le centenaire d’Hégésippe Simon en 1913. Cette personne n’existe bien évident pas, mais notre journaliste, Paul Birault, lui avait inventé de nombreuses qualités. Il avait envoyé, sous un nom d’emprunt, une invitation à l’inauguration d’une statue représentant ce "grand homme" à des députés. Celle-ci devait avoir lieu dans le village de Poil, dans la Nièvre. Ce qui va donner lieu à des lettres formidables de députés regrettant de ne pas venir à Poil ! C’était superbe. On n’en fait plus des coups comme cela aujourd’hui, conçus sans aucune volonté de nuire… Même pas dans les blogs ! J’ai eu la chance d’encore avoir connu ce genre de canular.

Extrait du T.1 de "Histoires extraordinaires"
(c) P. Bellemare, J. Clech & Joker.

Cela fait plus de cinquante ans que vous racontez des histoires. Aujourd’hui, vous le faites d’une autre manière. Comment est né ce projet d’adaptation de vos histoires extraordinaires en bande dessinée ?

PB : Je nourrissais le désir profond de transformer certaines de mes histoires extraordinaires en bande dessinée. Je cherchais un dessinateur lorsque Jacky Clech m’a contacté par mail. Nous avions eu la même idée, les mêmes envies. On s’est entendus tout de suite. J’ai laissé la possibilité à Jacky de piocher librement dans mes livres. Il en avait déjà quelques-uns et je lui ai fait envoyer d’autres. Il a adapté les histoires selon son goût. Nous avons cependant considéré qu’il était opportun que chaque album contienne plusieurs histoires.

Jacky Clech : Les histoires de Pierre Bellemare sont courtes et concises, et denses. C’est pour cette raison que j’ai eu envie de les adapter.

C’est également un beau challenge graphique. Les récits se déroulent dans des lieux différents.

JC : Effectivement. Il y a eu un réel travail documentaire pour illustrer chacune des histoires.

PB : Cela me plaisait d’inclure différentes histoires dans chaque album. Il fallait choisir des récits qui soient variés. Et puis, Jacky a eu l’idée de réunir cinq utilisations d’arme de manière originale. Il a opté pour des histoires qui n’étaient pas axées sur des armes classiques, comme des revolvers, des couteaux, etc. Mais il a puisé des récits qui tournaient autours d’araignées, de crabes, etc.

Êtes-vous intervenu dans le choix de ces histoires ?

PB : Pas du tout. Il m’envoyait simplement ses planches. Je n’y ai rien trouvé à redire. Son travail correspondait exactement à ce que j’avais imaginé pour ces adaptations.

JC : Nous avions discuté plusieurs fois au téléphone, puis nous nous sommes rencontrés une première fois au siège du diffuseur.

Pourquoi avoir opté pour les éditions Joker ?

PB : Il fallait trouver un éditeur qui soit tenté par l’aventure, et c’était tout le problème ! En France, on a tendance à classer les gens dans des tiroirs, et il ne faut surtout pas en sortir. Donc, moi, je suis dans un tiroir avec mes histoires extraordinaires et populaires. J’ai contacté les grands éditeurs de BD français et je me suis complètement planté. C’est incroyable, mais c’est comme ça.

JC : Thierry Taburiaux, Le patron des éditions Joker appréciait les histoires de Pierre Bellemare, et il était tenté le challenge.

Extrait du T.1 de "Histoires extraordinaires"
(c) P. Bellemare, J. Clech & Joker.

Quel est votre secret, Pierre Bellemare ? Livres, bandes dessinées, émissions de radio ou de télévision... Vous être encore toujours très présent dans les médias.

PB : Oh, mais je n’ai aucun mérite de faire mon travail, vu que c’est avant tout un plaisir. C’est comme si vous disiez à Jacky d’arrêter de dessiner. Je le vois : il est animé par sa passion pour le dessin. Quand je le vois dédicacer, il se perd dans les détails. C’est simple : on a le goût pour notre travail. Et je n’aurais aucun mérite à le faire jusqu’à la fin de mes jours.
J’aime me documenter, me renseigner, surtout sur des informations que peut de gens savent. Par exemple, saviez-vous que Joséphine Baker, la grande star du music hall des années 1920, a fait une très belle carrière en France. Cette américaine s’est battue pour la cause noire aux USA, puis elle est venue s’installer en France. Elle s’est comportée de manière formidable durant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, elle adopta onze ou douze enfants. Elle les a élevés dans un château du Périgord. Progressivement, elle va toucher le fond, se couvrir de dettes. Une femme, Grâce de Monaco, va alors tout faire pour qu’elle puisse revenir au devant de la scène. Elle se produit une dernière fois en 1975 et, le lendemain, elle fut victime d’une hémorragie cérébrale, mourant peu de temps après. La mort la prend presque sur la scène, alors qu’elle venait de renouer avec le succès. C’est extraordinaire.

Revenons à votre BD parue chez Joker, la couverture de l’album dénote par rapport aux autres albums…

JC : Effectivement. Je voulais réaliser une couverture conceptuelle que nous réutiliserons pour chacun des albums. Il fallait qu’elle soit immédiatement reconnaissable. J’ai donc opté pour mettre en avant un personnage encré et mis en couleur. À l’arrière plan, on voit une planche crayonnée. Le personnage est énigmatique. Il semble avoir peur. Le sang accentue cette impression. La planche crayonnée derrière permet au lecteur de se rendre directement compte qu’il s’agit d’une adaptation en BD des histoires de Pierre Bellemare.

Pierre Bellemare, qu’est-ce qui vous séduisait dans le dessin de Jacky Clech ?

PB : Il a du talent et sait dessiner les personnages et les décors avec diversité. Et puis, il est patient et courageux. Ce n’est pas très gai pour un dessinateur de changer de décor et de personnages après quelques planches. Dès que l’histoire courte est terminée, il doit mettre en place un nouvel univers, de nouveaux décors. Jacky est un lecteur de mes histoires. Il a respecté le ton de celles-ci.

Vous animez toujours votre émission sur RTL. Remo Forlani, un journaliste de cette radio était un fin connaisseur de la bande dessinée. Il est décédé à la fin de l’année dernière. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

PB : Je suis revenu depuis peu à RTL. Je me souviens l’avoir croisé la veille de sa mort dans les locaux de la radio. Je garde un très bon souvenir de lui. C’était un homme excessif. Remo était extrêmement généreux, prêt à défendre une idée jusqu’au bout. Parfois, il était pris d’un accès de folie, et était dans le burlesque complet. C’était un homme inattendu. On ne savait pas par quel bout le prendre. J’ai eu beaucoup de plaisir à le connaître.

Quand sortira le deuxième tome de ces « Histoires extraordinaires » ?

JC : En novembre, normalement. J’y travaille.

Pierre Bellemare & Jacky Clech
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Photos (c) Nicolas Anspach

 
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3 Messages :
  • Outre que Pierre Bellemare est un excellent client en interview, c’est aussi un superbe acteur de téléachat dans« Dernier cri », court-métrage de Grégory Morin.

    Scénariste, conteur, acteur... cet homme est encore à découvrir.

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    • Répondu par Oncle Francois le 19 avril 2010 à  14:08 :

      C’était surtout un formidable conteur à la radio, sa voix chaude créait le suspense (je pense notamment aux émissions où il racontait des énigmes ou des mystères dans les années soixante-dix), il me semble qu’il créait un summum de suspense juste avant la séquence publicitaire ; je pense qu’il est l’équivalent radiophonique de Greg et de Charlier : une synthèse de professionnalisme et de respect du large public, dans la grande tradition.

      Le voir jouer les camelots bonimenteurs à la télé est une fin de carrière décevante d’un point de vue artistique, mais je suppose qu’il y trouve son compte d’un point de vue financier.

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    • Répondu par Alain Perfide le 20 avril 2010 à  09:46 :

      Pierre Bellemare jouait aussi le rôle du conteur dans "Trois vies et une seule mort" de Raul Ruiz. Un film extraordinaire.

      Répondre à ce message

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