Actualité

Pour séduire le public féminin issu de la diversité, Marvel lance une super-héroïne française et une autre musulmane

Par Pascal AGGABI le 22 février 2015                      Lien  
La loi du marketing prend parfois de curieux détours : s'apercevant de la féminisation de son public, visant aussi des populations auxquelles elle n'accède pas encore, Marvel Comics lance une super-héroïne française et une autre musulmane.

Cette héroïne, apparue pour la première fois dans la dernière planche du comics Wolverines #2, série nouvelle qui fait suite à la mort annoncée de l’hirsute mutant aux griffes en adamantium Wolverine, est une voleuse experte qui peut créer des illusions dans la tête de ses adversaires et échapper ainsi aux balles qui la ciblent... Pratique dans son activité. Elle dispose également d’un lien psychique avec son drôle d’animal, un renard étrange du nom de Culpepper, victime probable, comme elle, du programme de l’Arme X... Mais c’est le troisième numéro de Wolverines qui introduit vraiment ce tout nouveau personnage, à priori une Française, qui répond au doux nom de Fantomelle.

Pas de rapport avec Fantômette, personnage fameux des romans jeunesse de Georges Chaulet publiés dans la Bibliothèque Verte chez Hachette, mais plutôt avec Fantomex, un membre des X-Force, une équipe de mutants made in Marvel à qui le programme Arme X (projet gouvernemental canadien qui avait pour but de modifier des hommes ou mutants afin d’en faire de parfaits soldats. C’est ce programme Arme X qui a greffé un squelette en adamantium sur les os de Wolverine) qui aurait en quelque sorte copié ou volé les pouvoirs pour créer Fantomelle. Cette mutante artificielle a survécu à Paradise, curieuse organisation développée par la série dans un imbroglio narratif dont les comics ont le secret et dont on vous épargne pour l’instant les détails...

Pour séduire le public féminin issu de la diversité, Marvel lance une super-héroïne française et une autre musulmane

Cette maîtresse-voleuse semble dévolue à un domaine particulier : dérober des accessoires appartenant à des super-héros, qu’elle revend à un courtier-receleur spécialisé dans ce genre de souvenirs. Étrange, non ? Décidément, les collectionneurs en tous genres, avec leur soif frénétique d’exclusivités sont d’irrécupérables fous furieux.

On se souvient également, pour rester dans ce domaine qui valorise honteusement notre fibre cocardière appuyée, de Nightrunner, un autre super-héros français "récent" appartenant à l’univers de DC Comics, de son vrai nom Bilal Asselahe. Créé en 2010 par le scénariste anglais David Hine et le dessinateur Tom Lyle, il était d’origine algérienne et de confession musulmane sunnite. Il venait de Clichy-sous-Bois et fut repéré par Batman qui voulait en faire un assistant combattant du crime. Un personnage qui avait fait du bruit, notamment auprès des politiciens conservateurs des États-Unis...

On remarque au passage que l’industrie des comics s’est engagée depuis un certain temps dans un vaste plan de féminisation et d’ouverture de ses titres aux diversités ethniques sexuelles, religieuses et sociales.

Un marketing de la diversité

Fantomelle peut en être vue comme un bon exemple. Déjà, Axel Alonso éditeur-en-chef chez Marvel Comics, structure éditoriale qui a souvent eu un coup d’avance sur ces questions sociétales, l’affirme : "Sans afficher de politique officielle en la matière, la volonté serait à la promotion de la diversité, que ce soit en termes de protagonistes, de fiction comme au niveau du choix des artistes. Lentement, nous avons fait des progrès sur ce front particulier."

Il est vrai que, en ce qui concerne la représentativité féminine, une étude du marché du marché étasunien datant de 2014 avait révélé que 46,67% des lecteurs de comics étaient des lectrices, d’où cette attention soudaine.

C’est là d’ailleurs qu’Alonzo y va sans détour : "Nous croyons qu’il existe un public de femmes qui ont faim de comics, et nous voulons nous assurer qu’elles obtiennent de quoi se sustenter. C’est une réponse par l’affirmative. Dans la logique capitaliste !" Voilà qui a le mérite d’être clair. Il rajoute, en bon communicant : "Nous sommes à un niveau record d’environ 30% de femmes dans la rédaction du groupe, environ 20% de notre gamme est constituée de comics avec des femmes super-héroïnes, et notre gestionnaire principale de talents, Jeanine Schaefer, recherche activement des scénaristes et des artistes femmes. Ainsi, vous pouvez voir que nous sommes à l’écoute des préoccupations de nos fans afin de faire les choses au mieux à leur endroit." On n’en a jamais douté...

La féminisation de l’univers des super-héros

C’est ainsi que le personnage Thor le dieu nordique, symbole s’il en est de la virilité, a été remplacé dernièrement par une femme en raison du fait que Thor Odinsson -le Thor d’origine- n’apparaissait plus assez méritant pour être le porteur de Mjölnir, le célèbre marteau mystique, symbole de la charge divine asgardienne !

Ainsi aussi, la dernière Miss Marvel en date, qui porte le nom de Kamala Khan, est une jeune pakistanaise d’origine, qui plus est musulmane, héroïne d’une série dont l’objectif éditorial est précisément de briser les préjugés des lecteurs américains envers la jeunesse musulmane. Kamala est une Américaine dont les parents sont des immigrés pakistanais conservateurs modérés, et qui se trouve tiraillée entre ses deux éducations pas toujours raccords. On suit sa vie, elle qui a bien du mal à suivre la sienne, notamment dans sa difficulté à s’intégrer parmi ses camarades alors que ceux-ci stigmatisent ce qui la rend différente.

Ses doutes et ses paradoxes sont conçus par la scénariste G. Willow Wilson, Américaine musulmane convertie, tandis que la série à été inspirée par l’éditrice de chez Marvel Sana Amanat qui, au détour d’une conversation informelle, parlait de ses problèmes pour vivre sereinement son quotidien en tant que femme de confession musulmane aux USA. Un sujet qui, loin des tropismes communautaristes particuliers, apparaît comme universel.

Cette nouvelle Miss Marvel qui lutte autant contre un ostracisme latent que contre des super-vilains, a fait du remous au pays de l’Oncle Sam : quelques politiciens ont haussé le ton, surtout après le 7 janvier dernier et les insupportables événements de Charlie Hebdo, aux répercussions mondiales. Kamala Khan a même servi d’étendard en juste contre-feu à l’encontre de certains esprits qui s’échauffaient à San Francisco, pourtant ville ouverte par excellence, attisés par d’opportunistes souffleurs de braises.

Alors oui, il y a un fond de militantisme chez cette nouvelle Miss Marvel musulmane, ou dans cet afflux d’héroïnes, décideurs, artistes représentants de la diversité la plus large, souvent choisis précisément pour s’occuper des titres que cette ouverture au monde concerne.

Rappelons que, depuis longtemps déjà, on avait vu se multiplier dans les comics les personnages chrétiens, juifs, bouddhistes, de couleur, homosexuels, etc. Mais les mots prononcés par Axel Alonzo plus haut en attestent : ces velléités procèdent toujours, il ne faut pas l’oublier, d’une froide logique capitaliste.

Le monde bouge. Connaître le profil de l’acheteur est vital pour toute entreprise moderne qui se veut offensive et pérenne. Pas d’illusion pour le monde des comics, donc, qui est avant tout une industrie. Ce qui n’empêche pourtant pas la créativité : les artistes sont têtus... Dans notre petit monde de la BD franco-belge, pourtant très orienté idéologiquement vers ce que l’on qualifiera à gros traits de "vision humaniste dominante", nous ne sommes pas forcément les mieux placés pour ironiser sur cet état de fait. La BD reconnue comme étant de qualité ne semble être que d’un seul type, enrubanné dans un format qui singe le livre plutôt que l’album, moins prestigieux. Un format cependant que de plus en plus de gens issus de la diversité, crise économique oblige, ne peuvent plus s’offrir....

Pour en revenir aux comics, cette manœuvre d’ouverture des éditeurs US, pleine de contradictions, a cependant le mérite de faire avancer les choses, Axel Alonso l’éditeur-en-chef chez Marvel Comics déclara même dans une interview au quotidien The Telegraph (sept. 2014) qu’il était même ouvert à l’idée d’animer un super-héros transgenre ! Chiche ?

Documents

(par Pascal AGGABI)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

(c) Marvel Comics

 
Participez à la discussion
3 Messages :
  • Ça y est,il est arrivé,le premier super-héros transgenre débarque dans les bacs à comics.Il est écrit par Paul Jenkins déjà primé dans le passé d’un Eisner Award et mis en scène par Leila Leiz.Mieux qu’anecdotique en la circonstance:la coloriste, Tamra Bonvillain, est une femme trans .

    Alters:tel est le titre de ce comics qui paraitra en septembre prochain chez l’éditeur indépendant qui monte Aftershock Comics, un pied solidement ancré à Hollywood , argument puissant pour attirer les grands auteurs et qui a été créé par Mike Marts, ex-éditeur en charge du Batverse chez DC Comics,mais également passé par l’éditeur Marvel.Les credos revendiqués par ce jeune éditeur sont la parité et l’ouverture.On espère que ce goût pour l’universalité et le partage perdureront quand il s’agira de répartir équitablement les droits d’auteurs au moment des adaptations par les studios,s’il y en a.

    L’histoire raconte les tribulations de Calice qui se révèle être en fait Charlie, un garçon qui commence sa transition et a commencé à prendre des hormones,alors que dans ce futur proche, des personnes avec des capacités spéciales commencent à émerger - les Alters - dont les mutations leur donnent un "hyper-avantage" :https://www.theguardian.com/books/2016/jul/04/first-transgender-superhero-chalice-alters-aftershock.

    Alors,vrai esprit d’ouverture on ne peut plus sain,stratégie commerciale ou une manière de céder aux revendications communautaristes -dont justement les militants LGBT se sont fait une spécialité,mais ils sont loin d’être les seuls- parfois haineuses ou totalement absurdes,dont sont de plus en plus souvent victimes les artistes des comics.

    Ce qui fera dire à un de ces auteurs particulièrement bousculé : "A partir de quand les victimes deviennent des bourreaux ?".

    Répondre à ce message

    • Répondu par MD le 7 août 2017 à  20:58 :

      Merci pour l’info.... mais on se souvient de l’échec commercial du label Milestone chez DC vers 1990 (dédié aux minorités ethniques), et on connait le coté conservateur du fan de base américain, qui déplore les changements de sexe récents de ses super-héros préfèrés, ou leur changement d’ethnie.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Pascal Aggabi le 7 août 2017 à  22:37 :

        Les années 90 n’étaient peut être pas les meilleures pour lancer de nouveaux projets de ce genre, le marché était sursaturé ,en pleine bulle spéculative et , en train de dévisser-en 96 Marvel Comics faisait faillite.De plus, le label Milestone n’était pas forcément représentatif de toutes les minorités visibles, plutôt des minorités ethniques comme vous le faites remarquer, ce qui est un peu différent. Par ailleurs, DC Comics n’a pas renoncé à remettre en selle les personnages issus du label Milestone.

        Aujourd’hui, autres temps autres moeurs , c’est différent. Les prospectives ont évolué, le marché avec. On souhaite bonne chance à ce projet.

        Le fan de base n ’est pas conservateur, c’est un cliché blessant un peu trop facilement accolé au lecteur de BD en général, il déplore seulement des changements qu’il juge artificiels , opportunistes et des histoires pas à la hauteur. Ici c’est une création complète, et pas , on l’espère, une simple stratégie .certainement un atout décisif.

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Pascal AGGABI  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD