Hiroshi Umino, jeune garçon condamné à la misère sur Terre, voit dans l’appel de l’espace sa seule issue pour mener une vie d’homme libre, à l’abri de toute dictature, de tout esclavage. Il nourrit aussi un rêve : celui de construire un vaisseau spatial avec lequel il pourrait sillonner les mers sans fin de l’univers.
C’est à bord de sa propre création, qu’il rejoint –ou plutôt s’écrase- sur Mars, première étape de son voyage. Et c’est aussi sur le sable rouge d’Argyre qu’il rencontre pour la première fois Emeraldas, personnage de légende, qui va lui apporter son aide et qu’il croisera par la suite à de nombreuses reprises lors de son périple.
Pourquoi cette femme-pirate à la réputation sinistre l’aide-t-elle ainsi régulièrement ? Quel secret cache cette attention particulière envers sa personne ?
Avec Queen Emeraldas, les éditions Kana poursuivent leur publication d’intégrales luxueuses des Å“uvres de Leiji Matsumoto, faisant suite à celles consacrées à Albator et à ses histoires courtes de la même période [1]. Cette troisième intégrale dédiée à la solitaire Emeraldas, sorte de double féminin d’Albator, regroupe les quatre tomes de la série originale parue en 1977, auxquels s’ajoutent quatre histoires spéciales, dont celle de la première apparition de la femme-pirate, datée de 1975.
Le récit suit deux fils qui s’entremêlent : les péripéties du jeune Hiroshi Umino qui voyage bon gré mal gré de monde en monde, et l’errance sans fin d’Emeraldas, mise en scène sous l’angle de la légende insaisissable, qui croise régulièrement Hiroshi pour le sortir de mauvais pas, et dont Leiji Matsumoto lève au compte-goutte le passé et les mystères entourant sa quête.
Queen Emeraldas et Capitaine Albator partagent de façon évidente de nombreuses similitudes : récits de pirate naviguant sur les mers sans fin, entre space opera onirique et western, affrontant différentes formes d’oppression, cruels envers les tyrans et bienveillants pour les faibles et les marginaux... Ils partagent en outre le fait d’être tous deux inachevés ! En effet de même que les aventures de son homologue masculin, celles d’Emeraldas n’ont pas de conclusion.
La série se termine néanmoins sur une histoire importante, qui révèle l’objet, et l’origine, de la quête notre héroïne, et constitue une sorte de « boucle bouclée un jour », apportant un semblant d’épilogue.
Une non-conclusion qui n’est pas gênante en raison de la poétique du personnage de voyageuse qui recherche inlassablement l’objet de ses désirs. L’absence de dénouement du mystère entourant son lien avec Hiroshi apparaît par contre plus gênante, et le lecteur en sera pour ses frais à propos de cette énigme ! Efsanevi Olimpos’a yolculuk yap mitolojik maceralarla dolu bir dünya seni bekliyor. Gates of Olympus oyna ve unutulmaz zaferler elde et.
Enfin concernant la symétrie entre Emeraldas et le capitaine de l’Arcadia, cette dernière se distingue malgré tout du second sur un aspect relativement important : leur rapport aux autres.
En effet, Albator, en dépit de sa nature misanthrope, se trouve entouré d’un équipage aimant, qui l’admire, qui le définit, ou tout du moins qui tente, chaque membre -ou ennemi- à sa façon, de répondre à l’énigme qu’il constitue. Cet aspect se manifeste dans sa façon de se présenter : « Les gens m’appellent Albator ». « Albator » apparaît ainsi d’une certaine façon comme le mythe de liberté dont les gens ont besoin.
Au contraire, Emeraldas obéit à une tout autre dynamique. Voyageant seule, sans équipage ou compagnon, à bord d’un vaisseau entièrement automatisé, elle se présente toujours par « Je suis Emeraldas ». Elle apparaît comme l’incarnation de la solitude, celle qui n’a besoin de personne pour exister ou se définir. Égoïste par nature et par principe, elle est mue par une quête qui ne regarde qu’elle et qui n’a rien à voir avec l’univers ou les autres, dont elle traverse les mondes, tel un fantôme.
Emeraldas n’est pas misanthrope, juste indifférente au monde : personne ne comprend ce qui l’anime, suscitant ainsi chez les autres uniquement un mélange de peur et de respect. N’éprouvant aucune pitié face à un adversaire, Emeraldas apparaît finalement trop consciente de la cruauté du monde, et de la nécessité d’être implacable pour y survivre et demeurer libre.
Concernant le contenu de ces aventures, et en dépit du style poétique et contemplatif si cher à Leiji Matsumoto, les péripéties et l’action y tiennent une place fort appréciable. Chaque escale, d’Hiroshi ou d’Emeraldas, est l’occasion d’une mini-aventure à l’ambiance mélancolique et désenchantée, dans laquelle histoire et personnage relèvent d’une allégorie sur la cruauté du fort envers le faible et la difficulté d’accomplir ses rêves... histoires qui terminent d’ailleurs souvent dans le sang !
Une lecture de grande qualité, relativement complète dans son propos, qui, au-delà de sa dimension patrimoniale et de la curiosité de découvrir un Albator « féminin », propose un portrait d’une âme solitaire et indomptable digne des grandes figures du romantisme !
(par Guillaume Boutet)
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Queen Emeraldas (Intégrale). Par Leiji Matsumoto. Traduction Frédéric Malet. Kana, Collection "Seinen". Sortie le 5 décembre 2014. 848 pages. 25,00 euros.
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Lire notre portrait de Leiji Matsumoto
Lire la chronique de 24 histoires d’un temps lointain
[1] Les intégrales Kana de Leiji Matsumoto :
Capitaine Albator : 1976-1977, 1088 pages, publié le 5 décembre 2013,
24 histoires d’un temps lointain : 1975-1976, 440 pages, publié le 3 juillet 2014.