Il est né la même année que le journal de Spirou (1938) et le même jour que celui du Journal de Tintin (26 septembre), c’est dire s’il incarne l’École belge !
Il a tout du matou : la démarche souple, l’œil vif, le poil en bataille, des yeux innocents et une bonhomie paisible. Mais méfiez-vous de lui. Il observe tout avec sagacité, rien ne lui échappe. Et si le moindre détail lui permet de filer un trait d’humour, il se jette dessus avec un appétit féroce ! Cauvin n’est pas le père tranquille, débonnaire et placide qu’il veut bien laisser paraître. C’est un fauve de l’humour qui a déjà 45 millions d’albums vendus à son actif.
Chez Dupuis à Marcinelle, où il est le plus ancien à disposer d’un bureau, tout le monde le redoute. Il y vient régulièrement pour humer l’air, apprécier le gibier. Il avait calqué son début de carrière sur celle de Gaston Lagaffe, comme discret employé dédié aux photocopies (authentique !). Mais une fois dans la place, il a dévoré tous les éditeurs qui s’y sont aventurés, Charles Dupuis compris ! Le vrai propriétaire de la maison de Marcinelle, c’est lui ! Si on enlevait ses œuvres du catalogue des nouveautés, la maison Dupuis perdrait la plupart de ses référencements dans la grande distribution. Autant dire qu’elle se trouverait reléguée dans le rayon des fanzines !
Un tel Moloch mérite non seulement qu’on le vénère (en plus, c’est bon pour le dos, tas de larves !), mais aussi qu’on lui donne des lecteurs en pâture. C’est pourquoi Dupuis propose ces jours-ci quatre incunables et un missel.
Parmi ces raretés, on compte :
Les Naufragés (1968), avec des dessins de Claire Brétécher. Ca la coupe, hein ? Pendant que quelques gugusses vérifiaient si la plage était sous les pavés, Cauvin publiait son premier album avec celle qui allait devenir la grande prêtresse de l’intelligentsia parisienne [1]. Quatre ans avant L’Écho des Savanes, cinq ans avant Le Nouvel Obs, les amateurs de BD découvraient « la meilleure sociologue de l’année » (Roland Barthes en 1976, à propos des Frustrés) dans les pages du Journal de Spirou !
- Pauvre Lampil (1974). C’est une œuvre maîtresse, un bijou d’autodérision dessiné par Willy Lambil (Tuniques bleues). Un outil sociologique et historique capital pour la compréhension du milieu de la BD des années 70. Pour les p’tits gars qui se gargarisent en croyant que le summum de la BD se résume aux rognures de gomme de leur atelier (regard circulaire dans l’assistance), sachez que c’était déjà fait avec humour et qualité par Cauvin avant même qu’ils soient nés.
- Le Vieux bleu (1974). Le chef-d’œuvre de Cauvin et François Walthéry (Natacha) explorant un sujet jamais abordé dans la BD : la colombophilie (mais non, ce n’est pas l’étude des épisodes de L’Inspecteur Colombo, tas d’idiots !). Le Vieux bleu, c’est Don Camillo chez les volatiles ! Avec au passage, quelques envolées d’humour bon enfant qui rentrent dans les plumes du genre humain.
Les grandes amours contrariées (1979). Shakespeare avait essayé de nous faire croire que l’amour était une tragédie. Réduisant à néant cette forfaiture, Cauvin, avec l’aide de Bercovici (Les Femmes en blanc), nous prouve qu’amour rime bien avec humour. Cette évidence nous révèle au passage que le dramaturge anglais rimait avec ses pieds.
Le Missel, Raoul Cauvin, l’Homme aux 100.000 gags, n’est donné qu’aux vrais croyants : ceux qui achèteront le coffret comportant ces quatre albums. Alors il leur sera dispensé la biographie –que dis-je ? L’hagiographie !- de ce saint qui nous a tant fait rire, au contraire de bon nombre de soi-disant experts en sainteté.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon, Raoul Cauvin par Didier Pasamonik (L’Agence BD)
[1] Et qui se souvient que Claire a fait ses débuts dans… Tintin, sur scénario de Goscinny ?
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