Il revient ici sur un des aspects de 1914-1918 souvent méconnus mais dont la BD commence à s’emparer : celui des « gueules cassées », ces soldats brisés (dans tous les sens du terme !) dont le retour à la vie civile s’est souvent avéré difficile et douloureux.
Avec ce nouveau diptyque, le scénariste a choisi de suivre le retour au pays d’un poilu sombre et ténébreux.
Comment faire face à l’incompréhension et la maladresse des autres, de la famille ou des amis ?
Après l’enfer des tranchées, le jeune homme a bien du mal à se reconstruire.
Si le projet fou de réaliser une « machine volante » l’aide à renouer avec son fils, ses rapports avec Esther, sa femme, demeurent encore difficiles. L’homme garde au fond de lui un secret, un mystère que ce second tome nous dévoile progressivement.
Très vite le récit prend les allures d’un thriller rural : la mort mystérieuse de plusieurs bovins et l’arrivée de Nivoix (un policier lui aussi mutilé) venu tout spécialement de la capitale jette le soupçon sur tout ce qui n’entre pas dans les normes et les habitudes de ce village perdu des Pyrénées. Alors qu’il commence à revivre le héros va être brutalement rattrapé par son passé.
L’enquête ne tarde pas à se superposer aux soupçons qui pèsent sur sa véritable identité. Qui est vraiment Félix ?
Comme dans ses précédents ouvrages, Laurent Galandon s’attarde sur le parcours d’un personnage simple et modeste en nous dévoilant ses blessures liées à un contexte historique précis.
Si le récit aborde avec tact l’incapacité des « gueules cassées » à se réinsérer il dépeint aussi avec justesse et sans sensiblerie les difficultés relationnelles et intimes de ces survivants.
A l’aide d’une intrigue policière Laurent Galandon et A.Dan nous donnent une lecture originale de l’époque et des conséquences de « la Grande guerre ».
Ces deux-là n’ont pas peur des sujets difficiles ! Après une collaboration réussie autour des contradictions de la guerre d’Algérie avec Tahya El-Djazaïr (publié chez le même éditeur), ils récidivent avec un récit qui ne cède ni à la facilité ni aux modes du moment.
Le graphisme souple et nerveux de Dan, accompagné d’une mise en couleur efficace, sert avec habileté le propos d’une histoire qui hésite entre épopée romanesque classique (le retour du "héros"), l’enquête policière (la mort autour du village), et l’utopie poétique (le rêve de gosse : voler comme un oiseau). De cette curieuse alchimie les auteurs parviennent à tirer un récit captivant dont la conclusion bien qu’attendue réussit à séduire et émouvoir.
Laurent Galandon confirme son talent et s’affirme encore un peu plus comme une des grandes signatures de la BD historique et un pilier de la collection réaliste de Bamboo, Grand Angle.
Annoncée par l’éditeur la publication d’une intégrale est en mesure de relancer ce titre injustement passé inaperçu lors de sa première parution. Une initiative amplement justifiée !
(par Patrice Gentilhomme)
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