L’empereur Charles-Quint, ayant bataillé toute sa vie pour un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais, décida d’abdiquer de ses différentes couronnes à l’âge de 56 ans, se retirant dans le Monastère de Yuste.
Jacques Glénat a 57 ans, et l’idée d’abdiquer, en dépit des batailles qu’il a menées pendant 40 ans, ne l’effleure pas une seconde. Le Couvent Sainte-Cécile qu’il vient d’investir n’est pas un lieu où il se retire loin du monde. Au contraire, il a transformé sa nef en vaisseau amiral pourvue d’une bibliothèque destinée à contenir quelque 30.000 volumes d’ouvrages qui ont nourri sa passion d’éditeur : la bande dessinée, la montagne, la mer, la gastronomie…
Le lieu est imposant : Il s’agit d’une ancienne église à la voûte ogivale réhabilitée en une bibliothèque monumentale. Sous nos pieds, les tombes des mères supérieures du couvent. Au-dessus de nos têtes, une série de vitraux conçus par le dessinateur de bande dessinée hollandais Joost Swarte. Le passé et le présent, pénétrés de spiritualité, sont quelques-unes des facettes du catalogue de Glénat.
L’éditeur attend entre 400 et 500 invités. Dans tout le lieu, débordant dans le jardin et dans le chœur des nonnes, des tables ont été dressées avec les mets et les breuvages les plus fins. On n’a pas tous les jours 40 ans et Glénat a voulu faire les choses en grand. Le public s’égaie dans les couloirs de ronde. C’est bon enfant.
Vient le discours du maître des lieux, passionné et intelligent, sans l’ombre d’une prétention, même quand Glénat rappelle qu’il a connu Hergé, Franquin, Jacobs, Tillieux, Peyo,… grâce à un fanzine, Schtroumpf, les Cahiers de la bande dessinée, créé en 1969, ronéotypé sur les presses de la fac et qui lui a permis de rencontrer ces grands personnages du 9ème art.
Le discours fini, c’est au tour de l’écrivain Eric Orsenna (de l’Académie Française) de rendre hommage à l’éditeur du haut de sa chaire. Une homélie brillante où l’orateur remarque une carrière marquée par la curiosité, en prenant soin d’expliquer –on n’est pas académicien pour rien- que ce mot vient du latin cura : prendre soin. Prendre soin des lecteurs, des auteurs, du monde s’emballe-t-il…
Cela avait quelque chose de surréaliste de voir se côtoyer les auteurs des différents labels de la maison : Giardino et Gos, Ptiluc et Wolinski, Manara et Jul, Zep et Arleston, Convard et Maester, Ben Radis et Frank Giroud, Jean-François Charles et Makyo… témoignant d’un catalogue éclectique. Reflet de cette curiosité dont notre académicien parlait tout à l’heure.
À la fin de la cérémonie, le directeur général de la maison, Jean Paciulli, et son directeur de collections, « depuis quarante, faisant comme partie des meubles », Henri Filippini, ont offert à leur patron un album-hommage de ses auteurs, réservé à l’éditeur et à ses amis. Un ouvrage surprenant bourré d’illustrations ponctuées de souvenirs d’Henri Filippini où l’on trouve même une lettre de Claude de Saint-Vincent, PDG de Dargaud, faisant le panégyrique de son concurrent ! Inutile de dire que cet ouvrage sera précieusement conservé par les quelques privilégiés qui en ont reçu une copie, un collector, un souvenir, mieux : une relique !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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