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Quelques nouvelles de Tintin et de Nick Rodwell

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 juillet 2014                      Lien  
Nick Rodwell s'est-il assagi, comme il le dit? Il communique en tout cas, parle du second film de Tintin produit par Jackson et Spielberg, parle de la réussite de ses affaires, et éclaircit quelques points d'ombre dans une interview accordée samedi dernier à La Libre Belgique.

Nous avions croisé par hasard Nick Rodwell, le patron de Moulinsart, gestionnaire des droits d’Hergé, dans le train de Bruxelles à Paris quelques jours après le lancement du film de Spielberg dans les salles. Une présence modeste en seconde classe. Pendant une heure, nous avions pu avoir une discussion "off" de la part d’un homme qui était alors sur le mode "silencieux".

Nick Rodwell nous avait paru bien plus avisé que ce que ses détracteurs avaient bien voulu nous faire croire. "Pourquoi je communiquerais ?", nous disait-il alors, "Spielberg le fait très bien." De fait, le film du réalisateur américain a modifié complètement le logiciel de l’univers de Tintin. Avant, c’était un produit haut de gamme, cher, européen, accroché à une certaine nostalgie. Aujourd’hui, il est devenu davantage populaire, et si ses traits en 3D sont bien éloignés de l’épure Ligne Claire d’Hergé, ils sont connus par bien plus de monde qu’avant, sur davantage de continents : Amérique, Asie...

La preuve, selon Nick Rodwell ? "... c’est que 2 millions d’albums ont été vendus en Chine en 2013, car les albums y sont lus et approuvés par l’État. De plus, le film faisait partie des 25 films américains à pouvoir être diffusés dans le pays l’année dernière." Deux millions, c’est deux fois plus que les ventes courantes de l’édition française.

Quelques nouvelles de Tintin et de Nick Rodwell
Fanny Rodwell, légataire universelle d’Hergé, photographiée en mai 2014. Elle a imposé le Musée Hergé alors que son époux aurait préféré des expositions itinérantes.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Un nouveau film d’ici à 2018.

Justement, le film, a-t-il déçu ses commanditaires ? Il a pour l’heure rapporté plus de 373 millions de US$ pour un budget estimé à 120 millions de US$, ce n’est pas à proprement parler un échec, même si les héros en collant de la Marvel ou de la Warner font régulièrement des scores bien supérieurs. La suite est donc envisagée et dépend de l’emploi du temps des réalisateurs-stars qui en détiennent les droits : "Il y aura un numéro 2, confirme Rodwell à La Libre Belgique. Peter Jackson a donné sa parole qu’il en ferait un deuxième après la fin des "Seigneur des Anneaux" & "Hobbit". Il sera libre l’année prochaine. Soit il fait le deuxième Tintin et le film sortira en 2018, soit on récupère nos droits et on peut aller ailleurs. L’accord prévoit qu’ils fassent un film tous les 5-6 ans."

Moulinsart à nouveau profitable

Le fait est que cela a redynamisé complètement l’activité commerciale autour du reporter à la houppe : 80 000 visiteurs pour le Musée Hergé à Louvain-La-Neuve (le musée d’Angoulême affiche 185 000 visiteurs en 2013) dont Nick Rodwell reconnaît qu’il est un peu excentré ; plus de 1,5 millions d’albums et 44 volumes publiés dans la collection Archives Tintin chez Atlas, plusieurs centaines de milliers de hors-série Historia ou Beaux-Arts-Magazine en kiosque, des figurines pour TF1, des maquettes d’avion chez Hachette, une présence accrue des albums Casterman en librairie avec des nouvelles éditions commentées.

Tout cela a fait de Moulinsart une société redevenue profitable : "Depuis quatre ans, nous avons effectivement des bilans très sains avec des fonds propres importants et aucune dette. On a profité d’activités très rentables et du fait que beaucoup d’entreprises voulaient surfer sur le dos de ce film. Ils utilisent l’évènement pour faire avancer leurs propres business, comme Delacre, la Poste, Neuhaus,… Depuis 2000, notre esprit est de tout faire in-house pour nos partenaires et de ne plus vendre de licences. Cette stratégie a été très dure au début, mais là, nous sommes soulagés d’avoir réussi notre pari. Maintenant, nous devons maintenir la cadence et rester dans la top-qualité."

Des relations apaisées avec Casterman

L’un des points clés de cette embellie est sans conteste le retour en grâce de Casterman depuis son rachat par Gallimard. La situation s’était en effet à ce point dégradée que les éditions Moulinsart n’avaient plus de diffuseur : la seule possibilité d’acquérir les formidables albums de la Chronologie d’une œuvre ou la biographie d’Hergé par Philippe Goddin était de l’acheter dans l’une des rares "boutiques Tintin" servies directement par Moulinsart ou sur Internet ! Depuis, Casterman a repris la diffusion de Moulinsart et le chiffre d’affaires est reparti à la hausse.

Rodwell explique à La Libre Belgique sa partie de bras de fer avec l’éditeur tournaiso-germano-pratin : " Il est vrai que lorsqu’on a signé pour le film Tintin, j’avais demandé 3 choses : 1. que Hergé soit l’auteur le mieux payé de Casterman, puisqu’il représente environ 25% des bénéfices de la maison d’édition depuis 30 ans. 2. qu’ils développent un département international, car actuellement c’est nul ! 3. qu’ils soient sponsors du Musée Hergé à hauteur de 50.000€ par an, symboliquement, ce serait tout à fait normal."

Il semblerait qu’il ait partiellement obtenu gain de cause sur le premier point : "Le contrat pour le sponsoring du musée doit être signé aujourd’hui." Quant aux deux autres : "Hergé n’est pas le mieux payé, mais les contacts sont nettement meilleurs avec la direction de Casterman. On espère que le département international puisse voir le jour rapidement..."

Une relation apaisée entre Didier Platteau, timonier des éditions Moulinsart, et les éditions Casterman, ici représentées par son directeur éditorial, Benoît Mouchart, et Jérôme Baron, responsable des droits étrangers.

Sur le Musée Hergé, dont l’équipement a coûté plus de 20 millions d’euros sur la cassette personnelle de Fanny Rodwell, il admet que la rentabilité est fort loin, qu’il se contente de "limiter les pertes". Le personnel en a été resserré et il est dirigé aujourd’hui par Robert Van Geneberg, l’ancien directeur financier des éditions Casterman.

Mais, ajoute-t-il, "Le taux de satisfaction des visites est très élevé. On construit un musée qu’une seule fois dans sa vie… donc on manquait d’expérience. On en avait beaucoup pour des expos, mais pas pour un musée. Il nous a fallu cinq ans pour comprendre ce musée et ce qu’il représente. On est tellement dedans qu’il fallait prendre un peu de recul. Maintenant, on a compris que c’est la meilleure carte de visite au monde. Il nous donne beaucoup de crédibilité aux yeux de nos partenaires. On est là pour le long terme."

Et le nouveau Tintin ?

Ne comptez pas sur Nick Rodwell pour se mouiller dans la question polémique du moment : nous prépare-t-on un nouveau Tintin ? Il connaît la position ferme de son épouse. Il semble avoir repoussé la question à plus tard : "Le grand changement viendra après nous, de nos successeurs. Nous, avec ce musée et le film, on a fait l’impossible. C’est l’essentiel. Bien plus important que de regretter si je suis harcelé ou critiqué. Si les gens pensent que je fais tout pour le fric, c’est leur affaire."

Robert Van Geneberg, directeur du Musée Hergé et administrateur de Moulisart SA depuis 1997.

Aujourd’hui, il se concentre sur d’autres objectifs : "Le projet prioritaire est actuellement de rendre Tintin de plus en plus accessible sur des supports numériques. Nous travaillons en ce moment à ce passage au numérique." Peut-être en effet que face à ces nouveaux enjeux, certaines priorités de l’ancien monde sont devenues accessoires.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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