C’était au bas d’une planche du Captivant d’Yves Chaland et Luc Cornillon : « Merde, Tillieux est mort !Tout fout le camp. »
Maurice Tillieux (1921-1978) revenait du festival d’Angoulême après avoir quitté son ami Jean-Louis Pesch, le dessinateur de Bec-en-Fer chez qui il résidait. Un dépassement hasardeux et c’est le crash. La voiture, lui qui la dessinait comme personne, devenait son tombeau.
Il laisse derrière lui une œuvre d’une intelligence exemplaire pour ceux qui apprécient l’art de la bande dessinée : comme dessinateur avec Félix, Gil Jourdan, Marc Jaguar… et comme scénariste : Jess Long, Marc Lebut, Tif & Tondu, Natacha… Sa trace est indélébile, ses héritiers nombreux, à commencer par ce Yves Chaland qui lui rend hommage et qui contribua à faire prendre conscience de la modernité de ce classique.
Retour en librairie
Pourtant, 32 ans après sa disparition, il reste présent en librairie. Grâce aux intégrales Gil Jourdan dont Morgan di Salvia écrivait dans ces pages qu’il était « un chef-d’œuvre de référence de la BD belge. » Le deuxième tome (1960-1963) est sorti récemment, toujours aussi riche en inédits, toujours magnifiquement édité, avec une éclairante introduction de José-Louis Bocquet, admirateur de longue date du maître. On y trouve quatre « masterpieces » : L’Enfer de Xique-Xique, Surboum sur quatre roues, Les Moines rouges et Les 3 taches . Incontournable.
On le retrouve aussi sur la série Tif & Tondu dont il reprit le scénario à la suite de Maurice Rosy à la demande de son ami Will. Ayant contribué à l’appareil critique du 7e volume, j’ai pu prendre la mesure à la fois de la technicité de ce scénariste-dialoguiste hors pair, mais aussi de ses hésitations et de ses repentirs. C’était un créateur intuitif qui était devenu le messie du scénario dans les années 1970 et qui, pour alimenter une demande abondante, recyclait ses vieux Felix dans une forme plus moderne. S’il avouait une facilité pour écrire, il créait néanmoins dans le doute et cette « revisitation » de ses propres œuvres, comme le fit avant lui Hergé, est sûrement à l’origine de ce regard distancié, éminemment moderne, qui était le sien.
Zappy Max
Même les spécialistes en arrivent à oublier sa série Zappy Max : Ca va bouillir qu’il réalise pour Pilote, dès le N°1 de cet hebdomadaire. Ce travail de commande où il met son dessin au service d’un récit écrit par St. Julien est pourtant symbolique des échanges tendus entre Paris et Marcinelle. Voici Tillieux, une des hautes figures de Spirou, qui passe « à l’ennemi ».
C’est qu’en 1959, il fallait être particulièrement visionnaire pour imaginer l’importance historique que prendront Pilote et René Goscinny, alors « scénariste clandestin » sur Lucky Luke (bien qu’il les écrive depuis 1954, son nom n’apparaîtra qu’en 1962 sur les albums). De la même façon, Tillieux n’était pas encore une « vedette ».
Daniel Depessemier, fondateur des Éditions de l’Élan, vient de republier Zappy Max. Il s’attache depuis quelques années à rééditer les incunables du grand Maurice Tillieux. Cet ancien collaborateur de Michel Deligne sur les publications de Curiosity House, premier éditeur des « Félix » dans les années 1970, avait un temps envisagé de faire une carrière d’auteur de bande dessinée mais choisit finalement le métier plus stable et plus rémunérateur de dessinateur d’étude pour l’industrie nucléaire. Aujourd’hui à la retraite, il crée les éditions de l’Élan qui se donnent comme objectif de publier deux albums par an. Après plusieurs albums de Tillieux, il envisage de publier d’autres auteurs publiés par la revue belge Heroïc Albums, où Tillieux fit ses débuts (mais aussi Tibet, Duchâteau, Greg…), une revue fauchée en pleine gloire, en 1955, par la commission de censure de la Loi de 1949.
« Au début des années 2000, nous sentions le besoin de refaire parler de Tillieux, nous raconte Depessemier. Dupuis ne publiait plus que des intégrales d’ailleurs en fin de parcours. Les jeunes générations n’avaient plus accès à Tillieux. J’ai eu l’idée de publier un hommage à Maurice Tillieux, en association avec Alain Van Passen et Jean-Pierre Verheyleweghen.. Nous avons réuni nos collections pour publier « Achille & Boule de gomme » mais avec les moyens du bord de l’époque. Nous avions tiré à 500 exemplaires. Dans l’introduction, nous avons interrogé François Walthéry et un ami d’enfance de Tillieux. »
Mais une fois l’album sorti, l’éditeur a des problèmes de santé et se retrouve à l’hôpital. Malgré cela, miracle !, sans aucun diffuseur, grâce au bouche à oreille, le tirage s’épuise. Il publie ensuite Bob Bang et Les aventures de Monsieur Balourd et une aventure d’Ange Signe, La Grotte au démon vert, tous tirés à 800 exemplaires et aujourd’hui épuisés. Il faut dire que ces BD de Tillieux sont d’une rareté insigne, jamais sorties en albums.
Zappy Max, né en 1921, était animateur sur RTL, une immense star de la radio à l’époque. Au lancement de Pilote, RTL étant partenaire de l’hebdomadaire, René Goscinny eut l’idée d’animer ses pages avec les « héros » de la radio. C’est ainsi que Zappy Max se retrouve à combattre l’affreux Kurt Von Straffenberg, alias « Le Tonneau » dans un feuilleton qui connut plus de 3.000 épisodes. La version BD figurait en 4e de couverture du journal de Goscinny et connut 44 planches signées par Tillieux pour le dessin et Saint-Julien pour les textes, d’abord sous l’image, puis dans l’image sous forme de bulles. Tillieux abandonna la série ensuite et la confia à Devaux. Elle s’acheva au N°113 de l’hebdomadaire.
Grâce aux éditions de l’Elan, nous avons accès à cet « incunable ».
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Maurice Tillieux par François Walthéry.
Pour obtenir les publications des éditions de l’Elan, prenez contact directement auprès de l’éditeur sur son SITE INTERNET.
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