Aujourd’hui, les Français devraient l’écrire et le faire circuler sur Twitter : « Je suis Seyfi Sahine ». C’est par lui que le scandale arrive : il publie dans l’hebdomadaire satirique Gırgır une caricature de Moïse guidant les Juifs hors d’Égypte, ses coreligionnaires maugréant contre cette équipée aventureuse...
Figure sacrée pour l’islam comme pour le judaïsme, ce dessin du prophète a provoqué un raz de marée de réactions haineuses sur les réseaux sociaux, certaines appelant à « massacrer la rédaction ». Résultat : Le 17 février 2017, le procureur de la République de Küçükçekmece, impressionné par ce déferlement, assigne le titre en invoquant l’article du Code pénal turc qui punit le blasphème. Quant au porte-parole du président Erdogan, Ibrahim Kalin, il s’est fendu d’un tweet considérant que ce dessin n’avait « rien à voir avec l’humour et la liberté d’expression », pire : que « c’est immoral et un crime de haine. »
Gırgır n’est pas n’importe quel journal. C’est le premier grand journal satirique de la période moderne créé en 1972 par l’éditeur Haldun Simavi mêlant esprit Underground, érotisme, humour et politique. Dans ses belles années, il tirait à plus de 500.000 exemplaires par semaine et jusqu’à un million quelquefois. Il était dirigé par Oğuz Aral (1936-2004) et Tekin Aral (1941-1999) et a dû son immense notoriété à sa sourde opposition aux pouvoirs militaires en place. Toute la génération des dessinateurs et des éditeurs des grands journaux satiriques actuels sont issus de ce journal fondateur. Le titre s’arrêta en 1993 et la marque fut rachetée en 2015 par le groupe Sözcü qui possède aussi un quotidien nationaliste d’opposition, mais dont la politique éditoriale pour Gırgır était d’ordinaire moins incisive que ses concurrents LeMan, Penguen et Uykusuz.
Cet aspect timoré se confirme dans cette affaire car c’est l’éditeur lui-même qui a décidé de fermer le titre, s’excusant pour cette « caricature offensante » qui avait échappé à la vigilance de la direction « débordée et fatiguée », invoquant une volonté délibérée du dessinateur de « mettre l’entreprise dans une position délicate ». Ce brillant patron de presse a même déclaré se mettre à la disposition du procureur pour désigner les responsables... C’est gracieux.
L’étau se resserre sur la presse satirique turque. Après la condamnation de Penguen, l’embastillement de deux journalistes de Cumhuriyet pour avoir publié des dessins de Charlie Hebdo, la saisie du « spécial coup d’état » de LeMan, les pressions sur Uykusuz, c’est le premier des quatre grands hebdomadaires satiriques de Turquie qui ferme, et il s’agit de Gırgır, la symbolique est forte.
Aujourd’hui, nous devrions tous être #jesuisGirgir
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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