On connaît son dessin incisif, établi d’un élégant coup de pinceau, synthétique et juste. Né le 12 décembre 1945 dans le Finistère, René Pétillon est fils issu d’une famille bretonne catholique et conservatrice. Son père est boulanger, sa mère tient la boutique familiale. Son frère, de huit ans son aîné, fait des études d’électronique. Ses parents fondent leurs espoirs dans le cadet pour reprendre cette activité prospère, mais le jeune homme, pas très intéressé, s’avère être un cancre et s’arrête à la seconde.
Les albums de Tintin figurent en bonne place dans la bibliothèque familiale. Les Pétillon sont abonnés à l’hebdomadaire de 7 à 77 ans, de même qu’à Cœurs Vaillants dont l’aîné faisait la collection. Dans La Vie catholique, La Croix du Dimanche ou Le Pèlerin, le jeune homme s’intéresse d’abord aux pages d’humour. Dans le grenier de sa cousine, il découvre une collection de Paris-Match où publient Bosc, Chaval,…
Vers le dessin d’humour
René Pétillon veut faire du dessin d’humour. Très tôt, il envoie ses dessins aux journaux. Sans grand succès. Un jour, Plexus, « la revue qui décomplexe » créée par Louis Pauwels, accepte de le publier. Dans ce périodique atypique, sa signature côtoie celles de Wolinski, Topor, Jacques Sternberg, Tito Topin, Arrabal… Chez même éditeur, il donne des dessins pour Planète.
Nous sommes en 1968, Pétillon monte à Paris. La ville est en pleine effervescence. À Saint-Germain des Prés, le jeune dessinateur ne tarde pas, grâce à Pauvert, à rencontrer Siné qui vient de lancer L’Enragé. Il commence à placer ses dessins dans divers journaux, mène la vie de Bohème dans une chambre de bonne et collectionne les petits métiers. Le magazine du tiercé Week End lui assure un revenu régulier. Mais un jour, le directeur artistique change et il se retrouve sans travail.
C’est le moment où il commence à bifurquer vers la bande dessinée. Après un premier essai raté, il est finalement reçu chez Pilote. René Goscinny lui écrit personnellement : « - Vous êtes pris. » Mais il ne rencontrera jamais le créateur du Petit Nicolas, celui-ci ayant déjà commencé à prendre ses distances avec l’éditeur de Neuilly, concentrant ses efforts sur le cinéma. Chez Pilote, Pétillon se lie d’amitié avec les auteurs de sa génération : Fmurr, Tardi, Mandryka… Drôle de journal qui réussit le tour de force de réunir dans les mêmes pages Tanguy & Laverdure avec Reiser, Barbe Rouge avec Cabu, Blueberry avec le Philémon de Fred…
Entre le film noir et les Marx Brothers
Pour Pilote, Pétillon crée Jack Palmer, un privé gaffeur au chapeau improbable et à l’imper informe : « J’étais fan des films de Humphrey Bogart et des Marx Brothers. Palmer, c’est un peu le mélange des deux. » L’époque se prête à la satire sociale : les pages du « journal qui s’amuse à réfléchir » vont bientôt accueillir Gérard Lauzier (La Course du rat) ou encore les premières histoires de Martin Veyron (L’Amour propre). Mais, Pétillon ne reste pas chez Pilote. Depuis 1972, Claire Bretécher, Nikita Mandryka et Marcel Gotlib avaient quitté le journal de Goscinny pour voler de leurs propres ailes avec L’Écho des Savanes où fantasmes et sexualité s’expriment sans la moindre retenue. Pétillon les suit : « On sentait bien qu’à Pilote, c’était la fin… ». De fait, « l’hebdomadaire d’Astérix et d’Obélix » passé mensuel en 1974, disparut en 1989.
À L’Écho, Pétillon ne se contente pas d’apporter Jack Palmer : il y crée aussi Le Baron noir. C’est là que Claude Perdriel le repère et lui demande de collaborer au numéro zéro du Matin de Paris (1977). Le dessin est de Yves Got, c’est la première fois que Pétillon travaille avec un autre dessinateur. « Le baron noir, c’était Giscard, raconte Pétillon : « Le changement dans la continuité ». Mon personnage n’arrêtait pas de dire des phrases de ce genre. « Comportons-nous en proies et en rapaces civilisés », c’était ça l’idée ! » On y voit un Parti Communiste, qui était encore à l’époque d’un poids considérable, représenté sous la forme d’un crocodile peu enclin à partager le marigot… La série a énormément de succès. À relire ces pages aujourd’hui (elles ont été rééditées par Drugstore), on remarque qu’elles n’ont rien perdu de leur pertinence : le problème de l’écologie était déjà posé, comme celui de la finance folle…
Pour Pétillon, ces premières années de succès sont chaotiques en vérité. Jack Palmer passe dans BD (1977), un hebdomadaire de très grand format édité par le Professeur Choron et les éditions du Square, où Pétillon retrouve Tardi et Jean-Patrick Manchette. « J’ai quitté l’Écho parce que je trouvais que cela prenait un tour « prise de tête ». Nikita était sous l’influence des gens d’Actuel. J’ai suivi Tardi chez BD et J’y suis resté moins d’un an puis je suis retourné chez Dargaud parallèlement à mon activité pour « Le Matin de Paris ».
Ce bouillonnement accompagne l’arrivée de la Gauche au pouvoir. En 1982, Pétillon publie chez Dargaud son premier vrai succès : Les Disparus d’Apostrophe. Au générique, Bernard Pivot et Jean Edern-Hallier. Cet album (réédité en « intégrale » chez Glénat), où les médias et la politique sont tournés en dérision dans une sarabande folle, atteint bientôt les scores de vente d’un Goncourt. René Pétillon fait désormais partie des plus grands. En 1989, il reçoit le Grand Prix de la Ville d’Angoulême et passe chez Albin Michel quand Dargaud est vendu à Média-Participations. Et là, rebelote, L’Enquête corse remet son détective gaffeur en tête des ventes. Sa méthode de travail a changé : ses histoires sont désormais plus documentées. Son trait, qui a quitté la plume pour le pinceau, se fait plus onctueux, plus ample. Alain Berberian en tire un film. Succès encore.
Le chant du « volatile »
Ce détour par la satire politique ne passe pas inaperçu. VSD demande à Pétillon de commenter l’actualité une fois par semaine. En 1993, c’est Le Canard enchaîné à son tour qui lui demande de rejoindre l’équipe. Cette collaboration le ravit : Pétillon a toujours préféré l’ironie du « volatile » -surnom donné par Charles De Gaulle à l’hebdomadaire du mercredi- à l’humour « coup de poing » d’un Charlie Hebdo. Il a cependant rejoint un moment le journal-martyr quelques temps après l’attentat du 7 janvier. Il n’y resta pas longtemps, le combat de rue n’étant pas sa came. Ainsi, jamais il n’a essuyé de procès : « Je n’aimerais pas donner satisfaction à un personnage politique parce que je lui aurais tapé dessus top fort. Pour moi, la limite, c’est l’insulte. »
C’est donc un grand artiste que couronne le « Festival citoyen » cette année, au moment où Pétillon fait ses adieux au Canard Enchaîné et où la Macronie interroge. Il se consacre, à son rythme, à la bande dessinée entre la Bretagne et Paris. Nos félicitations, Monsieur Pétillon.
Souffrant, l’auteur était absent de Blois, son éditeur étant venu chercher le prix. Mais il promet d’être présent l’année prochaine pour inaugurer l’exposition qui lui sera consacrée.
José-Louis Bocquet, lauréat du Prix Jacques Lob
Le Prix Jacques Lob, cornaqué par Couetch Lob, récompense un auteur, scénariste ou dessinateur-scénariste, ayant déjà publié plusieurs albums. José-Louis Bocquet est le lauréat 2017. Il a déjà derrière lui une sacrée carrière d’écrivain, de journaliste, d’éditeur et de scénariste de bande dessinée, œuvrant sur des séries mainstream comme Le Privé d’Hollywood, Jerry Spring, Dorian Dombre, et bientôt, avec Jean-Luc Fromental, son complice, Blake et Mortimer. Sa biographie d’Hergé avec Jean-Luc Fromental et Stanislas (Dargaud) a fait date. C’est d’ailleurs essentiellement pour les biographies qu’il réalise avec Catel : Kiki de Montparnasse, Olympes de Gouge et Joséphine Baker chez Casterman que le jury du Prix Jacques Lob le couronne aujourd’hui.
José-Louis Bocquet s’est montré très honoré de recevoir un prix qui porte le nom de celui qui, comme lui, avait scénarisé Jerry Spring mais à qui l’on doit aussi Superdupont et Le Transperceneige. « J’ai découvert pour la première fois un scénariste qui n’était pas enfermé dans un seul genre » expliqua-t-il.
Prix Région Centre – Val De Loire pour « Le Perroquet » de Espé
En remettant ce prix qui récompense une bande dessinée « pour sa portée citoyenne », le président de la Région Centre n’a pas caché son émotion, tant cet album, Le Perroquet, aux Éditions Glénat, qui raconte l’histoire d’un enfant dont la mère est bipolaire, l’a touché au plus profond de son cœur. « - Je recommande à tous ce livre qui m’a bouleversé » déclara l’homme politique. Espé portait lui aussi hier soir une grande émotion, rappelant que six millions de Français, soit 10 % de la population étaient affectés par cette maladie.
Le « Prix Ligue de l’enseignement 41 pour le jeune public » qui récompense une œuvre de bande dessinée de qualité pour l’enfance et la jeunesse a été décerné à Jonathan Garnier et Rony Hotin, pour Momo, T. 1 aux Éditions Casterman.
Le Prix Conseil départemental de Loir-et-Cher qui récompense « une bande dessinée de qualité, pour les 11-14 ans » a été attribué à Ulysse Malassagne pour Le Collège noir, T.1 : Le Livre de la lune aux Éditions Milan.
Enfin, le Prix de La Nouvelle République qui récompense un auteur de la région de la zone de diffusion du quotidien est revenu à Face au mur de Laurent Astier aux Éditions Casterman.
Par ailleurs, les « Médailles en chocolat », une espèce de prix « spécial copinage » donné aux personnalités ou aux institutions que le festival apprécie particulièrement, ont été attribuées à la journaliste Laurence Le Saux de Télérama, au dessinateur belge Jean-Claude Servais, à l’Université du Temps Libre de Blois et aux éditions Éditions Polystyrène.
Un joli palmarès qui récompense de vrais talents porteurs de sens.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Le Festival BD Boum de Blois s’achève ce soir.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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