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Pierre Maurel : « Les créatures de Post Mortem sont juste des outils pour parler des rapports sociaux. »

Par Morgan Di Salvia le 24 février 2012                      Lien  
Après le remarquable Blackbird, Pierre Maurel creuse un peu plus un sillon de bande dessinée d’anticipation politique. Il nous parle de Post Mortem, son dernier album, où les morts-vivants sont stigmatisés comme voleurs d’emplois des « vrais » Français.

Après Blackbird, Post Mortem est une nouvelle incursion dans le domaine de la politique-fiction. Quelle est l’origine de votre prédilection pour ce genre de récit ?

Et bien, ça doit me tracasser un peu... Disons que c’est un moyen de mettre en évidence certaines choses. Appuyer sur des thèmes en les rendant fantastiques permet de grossir le trait pour parler de sujets de société.

Pensez-vous persévérer dans cette voie ?

J’ai envie de changer d’air. Avant Blackbird et Post Mortem, mes précédents ouvrages Trois Déclinaisons et Michel étaient des albums à forte thématique sociale. Je vais changer de sujet pour mon prochain projet. Je n’ai pas envie que mes préoccupations sociales deviennent un fonds de commerce.

Pierre Maurel : « Les créatures de Post Mortem sont juste des outils pour parler des rapports sociaux. »
"Post Mortem"
© Pierre Maurel - Gallimard

Post Mortem est traversé d’une sensation de malaise. On y stigmatise une « race ». Est-ce un ressenti qui est dû au fait qu’il y a près de 20% de vos compatriotes qui envisagent de voter pour une présidente d’extrême-droite ?

Je parle de la France actuelle. Il n’y a qu’à regarder les infos pour voir que la réalité n’est pas très éloignée de ma fiction. Et c’était déjà le cas avec Blackbird. Dans Post Mortem, le gouvernement fait revenir les morts pour les faire travailler. Dans les années 60, la France faisait venir des immigrés pour construire des maisons, et après on les a parqués dans des cités. Mon œil sur l’époque n’encourage pas l’optimisme. Ma source d’inspiration principale, ce sont les informations quotidiennes.

Est-ce que vos préoccupations sociales vous valent d’être invité à parler de l’état de la société en dehors du cadre des manifestations liées à la bande dessinée ?

Pas spécialement. Si c’était le cas, je ne sais pas si j’aurais le bagage suffisant pour en parler de manière intéressante. Je ne suis pas assez pointu politiquement. J’observe ce qui se passe et pas mal de choses m’agacent. Alors, être simplement un mec qui râle, je ne suis pas convaincu que ça serait intéressant. Je n’ai pas envie d’être comme ces chanteurs invités au 20h00 qu’on interroge sur la politique et qui sortent des platitudes.

Un extrait de "Post Mortem"
© Pierre Maurel - Gallimard

Parlons influence. En lisant Blackbird, on pense au roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Post Mortem évoque, évidemment, les films de zombie dans le style de George Romero. Est-ce que ce sont des choses qui vous ont marqués ?

Je n’aime pas tellement Romero. Son premier film était un peu politique, avec l’attaque d’un supermarché, symbole de consommation. Mais après, je dois avouer que les trucs de zombie me laissent super froids.

Pourquoi s’en être servi dans Post Mortem alors ?

Il ne s’agit pas vraiment des zombies, même si les codes sont là. Ces créatures sont juste un outil pour parler des rapports sociaux. En ce qui concerne Bradbury, je me souviens avoir vu le film de François Truffaut. Disons que par rapport à Blackbird, Fahrenheit 451 est clairement positionné comme science-fiction, c’est un autre monde, une autre époque. Alors que mes histoires sont ancrées dans une certaine réalité contemporaine. La preuve : certains lecteurs de Blackbird m’ont demandé quand était passée cette loi qui interdisait l’autoédition !

Vous êtes attaché à garder un pied dans le réel ?

Oui. Je me vois mal dessiner des vaisseaux spatiaux. Je n’ai pas assez d’imagination pour ça. J’ai besoin que mes histoires aient un écho avec la société d’aujourd’hui. J’aime qu’on reconnaisse les rues, des petits détails contemporains qui font que l’histoire résonne un peu plus.

Découpage pour la page 61...

À propos de rue, justement… Le logo titre de votre album est fait à la façon d’un pochoir, vos personnages ont un look baggy, on vous sent sensible au style urbain. Qui passe par un attrait pour le street art ?

Je trouve ça intéressant, mais je ne m’y connais pas vraiment. Disons que c’est une autre forme d’ancrage dans le réel. Je dessine mieux ce que je connais bien. Difficile pour moi, par exemple, de dessiner New York et d’être crédible.

D’ailleurs, la ville où se déroule Post Mortem est un peu indéfinie…

Elle est surtout très inspirée par Google Images (rires) ! Je pense que du coup, le décor est une espèce de synthèse de ville de France, ou d’Europe. Il faut être attentif aux petits détails si l’on veut rester flou. Dans Blackbird, j’avais dessiné des toits avec des tuiles rondes, mais je me suis rendu compte que c’était quelque chose de spécifique du Sud de la France, où je vivais auparavant… Dans Post Mortem, j’ai essayé de gommer ces aspects, pour faire une histoire plus universelle.

... et le résultat final

C’est la première fois que vous publiez une histoire en couleurs…

Je préfère avancer et raconter mon histoire que passer du temps à fignoler la mise en couleurs. Donc cette première expérience a été un peu pénible au début. Je manquais de méthode, ça m’a fait perdre beaucoup de temps. Heureusement, les conseils de Max de Radiguès et Sacha Goerg m’ont permis de progresser rapidement.

Le noir et blanc garde donc vos faveurs ?

Hum… Je prends du plaisir à partir du moment où j’arrive à faire ce que j’ai en tête. Pour mes débuts de coloriste, j’ai sorti les rames !

Détail du crayonné de la page 24
© Pierre Maurel - Gallimard

Pour continuer dans un registre technique, j’ai remarqué que votre découpage était très aéré. Vos planches comptent rarement plus de 5 cases. Est-ce un souci de lisibilité ?

Non, c’est dû au fait que je ne peux pas dessiner en grand format. Je ne sais pas le faire. Mes pages originales sont au format de publication. Mon dessin est fonctionnel.

Comme plusieurs de vos voisins d’atelier, vous pratiquez le fanzinat. Expliquez-moi quel plaisir vous procure le grand écart entre faire des mini-fascicules photocopiés et publier des albums cartonnés en couleurs chez Gallimard ?

Pour les fanzines, même si au final, c’est voué à être une longue histoire, j’aime le principe de faire des épisodes. C’est vite fait. Quand ton chapitre est terminé, tu amènes le PDF au magasin de photocopies et le lendemain matin, ton fanzine est prêt. Cette immédiateté est super agréable. À une autre échelle, le plaisir de faire des livres est tout aussi grand. Et si on compare avec les délais du cinéma, les six à huit mois de fabrication d’un album ne sont pas si longs… C’est le plaisir de raconter une histoire qui compte.

Est-ce que travailler pour un gros éditeur a changé quelque chose dans votre processus créatif ?

Je le pensais a priori. Mais dans les faits, ce n’était pas le cas. La seule différence chez Bayou, c’est que j’ai présenté un découpage général de l’histoire au tout début de notre collaboration.

Ça veut dire que vous travaillez en laissant une large part à l’improvisation ?

En général, je sais où je vais. Mais j’ai besoin d’imaginer les séquences au fur et à mesure.

Pierre Maurel à Bruxelles
en février 2012
Livret de Phamille
© JC Menu - L’Association

Un mot de vos prochains projets ?

C’est encore trop tôt pour en parler. Comme je vous le disais, je pense changer de registre, car je n’ai pas envie d’être étiqueté comme un petit Ken Loach de service.

Une dernière question, pour conclure, quel est l’album qui vous a donné envie de faire ce métier ?

Lorsque je suis parti vivre à Montpellier, j’ai fait la connaissance de Mattt Konture et Olivier Josso. J’avais 17 ou 18 ans, et ça m’a beaucoup marqué de rencontrer de dessinateurs hors des circuits commerciaux habituels. Les planches de Mattt étaient construites d’une manière totalement différente de ce que j’imaginais. Il n’y avait pas de cases tracées à la règle, ou de crayonnés, les planches de Konture, c’était de la cuisine. Mais, si je devais me souvenir d’un livre en particulier, je citerais « Livret de Phamille » de Jean-Christophe Menu. C’est très différent de ce que je fais, mais c’est un de mes albums favoris. Et du point de vue du dessin, Menu reste mon dessinateur préféré.

(par Morgan Di Salvia)

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Code EAN :

Photos © M. Di Salvia

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A propos de Pierre Maurel, sur ActuaBD :

> Pierre Maurel, dessinateur militant

> Le jour où l’autoédition fut interdite

 
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