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Pour son 5e anniversaire, le Musée Hergé invite Nat Neujean, le sculpteur de Tintin

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 mai 2014                      Lien  
Son nom ne vous dit sans doute rien. Il est pourtant celui qui, soixante ans avant Spielberg et Jackson, a imaginé Tintin en 3D, concevant des statues étonnantes, mais aussi les fameux "pouêt-pouêt" qui ont bercé notre enfance.

De son vrai nom Nathanaël Neuman, le sculpteur belge Nat Neujean aurait très bien ne jamais sculpter Tintin.

Il est né à Anvers le 5 janvier 1923. À l’âge de14 ans, il quitte le giron familial pour occuper un atelier où il peut s’initier à la sculpture, tandis qu’il s’inscrit comme élève libre à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers, de 1939 à 1942, année où les Allemands, qui occupent la Belgique, exigent l’expulsion des étudiants belges d’origine juive des lieux d’enseignement. Nat Neujean quitte alors sa ville natale pour s’installer clandestinement à Bruxelles. Il y travaille et fait de la résistance sans être arrêté.

À la Libération, il passe deux ans à Paris avant de revenir à Bruxelles où il s’établit définitivement. C’est le moment où il reçoit des commandes publiques, notamment des bustes de David Ben Gourion et d’André Malraux. C’est d’ailleurs à ce dernier qu’il doit indirectement sa rencontre avec Hergé en 1947 : "Quand j’ai eu la commande, j’étais très jeune. Malraux était invité par les Amitiés belgo-françaises, une association dont j’étais le plus jeune associé. Sa présidente, Madame Lorfèvre, est arrivée à inviter Malraux pour venir faire une conférence au palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Il était rempli, surtout d’une jeunesse ! Avec sa voix et son pathos, il a parlé, on n’a rien compris, mais la salle était comme folle. Ils ont cassé des sièges !... Le soir, nous étions invité chez madame Lorfèvre qui m’a présenté Malraux et qui, sans me demander mon avis, lui dit : " - Ce jeune sculpteur va faire votre buste". " - Pas question, je ne peux pas rester à Bruxelles !" "- Il va venir à Paris..."

Pour son 5e anniversaire, le Musée Hergé invite Nat Neujean, le sculpteur de Tintin
Le buste de Malraux par Nat Neujean

Le jeune homme se rend ensuite à l’Ambassade de France. Là, l’attachée culturelle qui était l’arrière-petite-fille du sculpteur Falguière, lui conseille de lui apporter des albums de Tintin. Neujean appelle Hergé qu’il ne connaît alors pas, se fait donner quelques albums dédicacés au ministre du Général de Gaulle, et apporte le paquet au grand homme... qui ne l’ouvre pas ! On ne saura jamais l’opinion de Malraux sur Tintin !...

Neujean fait une carrière brillante qui l’amène à exposer à New York et à Boston en 1964, puis à enseigner comme professeur étranger à la Fine Art School dans cette ville. Il expose aux États-Unis, au Canada, en Belgique, aux Pays-Bas, en France, en Italie, en Angleterre... Il réalise les bustes de Robert Schuman, Henry Moore, Paul Delvaux... et est élu membre de l’Académie royale de Belgique en 1972.

Nat Neujean et son Tintin

"Un vrai garçon..."

Désormais familier d’Hergé, ce dernier lui commande une statue de Tintin. Mais comment transposer un personnage de caricature, aux proportions exagérées par rapport à un corps normalement proportionné (Tintin a une tête nettement plus grosse par rapport au reste du corps) : "J’ai d’abord fait un nu, un vrai nu, d’un garçon qui devait avoir quinze ans, et puis je l’ai habillé, et puis j’ai dû mettre cette petite tête qui, pour moi, ne représentait pas grand chose, il faut le dire comme c’est : parce qu’il n’a pas d’expression. Si j’enlève cette petite tête qui est la création d’Hergé, je peux mettre le portrait d’un jeune garçon. J’avais mon fils comme modèle pour les détails, mais je connais tellement bien l’anatomie que je n’avais pas besoin de modèle. J’ai créé vraiment un jeune garçon. Hergé ne connaissait pas la sculpture, il ne se rendait pas compte du volume. Quand il a vu l’ombre sur le mur blanc de l’atelier, il n’en revenait pas. Il a reconnu Tintin, et il pouvait tourner autour !, car à chaque pas, c’est une autre sculpture, voyez-vous."

Tintin par Nat Neujean

Une fois la sculpture faite, l’esprit commerçant de Raymond Leblanc, le patron des éditions du Lombard, imagina d’en tirer une figurine, ce qui choqua profondément notre artiste : "Parce que je ne retrouvais que l’ombre de ce que j’avais fait. Mais avec ces couleurs, on perdait beaucoup de ces détails qui faisaient que l’on sentait un corps en dessous, un vrai garçon. C’est d’ailleurs ce qui m’a toujours choqué chez Tintin : il n’avait pas de copine. Je l’ai un peu sexué... Je dois dire franchement que je n’ai pas touché un centime sur cette production. C’était prévu, mais j’ai perdu cela de vue car cela ne m’intéressait pas."

La statuette de Tintin qui a servi de modèle au "pouêt-pouêt"

L’esprit de Tintin...

Pour les trente ans du Journal Tintin, l’idée est venue de faire une sculpture de grand format du personnage. "Hergé a voulu que je lui mette des jeans, mais je n’ai pas voulu, raconte-t-il. Je lui ai dit : le corps, c’est moi, l’esprit, c’est la tête que vous avez créée." Montrant son travail à Hergé, celui-ci entreprit de monter sur un escabeau pour lui refaire la mèche et quelques autres détails. Le sculpteur se fit menaçant : "Je ne touche pas à votre dessin, alors j’aimerais bien que vous redescendiez de cet escabeau... Il voulait que je mette Milou entre ses jambes, pas du tout ! Milou, c’était l’esprit, il avertissait toujours Tintin du moindre danger, il était furieux des initiatives de Tintin, c’était sans doute nécessaire pour l’histoire. Moi, j’ai fait un Milou ailleurs, qui regarde s’il y a du danger."

Plus tard, Neujean fera le buste d’Hergé lui-même. Le créateur pressé de Tintin n’a pas le temps, il lui consacre une heure. Notre sculpteur l’achève de mémoire. "Mais je le connaissais bien", dit-il. Quelques années après, il prête son atelier à Tchang, lui aussi auteur d’un buste d’Hergé que l’on peut admirer aujourd’hui dans le centre d’Angoulême : "Il en a fait un Chinois !" persifle gentiment le sculpteur belge de 95 ans...

Le buste d’Hergé par Nat Neujean

Lui qui a dû changer son nom de Neuman en Neujean "pour rester vivant" et qui fit de la résistance, décelait-il en Hergé un antisémite ? "Je n’ai jamais ressenti cela. Pour lui, un homme était un homme ", déclare-t-il, péremptoire.

Ses œuvres, dont plusieurs statues de Tintin, sont visibles au Musée Hergé d’Ottignies-Louvain-la-Neuve jusqu’au 26 septembre 2014.

Fanny Rodwell et Nat Neujean en mai 2014. Autour d’Hergé, un souvenir complice...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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