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Renaud Dilliès : "La musique a modifié ma manière de penser une image"

Par Nicolas Anspach le 31 juillet 2009                      Lien  
Après avoir signé quelques albums aux éditions Paquet, {{Renaud Dilliès}} signe {Bulles et Nacelle} aux éditions Dargaud. Un récit onirique et poétique où l’auteur, à travers Charlie, une petite souris, essaie de trouver une réponse au manque d’inspiration. Rencontre avec un auteur qui n’en manque pas du tout !

Écrivain en mal d’inspiration et fan de Django Reinhardt, Charlie a bien du mal à sortir de son isolement. Ce ne sont pourtant pas les opportunités qui manquent : une girafe enguirlande la ville, un carnaval se prépare, une belle médecin-souris sourit, etc. Charlie y voit-il seulement l’occasion d’une ouverture vers l’extérieur ? Si oui, l’oiseau bleu, Monsieur Solitude, pourrait bien y perdre quelques plumes… « Bulles et Nacelle » est un conte animalier au dessin faussement enfantin. Le lecteur y est mené comme dans un rêve d’une séquence à l’autre, au fil des pérégrinations oniriques ou réelles de Charlie …


Renaud Dilliès : "La musique a modifié ma manière de penser une image" Comment naissent vos histoires ?

De différentes façons. Une idée peut surgir lors d’une ballade ou d’une rencontre. Ou alors une piste notée dans un carnet peut donner un récit lorsque je parcours mes blocs-notes Ce fut le cas pour Bulles et Nacelle. Ces idées seront menées à terme si elles sont en adéquation avec mes envies du moment. Et puis, souvent, j’essaie de trouver des sujets ou des ambiances qui sont rarement utilisés en bande dessinée. Peu d’auteurs parlent de musique. Raconter la musique n’est pas possible, mais pourquoi ne pas parler d’un musicien ? De cette réflexion est née Betty Blues que j’ai signé aux éditions Paquet. On peut aussi raconter la musique d’une manière métaphorique, à travers les sentiments par exemple. Même si le lecteur n’est pas musicien, j’avais envie qu’il comprenne ce que c’est de jouer un instrument. Beaucoup de lecteurs m’ont confié, à propos de Betty Blues : « En lisant votre livre, j’entendais de la musique ». Cela me faisait plaisir car cela signifiait que quelque chose se passait entre mon travail et les lecteurs.

Vous semblez vouloir sortir des sentiers battus en créant à chaque fois des univers particuliers.

Je pars souvent d’un mot pour bâtir une histoire. Pour Bulles et Nacelle, c’est la solitude. Je voulais parler de la solitude. Mais aussi de l’angoisse de la page blanche. L’auteur est seul face à la création. Il lui arrive parfois d’avoir envie d’écrire, mais il n’arrive pas aligner les mots. Cela m’intéressait d’analyser ce moment particulier.

Êtes-vous confronté régulièrement à ces angoisses ?

Cela peut m’arriver. J’ai mis en scène le cliché absolu : un écrivain ! Il est face à sa page blanche. J’ai décortiqué cela d’une manière métaphorique pour savoir ce que représentait ce « blanc ». Il y a d’un côté une inaction car on n’arrive pas à écrire, mais en même temps, le cerveau de l’auteur est en ébullition. Il voit des images et s’interroge en permanence sur celles qu’il garde ou ne garde pas…

Ce récit est métaphorique, mais également onirique et poétique.

Oui. J’aurais pu utiliser la technique narrative de la voix off pour que mon personnage explique ses états d’âme. Mais je ne voulais pas en faire un artiste maudit et tomber dans le larmoyant. Ce n’était pas mon propos. Je voulais juste comprendre ce qui se passait au moment de la création, ou plutôt de l’absence de création.

Le rythme de lecture est irrégulier. Certaines séquences ne contiennent pas de dialogue.

Oui. Cela ouvre une autre façon de lire des bandes dessinées. Laisser des séquences entières sans dialogue permet d’apporter une forme de méditation. Le lecteur continue à lire l’histoire, mais prend le temps de s’attarder sur les images. Je m’amuse avec cela. Par exemple, j’ai dessiné une grande roue dans l’album. Au lieu de la dessiner entièrement dans une grande illustration, je l’ai dessinée par morceau, dans différentes cases. Ces cases forment une grande image. Il y a donc plusieurs lectures possibles. Cela apporte une cassure également. Charlie est tout petit et se retrouve devant la grande roue. Ce moment de silence exprime ce que ressent mon personnage. Malgré le fait qu’il y a peu de texte dans ce récit, j’en ai écrit beaucoup. J’ai dû élaguer et en enlever beaucoup lors de la réalisation afin d’arriver à un résultat assez simple.

Aimeriez-vous réaliser une BD muette ?

Je ne crois pas. Ce serait difficile. La bande dessinée est une combinaison de textes et de dessins. Il se peut que je fasse d’autres albums où le texte aura plus d’importance. Bulles et Nacelle parle de la solitude et force est de constater que quand on vit la solitude, les discussions sont plutôt rares. Le thème se prêtait donc à cela.

Vous êtes également musicien. Est-ce que cela a une influence sur votre travail ?

Ce sont deux activités complémentaires. D’un côté, l’auteur de bande dessinée est casanier et travaille sans voir énormément de monde. Il se passe un an, voire beaucoup plus, entre l’idée d’une histoire et la réalisation des dernières mises en couleur. Et il passe tout ce temps à bosser dans son coin.
La musique, elle, a un côté plus direct. On se retrouve devant des spectateurs qui réagissent directement face au morceau. Dans cette activité, c’est l’instant présent qui compte.

La pratique de la musique m’a appris à être rigoureux. La musique est une forme de « mathématique » et elle m’a apporté quelque chose dans la manière de penser une image, une case. Cela peut paraître étonnant de dire cela.
Et puis, elle me permet de me vider l’esprit. Lorsque je n’ai pas envie de dessiner, je prends ma guitare, je joue un ou deux morceaux. Cela me change les idées. Je me sens bien en jouant. Et quelques minutes plus tard, je me replonge dans mes planches avec plus de sérénité…

Vous êtes dans un groupe de musique manouche ?

Oui. Cette musique revient à la mode. Elle est synonyme de simplicité. On utilise des instruments acoustiques qui produisent des sons basiques. Aujourd’hui, avec la technologie, nous pouvons avoir des sons incroyables. L’innovation et la recherche de nouveaux sons est une bonne chose. Mais il ne faut pas pour autant oublier l’histoire de la musique et particulièrement tous les beaux morceaux du passé. C’est peut être une forme de nostalgie. Mais nous sommes nombreux à nous y intéresser. Il y a une nouvelle génération de musicien manouches.

Avec « Bulles et Nacelle », n’avez-vous pas souhaité réaliser un album d’illustration à l’ancienne avec le langage propre à la bande dessinée, et des personnages à la morphologie plus actuelle ?

Je suis fort influencé par les débuts de la bande dessinée. Le travail de Winsor McCay (Little Nemo), par exemple, est monumental ! Les auteurs de sa génération ont amené un code qui existe encore aujourd’hui. On a encore des choses à apprendre de Segar (Popeye) ou encore Fred Harman. Calvo également. Il réalisait souvent des grandes illustrations en une page. Pourquoi a-t-on abandonné aujourd’hui la simplicité narrative qui caractérisait son travail ?

Quelle technique graphique utilisez-vous ?

Un encrage. Mais je suis proche de la gravure. Les traits et les hachures nourrissent selon moi la bande dessinée. J’aime beaucoup travailler à la plume pour cette raison. Ces hachures donnent un côté « écriture »…

Bulles et Nacelle est également un livre objet…

C’est vrai. J’ai demandé à l’éditeur s’il était possible de l’imprimer sur du « Munken ». Le coût de l’impression est plus onéreux. Mais je souhaitais éviter l’effet de transparence que l’on a souvent dans les bandes dessinées imprimées sur du papier traditionnel. Et puis, ce papier participe à l’effet « hors-temps » de l’histoire : il est légèrement jaunâtre. Le papier a transformé ce livre en un objet particulier. Mais en même temps, cela rejoint le fond de l’histoire. On a là le support qui présente cette histoire au mieux !

Pourquoi avoir toujours représenté vos personnages par des animaux ?

Parce que l’on peut leur donner des expressions quasiment infinies ! En mettant en scène des animaux, le lecteur sait qu’on est dans l’onirique. On rentre directement dans un climat de connivence. La flexibilité des caractéristiques graphiques de ces personnages permet de mieux explorer les sentiments des personnages, tout en allant dans la fantaisie.

Donc, Charlie n’aurait pas pu être un humain ?

Non. Je l’ai pensé très rapidement comme une petite souris. Si j’en avais fait un garçon, je perdais le côté onirique, fantaisiste, ludique de l’histoire. L’histoire serait donc moins drôle, moins étonnante, moins passionnante. L’album aurait été différent !

(par Nicolas Anspach)

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Illustrations (c) Dilliès & Dargaud.

 
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6 Messages :
  • C’est "münchen" et pas "munken", ça vient du nom de la ville de Munich…

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    • Répondu par Munken le 3 août 2009 à  00:30 :

      Faux.

      C’est un papier français : Munken

      Répondre à ce message

      • Répondu le 3 août 2009 à  03:25 :

        Il serait intéressant d’étudier tout ce que Renaud a emprunté à David Dethuin,ils ont je crois travaillé ensemble à une époque.

        Répondre à ce message

        • Répondu par Sergio Salma le 5 août 2009 à  12:00 :

          Je crois plutôt à une correspondance ( toute relative et humble) avec le Maus de Spiegelman et donc au Krazy Kat de Herriman. DeThuin et beaucoup d’autres d’une école très expressive et minimaliste empruntent il me semble à des illustrateurs en grande partie hors-bd . Une ligne sans plein et sans délié, des décors synthétisés, une perspective volontairement non assumée, des couleurs franches.

          Narratif avant tout, ce style navigue entre une certaine forme de dessin animé et l’illustration pour ce qui concerne le graphisme pur. Pas mal d’auteurs de cette mouvance choisissent d’ailleurs des personnages mi-humains mi -animaux , habitude héritée de la littérature-jeunesse elle-même teintée de contes pour enfants. Walt Disney a été un des premiers à réussir ces grands mélanges. A noter d’ailleurs que Hergé lui-même( et en même temps que Disney) avait créé des personnages ayant cette particularité.

          En partant de cette approche , et c’est là que c’est intéressant, les auteurs détournent aujourd’hui l’apparente naïveté d’aspect pour raconter des histoires très différentes les unes des autres. Polars, aventures, fables... Ce graphisme très ouvert permet à peu près tout.

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          • Répondu le 5 août 2009 à  15:51 :

            Et Frère Joyeux ce n’est pas animalier.

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            • Répondu par Sergio Salma le 5 août 2009 à  23:30 :

              Je n’ai point affirmé que Renaud Dilliès utilisait sans exception la bande dessinée anthropomorphique . La chronique parle de ce livre -ci qui m’a renvoyé à Betty Blues évidemment. Les personnages qui sont debout, qui ont des imperméables ou des jeans , qui pensent et vivent toutes sortes d’aventures ( comme par exemple Lapinot, Blacksad ou Canardo) rejoignent bien cette veine héritée de la littérature. D’ailleurs , même pour frère Joyeux, on n’était pas loin puisque c’est une adaptation d’un conte de Grimm.

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