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Régis Debray (Philosophe, membre de l’Académie Goncourt) : « J’ai fait venir Tchang en France. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 avril 2011                      Lien  
Ce « Tintin au pays de la politique » a été le compagnon de route de Che Guevara, de Salvador Allende et de Pablo Neruda. Il est aussi un philosophe de l’image à laquelle il consacrera une thèse de doctorat (« Vie et mort de l’image. Une histoire du regard en Occident »). Il a travaillé avec le président François Mitterrand et a fondé les Cahiers de médiologie. Il est aujourd’hui membre de l’Académie Goncourt.

Quelqu’un comme vous qui a été aussi impliqué dans la pensée que dans l’action lit-il des bandes dessinées ?

Oui, parce que j’ai un fils de 10 ans et que je l’initie, comme tous les enfants, à la lecture par le biais de la BD, ce qui m’a amené à relire Tintin. Je ne dirais pas tout Tintin, encore que je suis allé récemment au Musée Hergé à Louvain-La-Neuve en Belgique.

Vous y étiez invité ?

Non, j’y suis allé spontanément, cela m’intéressait. J’ai bien sûr lu aussi Astérix dont je lis actuellement Le Devin, car j’écris un livre sur les prophètes en ce moment. Mais je ne suis pas du tout un spécialiste.

Vous êtes d’une génération où la BD avait une mauvaise réputation.

Oui, la BD était pour enfants. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris que la BD était un nouveau genre d’expression et, disons-le, un nouvel art, avec le cinéma et avant la télé. C’est curieux d’ailleurs, je n’arrive pas à mettre la bande dessinée des débuts : La Famille Fenouillard, Bécassine, dans la BD qui a selon moi une certaine forme de narration spécifique. J’établis une différence entre ce que lisaient mes parents qui s’apparentait aux livres et la BD dans son acception moderne.

Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être en retard. Mais, vous savez, il y a beaucoup de choses qu’on ne comprend plus. J’accuse mon âge… Je veux dire que je l’accuse.

Régis Debray (Philosophe, membre de l'Académie Goncourt) : « J'ai fait venir Tchang en France. »
Régis Debray en avril 2011
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Quand vous lisiez Tintin dans votre jeunesse, est-ce qu’il y a une prise de conscience politique de cette lecture ?

Non. Je vais vous dire. Je n’ai pas connu Hergé mais j’ai connu Tchang, le personnage du Lotus bleu. Quand j’ai été à Shanghaï, j’ai voulu retrouver Tchang. Vous parlez de politique : Le Lotus bleu est un livre anti-impérialiste. Je venais faire à Shanghaï un documentaire sur la Concession française pour rencontrer quelques-uns de ses anciens membres survivants. Cela se passe aux alentours de 1985. Je retrouve Tchang grâce au consulat de France qui avait un vague contact avec lui. Il avait déjà été en Belgique… Quand je le découvre, il a l’air d’un petit bourgeois un peu rondelet, malicieux, assez mélancolique. Il me fait comprendre assez vite qu’il voudrait partir…

Je l’invite au consulat de France et à mon retour, j’en fait part à François Mitterrand et à Jack Lang. On lui donne le visa pour la France et on décide de le faire venir. François Mitterrand lui commande un buste. On s’est un peu lié d’amitié. Il m’a fait découvrir des aspects de la Révolution culturelle dont il avait souffert, bien sûr. Je découvre en fait une sculpture très désuète qui n’avait pas bougé depuis les années 1930-1940, un réalisme socialiste parfait. Il avait fait toutes les calligraphies en chinois dans Le Lotus bleu. C’était un jeune étudiant anti-japonais. C’est là qu’il donne un arrière-fond politique à Tintin.

Sculpture de Tchang au Musée Hergé
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Comment évoque-t-il Hergé ?

Avec une certaine déception. J’ai eu le sentiment que les retrouvailles ne s’étaient pas bien passées, je ne sais pas à cause de qui. Il a eu des problèmes financiers, des problèmes personnels. Il m’a décrit une certaine désillusion.

Vous parlez de Jack Lang. Il est à l’initiative du Musée de la BD à Angoulême. Vous avez l’impression que le gouvernement socialiste donne à la BD une dimension particulière ?

Non. Le gouvernement socialiste, c’est en l’occurrence Jack Lang qui pêche tout ce qui est nouveau, ce qui est sympathique, ce qui est jeune, ce qui émerge… Je ne peux pas dire que cela a été une préoccupation centrale.

Plus tard, vous découvrirez des œuvres un peu plus politiques…

Je n’ai pas une position réfléchie par rapport à la BD. Elle a un tel succès, notamment auprès des jeunes, que des écrivains comme moi ne peuvent avoir qu’un sentiment de jalousie amusée. Je ne vais plus dans les foires du livre depuis très longtemps, mais c’est frappant : il y a la queue devant l’animatrice ou l’animateur de télévision et devant l’auteur de BD ! L’écrivain membre de l’Académie Française ou de l’Académie Goncourt est dans un coin et signe un livre toutes les demi-heures, tandis qu’à côté de lui, un jeune gars auteur de BD n’arrête pas de signer ! Ce que je vous dis là, c’est ce que 10.000 écrivains français ressentent, mais aucun d’eux ne vous l’avouera !

Vous pourriez imiter Michel Onfray, Didier Van Cauwelaert, Tonino Benacquista ou Daniel Pennac et faire des BD à votre tour.

Je préfère faire des films mais je suis tout à fait partant pour ce genre d’entreprise. Faire une BD m’intéresserait beaucoup. Il faut rencontrer l’âme sœur. Benoît Peeters a rencontré François Schuiten… S’il se présentait un dessinateur-narrateur, je serais ravi.

Le message est lancé. La rédaction vous fera passer les candidatures…

Vous savez, l’image m’intéresse. Il y a chez Crepax un érotisme extraordinaire, qui me reste en tête. Le côté glauque et célinien de Tardi, j’adore ! Mon ami Michel Serres est un vrai tintinologue. Je ne le suis pas, j’en ai d’ailleurs un peu marre de la tintinologie. Il y a un snobisme dans la tintinolâtrie que je n’épouse pas. Il faut garder à la BD une dimension de jeu, évocatrice, imaginaire, artistique. Il ne faut pas en faire des thèses !

Propos recueillis par Didier Pasamonik.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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En médaillon : Régis Debray. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Tchang est enterré au cimetière de Nogent-sur-Marne.

Lire aussi :

- Tchang a rejoint Hergé

- Le musée Hergé rend hommage à Tchang

- Le site de Régis Debray

 
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2 Messages :
  • j’ai beaucoup d’admiration pour Régis Debray, ses idées, sa culture, son exigence, et son écriture extraordinaire. Vous pouvez faire passer ma candidature !

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    • Répondu par Macherot le 27 juin 2011 à  21:56 :

      Dommage que Régis Debray n’ait pas cotoyé des gens de sa génération ( voire plus anciens) comme Francis Lacassin ou Alain Resnais !Nul doute qu’il aurait dés les années soixante investi davantage le terrain de l’image dessinée.
      Mais ce qui primait alors pour lui c’était une approche idéologique et engagée de la vie . Je l’aime bien , il est manifestement à côté de la plaque en ce qui concerne la bande dessinée , mais il lui reconnaît une certaine valeur ( réduite ), son exigence " d’amusement " à son propos révèle l’étendue du quiproquo : un intellectuel formaté par l’Université de son temps ne pouvait , sauf rarissimes exceptions , que passer à côté du médium Bande Dessinée...

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