Peter Kuper est un artiste qui se situe aux confluents de deux mondes souvent séparés, celui de l’illustration et celui de la bande dessinée. Il fait également partie des artistes engagés dont le point de vue politique et social imprègne les œuvres.
Le Système, premier de ses albums parus en Français (en avril 2004, chez l’An 2), en témoigne. Ce portrait d’habitants de New York est sans concession... et sans paroles. Kuper y utilise de belle façon les possibilités narratives de la bande dessinée, faisant preuve d’une imagination sans borne dans les transitions entre les scènes. Ses couleurs chatoyantes sont tout aussi prenantes que son point de vue.
Son adaptation de La Métamorphose de Kafka (octobre 2004, Rackham) était elle aussi une belle réussite. Cette fois-ci en noir et blanc, la terrifiante histoire de l’homme transformé en cafard prenait une nouvelle vie sous le crayon de Kuper, qui ne se prive pas là de la parole. Le style de l’artiste fait immanquablement penser à l’esthétique de l’Expressionnisme allemand, dont il revendique d’ailleurs l’influence (par exemple celle d’Otto Dix pour cet album en particulier).
Bien évidemment, son utilisation de la carte à gratter renvoie également aux gravures sur bois d’artistes du début du XXème siècle comme Frans Masereel ou Lynd Ward. Le lien entre leurs romans sans paroles et le travail de Kuper va plus loin : Masereel et Ward [1] ont tous deux joué un rôle de commentaire social et politique à propos de la société de leur temps, et Masereel était reconnu comme un progressiste [2].
Kuper a également réalisé de nombreuses illustrations, par exemple des couvertures de magazines [3]. Mais il continue de travailler avec d’autres artistes sur World War III, un magazine indépendant où les auteurs donnent libre court à leurs
critiques de la société.
Dans Points de vues, publié par Çà et Là, un nouvel éditeur, Kuper utilise une structure fixe assez originale : chaque strip est composé de quatre cases où l’on découvre divers événements vus par un observateur inconnu, plus une cinquième révélant l’identité de l’observateur, souvent de façon plutôt imprévisible. Il y a donc dans cette série, réalisée en partie pour le New York Times qui publiait là ses premières BD, un côté ludique certain. Mais comme à son habitude, Kuper ne se contente pas de nous divertir, bien au contraire : les maux de notre mode de vie sont campés en quelques dessins très évocateurs.
Avec son petit format carré et sa centaine de pages bien remplies, Points de Vue est un album dont se dégage un humour poliment désespéré. À mettre entre les mains de tous les optimistes invétérés.
(par François Peneaud)
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Site de l’éditeur.
Site de l’auteur (en Anglais).
[1] Deux romans de Ward sont disponibles sur cette page.
[2] De nombreux exemples de son travail, et deux de ses romans en entier, se trouvent sur ce site. Quelques images représentatives sont reproduites ici.
[3] On en trouvera de nombreuses dans Speechless, une superbe anthologie des travaux de Kuper publiée par Top Shelf.