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Pierre Lungheretti, Directeur Général de la Cité de la BD d’Angoulême : "Je suis frappé par les attentes qui sont exprimées à l’égard de la Cité"

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 janvier 2016                      Lien  
Ancien membre du cabinet de Frédéric Mitterrand, Pierre Lungheretti a été directeur général de la Création artistique au ministère de la Culture avant de devenir conseiller auprès de la ministre de la Culture de la République d’Albanie. Après avoir dirigé pendant quelques mois la DRAC en Poitou-Charentes, il occupe à partir de ce mois-ci la direction de la Cité de la bande dessinée, laissée à l'abandon depuis le départ de Gilles Ciment en juin 2014. À quelques jours de la 43e édition du FIBD, nous l'avons interrogé sur ses intentions.

Votre CV mentionne à vos débuts un passage dans l’édition. C’était chez un éditeur de bande dessinée ?

Il s’agissait des Éditions Dis Voir, qui existent toujours et dont la ligne éditoriale se concentre sur la création contemporaine en cinéma, arts plastiques, danse et musiques (http://www.disvoir.com/). Par ailleurs, j’étais lecteur pendant mes études pour plusieurs éditeurs, et notamment Flammarion, qui à cette époque avait publié le tome 2 de Maus, ce qui m’a permis de découvrir tout un pan de la création contemporaine de la BD.

Quel est votre rapport à la BD ? On vous dit assez "pointu"...

Je suis juste un amateur fervent, avec des goûts qui vont des classiques, d’Astérix à Hugo Pratt, en passant par la Ligne claire et l’Underground américain jusqu’au roman graphique contemporain que je dévore. Je suis fasciné par la richesse créative de la BD actuelle, notamment française, qui explore plusieurs registres avec une liberté et une puissance expressive remarquables, qui reflètent des questions qui traversent la société et les individus qui la composent : l’introspection autobiographique et ses multiples interrogations sur l’identité, sur la complexité de notre rapport au monde, aux autres, aux représentations et aux codes sociaux… , les ouvrages à dimension politique ou les BD de reportage ou documentaires, les œuvres satiriques et humoristiques qui nous font prendre conscience de certaines dérives du système capitaliste ou de la sclérose du monde social contemporain.

Le 9e art irrigue de plus en plus la société, avec des enjeux liés à la liberté de penser et de créer, comme nous l’avons vu lors des tragiques événements de janvier 2015. N’oublions pas que ce sont des dessinateurs qui ont été pris pour cible.

Comme membre du cabinet de Frédéric Mitterrand, vous étiez en charge du livre et de la lecture. La BD à Angoulême faisait-elle partie de vos dossiers ?

Oui bien sûr ! j’ai accompagné Frédéric Mitterrand au festival, et j’ai piloté en lien avec l’administration du ministère de la culture plusieurs sujets relatifs à la BD, notamment les questions autour du contrat d’édition numérique, et concernant Angoulême, les enjeux liés aux financements du FIBD.

Pierre Lungheretti, Directeur Général de la Cité de la BD d'Angoulême : "Je suis frappé par les attentes qui sont exprimées à l'égard de la Cité"
Pierre Lungheretti, le nouveau DG de la Cité de la BD, devant le bâtiment Castro.
Photo : Pierre Amat - Cité de la BD

C’est un festival et un musée où vous étiez déjà allé ?

Oui, au festival avant d’être au cabinet de F. Mitterrand, mais j’ai découvert le musée en 2010, à l’occasion de mon premier déplacement ministériel à Angoulême.

Qu’est-ce qui vous a décidé à prendre la direction de la Cité de la BD ?

Plusieurs éléments ont motivé ma candidature : l’effervescence artistique et créative qui caractérise la production du 9e art, comme je vous le disais, le formidable potentiel de la Cité de la BD, qui est un établissement unique en France et probablement en Europe, voire au-delà. Mais aussi tous les enjeux qui sont liés aux entités qui constituent la Cité et qui les unissent : l’enjeu de valorisation patrimoniale avec le musée, l’enjeu de transmission de la culture BD et d’éducation artistique et culturelle à partir de ce médium, attractif et populaire mais qui peut atteindre des niveaux de raffinement et de complexité considérables.

J’ai la conviction que la BD peut apporter une contribution fondamentale à la politique d’éducation artistique et culturelle portée par Fleur Pellerin et son ministère, notamment vis-à-vis des jeunes publics, et c’est un sujet sur lequel je compte m’investir corps et âme, en essayant de développer avec les équipes de la Cité et en partenariat avec les ministères concernés et les collectivités territoriales, des actions innovantes et modélisables au plan national.

J’ai été également mobilisé par le rôle croissant que doit jouer la Cité pour accompagner le secteur de la BD qui connaît une mutation importante. Ce sont également les défis du rayonnement régional – au sein d’une toute nouvelle région un peu plus grande que l’Autriche – national et international, avec la nécessité de faire vivre un réseau international afin de promouvoir la production française et de s’ouvrir à des œuvres et des courants issus de pays étrangers qui stimuleront et enrichiront les lecteurs, tout autant que les auteurs.

La Maison des Auteurs constitue à cet égard un outil formidable, qui accueille déjà un très grand nombre d’auteurs étrangers, et non des moindres, et dont le travail est salué par tous les auteurs accueillis. La bibliothèque spécialisée avec son fonds très riche ainsi que le centre de documentation sont également de précieux atouts pour attirer des lecteurs curieux et des chercheurs.

L’existence d’un cinéma art et essai est également importante : elle permet de créer des liens entre les deux arts. En outre, l’environnement à Angoulême est extrêmement favorable : Magelis et les écoles de l’image, et particulièrement l’EESI, offrent des perspectives de partenariats très fécondes. Et bien sûr le FIBD, avec qui nous avons des défis partagés à relever dans une logique de complémentarité et de synergie.

Le Musée de la BD vu de la Charente
Photo : P. Métifet - Cité de la BD

Quel est le constat que vous faites en arrivant ?

Je suis frappé par les attentes qui sont exprimées à l’égard de la Cité, aussi bien par les partenaires publics que par les professionnels de la BD : celle d’un lieu vivant, ouvert, ayant une fonction de « référent » pour le secteur et les professionnels. Je suis également très frappé par l’engagement et la mobilisation des équipes, qui recèlent une expertise de haut niveau, reconnue et sollicitée par plusieurs partenaires.

Je me félicite également des excellentes relations entretenues avec le FIBD par l’ensemble des équipes de la Cité. Je connais personnellement Franck Bondoux depuis 2009, et j’ai beaucoup d’estime et de respect pour sa personne et le travail qu’il conduit à la tête du festival. Depuis ma prise de fonctions, nous nous parlons quasiment tous les jours, dans un climat de confiance, et je suis convaincu que les deux institutions ont des intérêts communs à accroître leur collaboration dans les années qui viennent.

La collection permanente du Musée de la BD
Photo : A. Bocos Gil - Cité de la BD

Quel devrait être, selon vous, le rôle d’un établissement comme La Cité de la BD ?

Si je devais le résumer en quelques mots, je pense que cet établissement doit être un phare et une référence pour les auteurs, les professionnels et tous les amateurs de BD, mais également une institution qui s’implique fortement en faveur de l’enjeu d’avenir de la politique culturelle française : la démocratisation des pratiques culturelles, le travail de médiation et de sensibilisation auprès de populations éloignées de l’art et de la culture.

La Maison des auteurs accueille un bon nombre d’artistes chaque année en résidence dpeuis près de 15 ans.
Photo : A. Bocos Gil - Cité de la BD

Dans quelles directions allez-vous poursuivre son développement ?

Je pense qu’il y a trois orientations stratégiques fondamentales : la valorisation et transmission du patrimoine et de la culture BD, le développement des publics, l’appui aux auteurs et aux professionnels, en visant un rayonnement national et international en développant les coproductions et les partenariats. Je pense également qu’à partir de ces trois orientations, la Cité, en tant qu’institution nationale, doit contribuer à la reconnaissance de la BD par les instances académiques et intellectuelles comme objet artistique, car même si des progrès ont été réalisés, des obstacles demeurent, des réticences sont encore palpables et l’approfondissement d’une réflexion critique sur les œuvres, en croisant les regards et les expertises, sera très profitable pour faire progresser cet enjeu.

La BD est-elle, selon vous, un sujet intéressant pour les pouvoirs publics ? Quid de son financement dans l’avenir ?

Je constate un intérêt croissant des pouvoirs publics pour la BD, depuis les années 1980 notamment. Jack Lang a été un acteur essentiel de cette évolution, soutenu par le Président Mitterrand qui ne l’oublions est venu inaugurer en 1990 l’ancêtre de la Cité, le CNBDI. Les festivals financés par les collectivités territoriales et l’État se sont multipliés, de nombreuses bibliothèques publiques ont des fonds BD conséquents, et des projets d’équipements se font jours, tels que celui d’une « Maison de la BD » qui ouvrira à Nantes très prochainement. Cet intérêt est lié à la place de plus en plus importante de la BD dans la société, de sa reconnaissance croissante, mais aussi de son caractère attractif, car issu de la culture dite populaire, qui permet de toucher des publics plus larges - notamment les jeunes - que les secteur traditionnels de l’action publique culturelle.

Concernant la Cité, je n’ignore pas les contraintes financières et budgétaires qui pèsent sur les collectivités publiques, donc il s’agira de diversifier et d’accroître les recette propres de l’établissement, en développant une stratégie solide et volontariste.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

Photo : P. Métifet. Cité de la BD

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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