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"Remember Remender" ou la découverte d’un grand auteur de BD américain

Par Aurélien Pigeat le 26 mai 2016                      Lien  
C’est l’un des scénaristes (il est aussi dessinateur) qui a le vent en poupe en ce moment. Et alors qu’il se désengage progressivement des grandes machines de Marvel, on le retrouve sur quantité de séries indépendantes et personnelles dont Urban Comics nous propose actuellement un joli florilège.

Black Science, Deadly Class, Low et maintenant Tokyo Ghost. Autant de genres et d’univers différents, de collaborations différentes, mais toujours une liberté de ton et quelques lignes de force qui commencent à se dégager de l’ensemble. Voilà le terrain de jeu actuel de Rick Remender, fermement installé chez Image Comics, et qui s’en donne à cœur joie et nous régale littéralement.

"Remember Remender" ou la découverte d'un grand auteur de BD américainC’est que s’il a longtemps nourri les séries Marvel, et notamment marqué de son empreinte le monde des X-Men avec Uncanny X-Men, Rick Remender a décidé de développer ses propres héros, de mettre en œuvre ses propres récits. Et cela donne des univers d’une grande richesse dont nous avons déjà rendu compte ici au cours des derniers mois.

Il y eut d’abord Black Science, grande aventure de science-fiction développant le motif des mondes parallèles. Débutée fin 2013 aux États-Unis, la série poursuit son chemin sous le trait de l’Italien Matteo Scalera, le quatrième volume sortant juste outre-Atlantique. On l’espère donc prochainement en France, où Urban Comics a débuté la série l’an dernier et a depuis publié les trois premiers tomes.

Construite autour d’un anti-héros particulièrement détestable, la série se distingue par la diversité des mondes présentés, entre simples uchronies et inventions fantasmagoriques, ainsi que par la vivacité de son rythme et ses nombreux rebondissements.

Puis il y eut, début 2014, Deadly Class, récit plus personnel brodant autour du mal-être d’une génération perdue, dans les années 1980, sur fond d’école du crime. Véritable coup de poing d’une rare intensité, mêlant récit de genre et dimension intimiste, cette série nous semble l’une des belles réussites de l’auteur. Urban Comics nous en a proposé la découverte courant 2015 et le tome 3 vient de paraître.

On y découvre les conséquences de l’expédition menée par nos héros au tome précédent. La famille de Chico venue chercher vengeance donne l’occasion à Maria de sortir le grand jeu. On assiste ainsi à une déferlante d’action rehaussée par le découpage nerveux et inspiré de Wes Craig : brutal et magnifique à la fois. Après cela, le volume nous ramène à l’école où les soucis se multiplient naturellement, la direction décidant de punir comme il se doit nos turbulents élèves.

Un des attraits de Deadly Class : le travail de Wes Craig sur le découpage des planches
Deadly Class T2 © Rick Remender & Wes Craig

Low, comics en eaux troubles

Quelques mois plus tard, Remender remet ça et lance une nouvelle série : Low, en collaboration avec un nouveau dessinateur, Greg Tocchini. On retourne à la science-fiction, mais cette fois nous plongeons au fond des océans de notre planète, des milliers d’années après notre ère.

Le soleil, mourant, a condamné l’humanité à se réfugier sous la surface des eaux. De gigantesques cités s’y sont développées, y ont prospéré, mais le temps de la décadence est venu à son tour et il ne reste plus guère de temps à notre espèce avant son extinction complète.

De profundis
Low T1 © Rick Remender & Greg Tocchini

Le lecteur suit les aventures, tragiques, d’une famille atomisée suite à un drame terrible. Et plus particulièrement la quête de la mère pour sauver non seulement ses enfants mais aussi le genre humain dans son ensemble.

Très beau, souvent cruel, mariant le merveilleux à l’horreur, Low brosse le portrait d’une humanité cynique, se complaisant dans la fange et le renoncement. Il lui oppose, en contrepoint, l’énergie de l’espoir incarnée par Stel, et voilà la tonalité du récit bouleversé par l’impact du personnage.

Tristes et puissants, les deux premiers volumes tout juste parus chez nous offrent une lente remontée vers la surface, à la fois narrative et symbolique, où la tragédie structure une dramaturgie savamment composée. On tremble d’avance en attendant les prochains développements du récit.

Salus, dernière cité humaine des profondeurs
Low T1 © Rick Remender & Greg Tocchini

Tokyo Ghost : tech, drug and TV Show

Enfin, dernière série en date à avoir débutée, en 2015, Tokyo Ghost, avec Sean Murphy au dessin et Matt Hollingworth à la couleur, un duo que nous avions déjà croisé sur un scénario de Snyder dans l’excellent The Wake. Et c’est une vraie claque que nous livrent ces auteurs.

Dans un futur pas si fantaisiste que cela, les ravages écologiques ont bouleversé le monde tandis que la technologie s’est trouvée toute entière livrée au développement de l’industrie du spectacle. Chaque individu se trouve ainsi modifié de façon à pouvoir suivre en continue une multitude programmes tous plus débilitants et débilisants les uns que les autres, chimères plus que probables des émissions de téléréalité de nos chaînes de télévision et des vidéo virales propres aux réseaux sociaux et supports Internet.

Et tous de s’avachir dans des simulacres de canapés, bardés de tuyaux pour les besoins naturels, captifs des images. Produites par Flak Corp, société de production qui détient désormais à Los Angeles les pouvoirs économiques et politiques. Et pour ceux qui y échapperaient, ou n’y auraient pas accès, ne restent que la rue, la violence et la drogue.

Rutilante entrée en matière
Tokyo Ghost T1 © Rick Remender & Sean Murphy
Violent sevrage à la connexion en ligne
Tokyo Ghost T1 © Rick Remender & Sean Murphy

Nous suivons les aventures de Led Dent et Debbie Decay. Le premier est un agent de Flak Corp, le meilleur même. C’est-à-dire le plus accro et le plus décérébré qui soit. Tandis que la seconde est l’une des dernières « zero tech » de la ville, une humaine cent pour cent naturelle. Et pour sauver, et donc sevrer, son amant, Debbie compte fuir à Tokyo, cité dont on dit qu’elle a banni la technologie pour retourner à une vie en harmonie avec la nature.

Outre son propos plutôt ambitieux qui aborde directement des questionnements politiques, environnementaux et sociétaux, Tokyo Ghost mêle des imaginaires issus aussi bien de Mad Max que des univers Cyberpunk, dans un cocktail d’action brutale et par le biais d’un récit à la dramaturgie solidement établie.

Mais c’est surtout le regard que jette le récit sur notre addiction, déjà prégnante, à la technologie qui fait mouche, amorçant une réflexion à laquelle on ne peut qu’être sensible. L’irruption d’Internet, et plus récemment des smartphones dans nos vies ayant, nous le constatons quotidiennement, d’ores et déjà bouleversé notre existence et notre rapport aux autres, nos modes de vies et nos normes sociales.

Comparaison des deux versions, couleur et N&B
Tokyo Ghost T1 © Rick Remender & Sean Murphy

Notons que deux éditions du volume sont parues : l’une en couleur et l’autre en noir et blanc, dans un format un peu plus grand. Rien d’étonnant quand on connaît le dessinateur, Sean Murphy. En effet, et malgré le fait qu’il reconnaisse les talents de coloriste de Matt Hollingworth, il prise particulièrement le trait pur et travaille les planches pour qu’elles existent en elles-mêmes, usant pour cela fréquemment d’aplats noirs.

D’ailleurs, à l’occasion de la sortie du numéro 7 de Tokyo Ghost, la galerie 9e art, à Paris, organise une exposition/vente dédiée à Sean Murphy du vendredi 27 mai au samedi 11 juin. S’il nous semble tenir là un titre à lire impérativement, la difficulté sera ainsi bien de choisir entre les deux versions.

On comprend alors qu’un des autres talents de Rick Remender consiste à savoir s’entourer de collaborateurs, dessinateurs et coloristes de talent pour développer les nombreux projets issus de son esprit fertile. Ce faisant, il s’impose dans le paysage du comics, durablement semble-t-il.

Splendide double page ouvrant la découverte de Tokyo, et servant de couverture à l’édition N&B
Tokyo Ghost T1 © Rick Remender & Sean Murphy

(par Aurélien Pigeat)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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