À l’origine, il y a un enfant d’à peine trois ans qui, en 1963, découvre comme nombre d’autres la première grande série animée nationale diffusée à la télévision japonaise : Astro Boy, créé onze ans plus tôt par Osamu Tezuka. Ce gamin grandissant avec les œuvres du maître se nomme Naoki Urasawa et c’est nourri par l’humanisme qui s’en dégageait qu’il s’est lancé lui aussi dans le monde du manga.
Par ses talents créatifs, le jeune prodige ne souhaite pas simplement divertir. L’ambition qui l’anime est de transmettre ses propres interrogations sur l’humanité et de défendre un idéal, au même titre que son modèle. Primé dès l’âge de 22 ans puis couronné de succès et gratifié de nombreuses récompenses pour des œuvres telles que Monster ou 20th Century Boys, fort de plus de 100 millions de livres vendus dans le monde, Urasawa est très certainement devenu un digne successeur de Tezuka
C’est donc l’épisode du Robot le plus fort du monde (disponible dans le volume 5 de l’anthologie Astro Boy éditée par Kana) qu’a choisi l’auteur, car c’est précisément celui-ci qui était à l’origine de sa vocation de mangaka. Mais cet histoire a aussi été retenue pour les messages qui y sont distillés : Mise en garde face au surarmement et réflexion sur ce qui fait réellement la force d’un être, qu’il soit artificiel ou non.
Après avoir tout d’abord gentiment refusé dans un premier temps, Macoto Tezuka, fils aîné d’Osamu et spécialiste en art visuel, a finalement accepté le projet de Naoki Urasawa en le supervisant, mais à la condition que ce dernier le travaille à sa manière sans chercher à coller au style Tezuka. Avec Takashi Nagasaki, l’auteur s’est donc attelé à sa propre version du Robot le plus fort du monde. Une vision très personnelle du récit, gardant les éléments principaux mais recuisinés dans une nouvelle sauce, forcément plus adulte et plus sombre.
Mont-Blanc, robot suisse défenseur de la nature adulé de tous, de même qu’un humain militant pour les droits des robots ont été assassinés. Chose étrange : sur les lieux des deux crimes, les autorités ont découvert des cornes plantées dans la tête de l’un et l’autre. Mais ces meurtres ne s’arrêtent pas là. Le mystérieux criminel semble prendre pour cible les sept robots les plus puissants du monde. Sept merveilles de technologie mais aussi armes de destruction massive qui ont chacune servi dans l’armée de maintien de la paix lors du 39e conflit d’Asie Centrale. L’inspecteur Gesicht chargé de l’enquête est l’un d’entre eux et, dans ce cadre, il est amené à voyager de pays en pays afin de les rencontrer et de les mettre en garde du danger qui les guette.
La première grosse différence entre l’épisode dessiné par Osamu Tezuka et cette nouvelle vision est bien entendu visuelle. Urasawa use des talents dont il dispose :un trait réaliste et des personnages parfaitement identifiables, difficile de reprocher quoi que ce soit tant son dessin est juste et précis. Dans cette veine, conforté par la demande de Macoto Tezuka, le mangaka a fait le pari de donner une apparence humaine troublante aux principaux robots, dont Gesicht et Astro. Un choix d’autant plus perturbant qu’il sert à merveille le fond philosophique du scénario.
Justement, le scénario amène l’autre modification importante opérée par Naoki Urasawa. Dans Pluto, Astro n’est qu’un second rôle laissant les projecteurs se braquer essentiellement sur l’inspecteur Gesicht, personnage qui, paradoxalement, n’apparait que dans sept pages à peine du Robot le plus fort du monde. En nous faisant suivre les investigations et une partie du quotidien de l’inspecteur-robot, le mangaka s’éloigne de son modèle pour mieux développer un récit profond, loin du simple polar, porté par un sens de la narration en tout point parfait.
Et ce récit contient toute l’essence-même du travail d’Urasawa, qui vient souvent en écho des thèmes développés par le maître de Takarazuka : la désincarnation du mal absolu en opposition à l’humanité pour démontrer que celui-ci ne peut se contenter d’une simple définition ; les affres de la guerre aussi, en puisant ouvertement du côté du deuxième conflit ayant secoué l’Irak.
L’art s’infiltre également dans cette histoire, et précisément entre les mains de robots qui pourtant ne possèdent pas la perception humaine de cette forme d’expression. Une autre façon inattendue de leur insuffler la vie.
On ne sait pas encore comment Naoki Urasawa et Takashi Nagasaki ont clôturé la série et s’ils se sont éloignés encore plus de ce que contait Tezuka, mais ces trois premiers tomes suffisent à affirmer que les co-auteurs ont réussit là un hommage d’une grande force.
Notons pour finir que Yves Schlirf, directeur des éditions Kana, a annoncé durant le Salon du Livre de Paris la publication de l’édition colle tor après le huitième et dernier tome de l’édition simple, soit fin 2010 / début 2011. Cette version collector, parue parallèlement au Japon, propose un plus grand format, des couvertures cartonnées argentées et des fascicules comportants croquis et autres éléments bonus.
(par Baptiste Gilleron)
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