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Redonner vie à Corto Maltese, l’exposition incontournable du Lyon BD Festival

Par Paul CHOPELIN le 10 juin 2018                      Lien  
En 2014, Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero reprenaient la série Corto Maltese. Après deux albums parus (2015 et 2017), le succès critique et public est au rendez-vous. Cette exposition fait le point sur le travail accompli depuis quatre ans. Une passionnante porte d’entrée dans un processus créatif partagé entre les contraintes de l’héritage prattien et la virtuosité de deux auteurs arrivés à pleine maturité.
Redonner vie à Corto Maltese, l'exposition incontournable du Lyon BD Festival
De gauche à droite : Juan Diaz Canales, Rubén Pellejero, Hélène Persod et JC Deveney

Ce samedi 9 juin 2018, dans le cadre majestueux du salon Henri IV de l’hôtel de ville de Lyon, les festivaliers les plus matinaux ont pu bénéficier d’une visite exceptionnelle de l’exposition « N’importe où sauf à Ithaque », en présence de son concepteur, JC Deveney, et des deux auteurs, Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero. L’occasion de revenir en détail sur les origines de cette reprise qui avait agité la bédésphère à la fin de l’année 2014.

Directives scénaristiques de Diaz Canales et planches originales de Pellejero sont confrontées à des reproductions de planches d’Hugo Pratt pour comprendre les contraintes imposées aux auteurs et comment ceux-ci ont réussi à dégager l’espace de liberté nécessaire au succès de cette re-création.

L’exposition présente ainsi les tout-premiers croquis réalisés, de tête, par Rubén Pellejero, peu après qu’il fut sollicité par Juan Diaz Canales. Ces dessins démontrent d’emblée que si la silhouette de Corto est familière, la posture, les gestes portent une empreinte toute personnelle. L’originalité est moins évidente dans les planches d’essai envoyées à l’éditeur, au tout-début du projet, car elles semblent directement calquées sur le style de Pratt. On peut craindre, de prime abord, une laborieuse servilité graphique, mais une étude attentive révèle que l’angle de vue est toujours légèrement décalé par rapport aux habitudes de mise en scène du maître vénitien. La dynamique de la planche est finalement très différente : d’emblée, Diaz Canales et Pellejero ont su imposer leur propre rythme sans trahir l’univers originel.

Les premiers croquis de Rubén Pellejero
La collection de personnelle de J. Diaz Canales

Ce démarquage est clairement visible dans les planches du Corto Maltese original que chacun des deux auteurs a été invité à présenter, La Ballade de la mer salée pour Juan Diaz Canales et Les Celtiques pour Rubén Pellejero. Tous deux ont été profondément impressionnés, au sens photographique du terme, par le texte et les images de ces albums. Reprendre l’œuvre relève à la fois de l’hommage et d’une démarche de transmission, en provoquant de nouvelles émotions à un nouveau lectorat. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de voir comment l’œuvre de Pratt a été reçue par ces deux anciens jeunes lecteurs des années 1970-1980. Un panneau reproduit notamment une série d’albums et de revues en langue espagnole, de ou sur Pratt, issus de la collection personnelle de Juan Diaz Canales.

Comme le rappelle JC Deveney dans sa présentation, « la série Corto Maltese se distingue par son aspect multisensoriel  ». Les silences de certaines cases, la dimension très contemplative de longues séquences entre deux scènes d’action conduisent parfois le lecteur à imaginer des sons et des odeurs. L’aspect sonore, très présent dans l’actuelle exposition Hugo Pratt du musée des Confluences, est évoqué ici à travers le disque édité par Casterman en 2009 pour proposer un accompagnement musical aux voyages de Corto Maltese. Mais JC Deveney n’a pas oublié de solliciter l’odorat du visiteur. Spécialement pour l’exposition, Hélène Persod, de la société OlphaPhily, a en effet imaginé les parfums de Corto Maltese à partir d’un dessin réalisé par Ruben Pellejero, à qui il incombait de répondre graphiquement à cette redoutable question : «  Et si Corto Maltese était un parfum ? ». En soulevant le couvercle de quatre boîtes en bois, il est possible de sentir successivement l’odeur de vieux livres, du grand large, de la jungle et du « gentleman » aventurier. Il ne s’agit pas de vendre une quelconque eau de toilette – rappelons à ce propos qu’en 2001 Dior avait utilisé Corto Maltese pour rajeunir l’image de son parfum Eau sauvage… – mais simplement de rappeler que le cerveau enregistre les odeurs et que la lecture peut aussi amener à la constitution d’imaginaires olfactifs.

Visite guidée par les auteurs

Plus classiquement, l’exposition revient sur le processus de création des nouvelles aventures de Corto, avec esquisses de scénario et story-boards. Juan Diaz Canales explique n’avoir eu aucun mal à se documenter sur les univers traversés par son héros, que ce soit la côte ouest des États-Unis et du Canada au début du XXe siècle dans Sous le soleil de minuit ou l’Afrique coloniale dans Equatoria. La seule difficulté est la trop grande masse d’informations disponible grâce, ou à cause, d’internet. « Pour donner forme à tout cela, il faut avoir un esprit carré, faire le tri et ne retenir que le strict nécessaire, sous peine de multiplier les références et de perdre le fil de l’intrigue » explique le scénariste. Un contexte historique précis et l’évocation de personnages réels renforcent la crédibilité du récit : « Comme Pratt, j’aime mélanger la réalité et la fiction, pour faire en sorte l’on ne puisse plus distinguer l’une de l’autre  ».

Du scénario au story-board et à la planche

De son côté, Rubén Pellejero confie que s’il multiplie les clins d’œil graphiques à l’œuvre de Pratt, il évite d’en faire trop, pour que les albums ne deviennent des catalogues de citations. L’équilibre entre hommage et création personnelle est délicat à trouver, car il faut satisfaire des publics aux attentes très différentes. Force est de constater que le Corto de Pellejero possède sa propre personnalité et commence peu à peu à s’émanciper de son modèle. Parmi les nombreuses planches originales exposées, on retiendra particulièrement la magistrale scène du combat de boxe extraite de la 28e planche de Sous le soleil de minuit, ainsi que les somptueuses planches aquarellées de Cuento Chino, une histoire courte parue dans la revue Pandora en 2017.

Cuento Chino (2017)

Que ceux qui ont manqué la visite guidée de samedi matin se rassurent : des audioguides permettent de suivre l’exposition en écoutant les commentaires des deux auteurs. À ne pas manquer dans les dernières heures du festival. Demain lundi, il sera trop tard !

Exposition "N’importe où sauf à Ithaque"

Voir en ligne : Page de l’exposition sur le site du Lyon BD Festival

(par Paul CHOPELIN)

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Code EAN :

« N’importe où sauf à Ithaque », exposition dans le cadre du Lyon BD Festival, du 9 au 10 juin 2018, Hôtel de Ville, Salon Henri IV, 1 place de la Comédie, 69001 Lyon.

La liste complète des expositions sur le site de Lyon BD Festival

 
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