Il faut en être conscient : culturellement, la bande dessinée vit des moments extraordinaires. Grâce au volontarisme de certains éditeurs, des pans entiers de l’histoire mondiale de la BD sont enfin accessibles au grand public. Dans le domaine des mangas, encyclopédies et éditions de classiques s’enchaînent à un rythme effréné. Dans le domaine de la BD franco-belge, outre l’inflatoire corpus hergéen, c’est par dizaines que les monographies les plus pointues se publient, entraînant la réédition de classiques publiés avec un soin de plus en plus marqué, dotés d’un appareil critique de plus en plus sophistiqué. Mais les comics non plus ne sont pas à la traîne, grâce à un acteur super-actif : Panini.
Pour avoir été partie prenante dans cette aventure, je vous livre ces quelques souvenirs. Dans les années 1990, la BD était au plus bas. L’Association n’avait pas encore trouvé son best-seller et le comic-book n’avait pas la cote. Normal, il avait la réputation de vendre moins qu’une BD traditionnelle franco-belge. Laquelle, il faut s’en rappeler, faisait grise mine.
Elle était en phase de mutation depuis 1984. Le Lombard, puis Dupuis, puis Dargaud avaient à ce moment quitté le giron de leurs fondateurs ; Casterman, Fluide Glacial, les Humanos sont également dans ce cas dans cette période avec quelques années de décalage ; Glénat n’avaient pas encore trouvé son second souffle grâce aux mangas et à Titeuf ; Delcourt et Soleil n’étaient pas encore les moteurs de la croissance de la BD franco-belge qu’ils ont été ces dernières années. Une situation générale de marasme s’en dégageait. C’est pourquoi il est fautif d’attribuer, a posteriori et exclusivement, les mérites d’un renouvellement de la bande dessinée dans les années 1990 au seul label de L’Association, sans prendre en compte le travail de ses contemporains, ni les facteurs économiques exogènes au métier.
Le comics en France, après avoir connu un âge d’or dans les kiosques avec notamment Lug (devenu Sémic), Remparts, Imperia et Artima Arédit, et une percée en librairie grâce à Comics USA, le label de Fershid Barucha passé chez plusieurs éditeurs dont Glénat, avant de devenir une maison d’édition autonome, mais aussi grâce aux Humanoïdes Associés dans les années 1980 et au label Zenda notamment animé par Dough Headline était, dans les années 1990, dans une situation un peu désespérée.
L’arrivée de Panini dans les années 2000 a complètement revivifié ce secteur qui a, d’une part, reconquis les kiosques et, d’autre part, installé durablement depuis 1997 (d’abord en association avec le label Bethy), une ligne de produit de « comics » en librairie. Il faut dire que le libraire Olivier Jalabert, patron d’Album Comics (lequel a quitté récemment ce poste pour devenir éditeur dans une joint-venture entre Soleil et Panini dont nous vous reparlerons) a joué un rôle exemplaire dans la concrétisation d’un business model articulé autour des produits dérivés du comic-book et du cinéma qui s’avère aujourd’hui profitable au reste de l’industrie.
Évidemment, le volontarisme des éditeurs n’est pas le seul responsable de cette « renaissance ». Le succès phénoménal des comics au cinéma et leur adaptation réussie avec X-Men (2000) et Spider-Man (2002) sont les premiers responsables de ce « boom » sans équivalent. Opportunistes, les éditeurs surfent sur cette vague et en profitent pour créer une culture du comics qui lui permet de pérenniser son public. Spider-Man, à ce titre, est un cas d’école.
Créé (totalement ou partiellement, selon les spécialistes) par Steve Ditko pour Amazing Fantasy N°15 daté d’août 1962, Spider-Man, figure emblématique du Silver Age, est un super-héros des plus ordinaires. Ses origines n’ont rien de bien folichon : c’est la piqûre d’une araignée radioactive qui donne à Peter Parker, adolescent malingre et complexé, ses super-pouvoirs. Mais, selon Olivier Jalabert qui préface le tome 1 de la série The Complete Spider-Man Strips (Panini Comics), une magnifique compilation des bandes quotidiennes de Spider-Man parues entre 1977 et 1979, signées par Stan Lee et John Romita Senior, « de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités ». Ces responsabilités, Stan Lee et Romita Sr les prennent en main pour nous raconter le combat, eh oui… quotidien, entre Spider-Man et son ennemi de toujours Fatalis, un joli nom pour symboliser les soucis journaliers de notre super tisseur. L’ennemi de Spidey, terroriste professionnel, a bien l’intention, à l’instigation de James Jameson, le patron du Daily Bugle, de s’inviter à l’O.N.U. lors d’une conférence destinée à lutter contre le… terrorisme. Cela donne une bande quotidienne entamée tambour battant, magnifiquement illustrée par Romita Sr dans un dessin classique avec un scénario dont les dialogues claquent : arrivant au journal, accueilli par le portier par un guilleret « belle journée, n’est-ce pas ? », Jameson répond avec son humeur massacrante : « Comparé à quoi ? La ville est en faillite ! Les rues sont une jungle ! On ne peut même pas voir la pollution… à cause du smog ! ». C’est ce sens du drame, allié à des dialogues plein d’humour qui fait le succès de la série. Le dessin n’est pas en reste : au détour d’une case, on reconnaît le président Jimmy Carter, Anouar el Sadate, Yasser Arafat ou encore Indira Gandhi.
Tout aussi classique, mais plus musculeux, est le Spider-Man de Ross Andru et Gil Kane qui animent le personnage en 1975 sur des scripts inventifs de Gerry Conwayet Len Wein, ici réédité dans L’Intégrale Spider-Man (Panini Comics). Le Grizzly, le Chacal, le Bouffon vert, le Vautour, le Docteur Octopus, Hammerhead, Mysterio, le Cyclone, le Scorpion, la Tarentule, le Schoker… tous ses ennemis se sont donnés rendez-vous dans cette année qui comprend aussi un cross-over avec le Punisher et une visite de notre araignée à Paris, ce qui nous vaut un petit couplet sur « l’ingéniosité yankee ». Le tout entremêlé avec quelques intrigues sentimentales avec Mary-Jane et les attentions régulières pour tante May. Influence des univers concurrents : une spider-mobile apparaît, qui fera long feu et que l’arachnéen traite lui-même de « monstruosité ».
Les amateurs de graphismes plus modernes peuvent se tourner vers la série des Incontournables de Spider-Man et son 8ème volume, intitulé Les Secrets de Peter Parker dont le dessin est assuré par le propre fils du dessinateur de Spider-Man dans les bandes quotidiennes : John Romita Junior, également l’auteur en décembre 2001 d’un épisode de Spider-Man racontant les attentats du 11 septembre. Émouvant. La version de Spider-Man, L’empire de Karre Andrews (Collection 100% Marvel), laisse un peu froid, peut-être parce que le récit ne fait apparaître le tisseur de toile que dans quelques vignettes à la fin du volume. Enfin, photoshopée à mort, la version de Scott Kolins, Le grand voyage (Collection Marvel Universe) qui nous vaut un joli crossover de villains et de super-héros Marvel, confirme que le fil des aventures de l’araignée la plus célèbre du monde n’est pas encore prêt à se tarir.
On conclura en signalant la parution du premier volume de la série Marvel de Luxe, consacrée à Stan Lee, le timonier de la « Maison des Idées », anthologie commentée quelques-unes de ses histoires les plus marquantes signées des plus grands noms de la bande dessinée américaine Steve Ditko, Jack Kirby, Wallace Wood, John Buscema, Neal Adams ou Barry Smith…. En somme, une sorte d’introduction à l’histoire du comic-book Marvel.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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The complete Spider-Man strips, Tome 1
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Spider-Man ; Integrale T.13 ; 1975
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