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Raoul Cauvin : « Ce n’est pas un secret, j’ai vendu 45 millions d’albums »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 11 septembre 2006                      Lien  
Avec le dernier album des Tuniques bleues : "La Traque", la saga des soldats les plus antimilitaristes de l'histoire de la BD franco-belge dépasse le cap des cinquante albums. C'était le moment de faire le point avec son scénariste, Raoul Cauvin, qui monte au créneau pour défendre ses dessinateurs, selon lui mal-aimés de la critique.

On voit arriver Les Tuniques bleues dans Spirou parce que Lucky Luke s’en va ? Cela devait être un peu flippant de se positionner face à Goscinny...

Oui, bien sûr, mais quand tu me dis que je me « positionne » face à Goscinny, je te corrige. Face à Goscinny, je me serais cassé la figure directement. C’est un maître. J’ai choisi justement de ne pas faire du western pour ne pas avoir à l’affronter. Greg, Goscinny, Tillieux, Audiard... qui peut se « positionner » face à des gars comme cela ? Il faut rester modeste, quand même.

Même si on ne se « positionne » pas face à eux, on y est quand même confronté, en tant que créateur...

On est confronté, d’accord, mais en marge.

Raoul Cauvin : « Ce n'est pas un secret, j'ai vendu 45 millions d'albums »
Le dernier album des Tuniques bleues : "La Traque"
(C) Dupuis

On voit bien que tu abordes une période des États-Unis que Goscinny aborde très peu. Tu arrives cependant à faire 50 albums en nourrissant ton scénario de faits historiques, un peu comme Goscinny l’a fait, lui aussi. Fondamentalement, il y a une différence de points de vue ?

Lui, il est resté dans le Western, et Dieu sait si cela lui a réussi, parce que c’était un maître. Moi, pour ne pas aller sur ses traces, et je ne pourrais même pas essayer : il y a des mecs qui vous sont supérieurs, merde !, il faut quand même garder une certaine modestie, j’ai évité de faire du Western. J’ai réussi parce que, voilà, les Tuniques bleues totalisent 50 albums, les ventes sont toujours magnifiques... Mais si j’avais fait du Western, je me serais pété la gueule.

Et donc voici la Guerre de Sécession racontée d’un point de vue antimilitariste...

Oui, dans lequel je mettais une part de moi-même et qui me convient bien. J’ai eu de la chance parce que j’ai pu choisir un créneau qui n’était pas le sien. Comme pour Greg, je n’ai jamais essayé de l’affronter.

Pour faire tes histoires, tu t’es mis à potasser l’histoire des États-Unis. Tu es déjà allé là-bas ?

Oui, mais ça sert à rien. C’est comme si, en Belgique, tu allais à Waterloo. Tu y vois un terril, un lion dessus et des magasins à côté. Aux États-Unis, c’est pareil. Il y a rien.

Le dessinateur peut être sensible aux espaces, aux lumières...

Si peu. Les batailles se déroulaient toujours dans des endroits tout à fait neutres. Cela ne sert à rien d’aller sur le site, à moins que tu assistes à la bataille. Prends la Bataille de Trafalgar. Tu vas sur le site, ça t’avances à quoi ? Tu ne peux que te référer à l’histoire. J’ai quelques livres qui me servent énormément, Lambil a une collection incroyable d’images. J’imagine à partir de cela.

Raoul Cauvin et Willy Lambil. On s’y croirait !!
Dessin de Willy Lambil. (c) Dupuis

En prenant l’exemple du dernier album, La Traque , qu’est-ce qui déclenche un scénario ? Comment repères-tu la bonne idée ?

Pour La Traque, ce sont les gens qui, dans les festivals, m’ont demandé de faire revenir le personnage de Cancrelat. Je me suis dis, pourquoi pas ? Dans l’album suivant, les gens m’avaient dit : « Pourquoi ne faites-vous pas une histoire uniquement avec Starck ? ». C’est ce que j’ai fait. Dans N°52, c’est le site qui m’intéresse, mais je préfère ne pas en parler. Il s’agit d’une bataille que je n’avais pas encore traitée.

Dans la Traque, tes héros poursuivent des déserteurs...

Oui, c’est le fil conducteur : Blutch chasse les déserteurs, alors que lui-même ne demande qu’une chose, c’est de déserter.

C’est la comédie, le moteur ?

C’est l’humour, je le dis et je le martèle. Il en faut pour passer dans une guerre qui a été mortelle et atroce. L’humour, dans le dialogue et dans la situation. Quand quelqu’un rentre chez lui mort crevé et qu’il lit un album des Tuniques bleues pour se détendre, puis qu’ensuite, en festival, il me félicite pour cela, c’est le meilleur cadeau que l’on puisse me faire ! Je respecte les auteurs qui font des œuvres plus sérieuses, des histoires « à message ». En ce qui me concerne, je constate que l’humour passe partout et c’est fabuleux.

Raoul Cauvin et Willy Lambil, une longue complicité.
Photo : Didier Pasamonik (l’Agence BD)

Est-ce que tu as l’impression d’être mal-aimé de la critique ?

Oh là là, oui !

Pourquoi ?

Je ne sais pas. J’ai été aimé de la critique quand j’ai démarré. Puis on devient, comme Goscinny, comme Greg, un « commerçant ». Ce n’est pas un secret, j’ai vendu 45 millions d’albums. C’est un peu comme les boulangers. Au-delà d’une certaine quantité, c’est considéré comme une usine, le pain devient moins bon. Les critiques sont nettement plus acerbes.

Cela vient aussi du fait, sans doute, qu’il n’y a plus de découverte à faire, il n’y a plus d’événement...

Ce soir[C’est la fête du 50ème album de la série. NDLR], il y a des têtes que je n’ai jamais vues. Cela me fait plaisir de les voir. Des prix dans les salons, j’en ai reçus plein ! Il me faudrait plusieurs tables pour les étaler. Mais on n’a jamais remis un prix sérieux à un Lambil ou à un Laudec. Ils ne sont pas reconnus.

C’est la BD populaire qui n’est pas reconnue... C’est le cas de plein d’auteurs, Tibet, par exemple...

Il a quand même eu une médaille...

Il a peut-être un meilleur réseau d’influence que toi...

Oh, mais je m’en fous des titres ! Je ne peux pas me plaindre : je peux m’arrêter de travailler maintenant (c’est d’ailleurs ce que mon épouse aimerait que je fasse), et faire le tour du monde. Mais pour les gens avec qui je travaille, je sens bien qu’il leur manque de ne pas avoir été reconnus. Tout ce que je demande, c’est que l’on reconnaisse de temps en temps un Lambil, un Bédu... car dans leur genre, ce sont des maîtres. Il y a ce calcul que je n’aime pas : comme ils vendent beaucoup, on ne s’y intéresse plus. Personnellement, je m’en fous, j’aurai tout vécu : la vente de Dupuis, ce qui s’est passé il y a quelques mois...

Justement, dans cette affaire, tu as été longtemps discret.

Je lisais tous vos articles, tous les jours, mais tu ne m’as pas entendu. Je n’ai signé aucune pétition. Une fois, un journaliste m’a coincé dans un coin et j’ai fait un appel à la raison. J’étais dans le bon, comme tu vois : tout est redevenu calme. J’attends de la nouvelle direction qu’elle s’immerge dans le dossier et qu’elle prenne les bonnes mesures. Ce n’est pas facile car il y a quand même eu une cassure entre ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre. Je leur fais confiance, car ils m’ont l’air bien.

Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 5 septembre 2006.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire notre chronique du dernier album des Tuniques bleues : La Traque

En médaillon : Raoul Cauvin. Photo : D. Pasamonik.

 
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