La littérature a déjà atteint, depuis bien longtemps, les sommets de la pornographie. La bande dessinée, comme tous les arts, a aussi son « second rayon » avec quelques morceaux de bravoure, si l’on ose dire, signés Crepax ou Pichard. On a vu même certains auteurs s’auto-dessiner, comme dirait Jacques Chirac, « les balloches à l’air » [1]. De Gotlib à Sfar, en passant par Joe Matt ou Frantico [2], la « confession intime » a déjà sa tradition.
Le « journal » impudique
Mais rares sont les récits "confessionnaux" où l’acte d’amour est décrit de façon explicite. La singularité a longtemps distingué Fabrice Neaud et son Journal (4 volumes chez Ego Comme X) qui nous a livré quelques pages poignantes de sa vie sexuelle, d’autant plus touchantes qu’il nous faisait entrer dans son processus mental.
Il n’y avait pas seulement l’exhibition d’un plaisir primaire, il y avait aussi les souffrances qu’entraînait son insatisfaction dans le contexte d’une précarité autant pécuniaire qu’affective. Ouvrant un domaine inexploré de « l’autobiographie », sa démarche avait étonné.
Accomplissement
Pourtant, comme le faisait remarquer Paul Léautaud, on connaît les hommes sur ce qu’ils sont en amour : « L’être intime ne se dévoile-t-il pas là, et le plus sauvage ne s’y montre-t-il pas, parfois, le plus tendre, et le plus réservé le plus libre en paroles ? ». On peut trouver choquants certains moments décrits dans le dernier ouvrage de Frédéric Poincelet, Mon bel Amour (Ego comme X), mais l’ensemble du recueil arpente le mystère de la relation amoureuse avec un sentiment d’inquiétude qui ne se relâche, précisément, que dans ces moments d’abandon. L’aspect formel du livre traduit d’ailleurs bien cette réalité : seule la relation amoureuse, et celle-là seulement, échappe au tâtonnement, au questionnement. Comme dans un passage à l’acte, le dess(e)in s’accomplit.
Désir
Je ne connais pas de liberté plus grande dans ce domaine que la « nouvelle » manga d’ Aurélia Aurita, Fraise et Chocolat parue aux Impressions Nouvelles (préface de Joann Sfar). Ce livre n’est pas seulement un formidable poème amoureux raconté sans retenue, ni pudeur, et qui célèbre avec une authenticité rayonnante les plaisirs intimes de l’amour, il est surtout un discours sur le plaisir qu’attend la femme de l’homme et ceci, exprimé avec d’autant plus d’impudeur (et de curiosité de la part du lecteur) que l’objet du désir n’est autre que... Frédéric Boilet, le célèbre auteur de L’Epinard de Yukiko (Ego comme X) et de Tôkyô est mon jardin (Casterman). On pense évidemment aux textes sur la passion charnelle et littéraire de Henry Miller et Anaïs Nin. Aurélia Aurita, française d’origine chinoise et khmère, se revendique clairement de cette dernière. On ne peut qu’être ému par ce chant d’amour touchant, et d’ailleurs réciproque : à la fin du volume, on découvre le portrait de la dessinatrice par Frédéric Boilet, et c’est ma foi un bien joli brin de fille. Le regard du photographe est plongeant ; il embrasse littéralement son sujet. Incontestablement, le désir est des deux côtés.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Commander « Fraise et Chocolat » sur
Amazon
Commander « Mon bel Amour » sur
Amazon
[1] D’après Le Canard enchaîné, le président de la République avait été un jour surpris au Fort de Brégançon, par un paparazzo, dans le plus simple appareil. Les photos ont circulé dans les rédactions parisiennes sans qu’apparemment personne ne les publie. L’expression est de Chirac lui-même qui s’est montré plutôt amusé par cette anecdote.
[2] Il se raconte que Trondheim et Frantico couchent ensemble...