Une étrange vidéo postée sur le Net met en alerte la police. Un personnage cagoulé d’un journal quotidien et vêtu d’un tee-shirt illustré par le menu d’un smartphone, s’y affiche comme un justicier. Obscur Nostradamus, il met lui-même a exécution ses prophéties. Par les punitions qu’il inflige, il veut restaurer la dignité de tous ces travailleurs journaliers et précaires à la dignité bafouée, chair à canon d’un pays riche dans lequel le partage des richesses reste lettre morte. Leur travail épuisant et dégradant ne leur attire pas les faveurs de la méritocratie, cette vaste plaisanterie.
Semblant de prime abord animé par une vendetta personnelle, mais de plus en plus suivi par les internautes, notre justicier devient un super-héros des réseaux sociaux. Cette voix de la colère qui s’affiche en partage sur le Net gagne en popularité et de plus en plus en de gens adhèrent à son discours. Cette croisade détient en elle-même des effets pervers importants. Paperboy invite les internautes à lui désigner ses futures cibles ouvrant la voie à toute sorte de revanches.
La mise en place du récit se révèle extrêmement rapide, tous les éléments présents étant indispensables avec une fonction d’action claire. Le récit est dès lors haletant et ambigu. Le lecteur se retrouve rapidement immergé dans l’intrigue et n’en sort jamais. Le rythme et le tempo varient suivant les différents niveaux d’intensité et de tension. Le point de vue adopté permet au lecteur d’avoir l’impression fausse d’être omniscient et il se fait du coup surprendre par les tournures que prennent les évènements.
Ce manga touche en plein cœur les troubles nos sociétés modernes. Entre la technologie la plus pointue et un consumérisme sans but, Tetsuya Tsutsui met en avant l’effacement des valeurs sociales les plus élémentaires. On retrouve dans cet univers, une société japonaise malade de son économie, de sa politique et de sa justice. Dans ce monde où l’humiliation est le lot quotidien de la plupart des citoyens, de quelle nature peut être l’indignation ?
Enfant du Net, l’auteur nous décrit les dérives possibles du buzz et de l’information alternative. Les nouveaux médias participatifs sont ici mis en avant. Il les attaque généralement sur des questions éthiques comme cet anonymat du web capable d’entraîner un effet de foule qui peut provoquer un raz-de-marée pseudo-justicier. Le redresseur de torts apparaît dès lors comme un défouloir, il crée un effet de catharsis. Cet activisme relayé par les sites participatifs est plus que jamais d’actualité et, quand un est plusieurs, les anonymes sont puissants. Paperboy devient le grain de sable qui enraye cette société hyper-sécuritaire.
Après Manhole où tout un chacun peut être une menace, Duds Hunt et son délinquant juvénile inadapté à la société productiviste et Reset conduit par un jeune pirate informatique repris de justice, Tetsuya Tsutsui reprend certain de ces attributs pour les combiner et nous offrir une vision acerbe de la société japonaise actuelle. Le point de vue est centré sur cette nouvelle génération qui subit l’impact des actes de ses aînés, tant au niveau économique que politique et qui prive de choix les nouvelles générations qui se retrouvent poussés à la soumission ou à la révolte.
Dans son paradis pavé des plus mauvaises intentions, Tetsuya Tsutsui nous sert une intrigue caustique et tranchante aux personnages tourmentés. Inratable.
(par Vincent GAUTHIER)
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