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René Sterne : « Je fais de la BD, nom de Dieu ! »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 16 mai 2004                      Lien  
Il y a quelques semaines, nous avions publié une chronique (plutôt favorable) du dernier album de la série {Adler} (Editions du Lombard) :[ « Le Goulag »-> http://www.actuabd.com/article.php3?id_article=1231]. Sur le forum, des lecteurs avaient réagi sur le rapprochement fait, en début d'album, entre les camps d'extermination nazis et le système du goulag stalinien. Pour nous faire une opinion, nous avons montré l'album à un historien, Joël Kotek, co-auteur d'un ouvrage sur les camps de concentration et d'extermination au 20ème siècle (« Le Siècle des Camps » - Jean-Claude Lattès), par ailleurs responsable pédagogique au Mémorial de la Shoah à Paris. Peu sévère sur le rapprochement sémantique effectué par Sterne, [il avait en revanche critiqué une vision du Goulag-> http://www.actuabd.com/article.php3?id_article=1299] qui lui semblait éloigné de la réalité.

René Sterne : « Je fais de la BD, nom de Dieu ! »  La remarque de Joël Kotek vous blesse ?

-  Difficile de rester indifférent à cette stupide mais stupide polémique au sujet et autour du Goulag ! Là que je rentre de Belgique et que je lis tout ça... Maudits soient les pisse-froid ! Je fais de la BD, nom de Dieu ! J’ai jadis enseigné l’Histoire et j’ai pour cette discipline beaucoup de respect. C’est pourquoi je rentre toujours dans mes sujets avec beaucoup de prudence et jamais sans avoir fait le tour de la question par tous les moyens mis à ma disposition. Pour « Le Goulag » — j’en parle dans mon site — j’ai lu Chalamov, Rossi et Soljenitsyne et d’autres encore. J’ai visionné plus de vingt-quatre heures de documentaires tous plus poignants et plus édifiants les uns que les autres. Des centaines de photos... Il m’est souvent arrivé de pleurer en bossant dessus, comme le faisait (excuse la comparaison qui n’est que factuelle) mon maître et aîné Steven Spielberg, en tournant Schindler. Mon souci a aussi été de rappeler, à ceux qui la connaissaient, la dure réalité du Goulag soviétique et à donner envie à ceux qui n’en connaissaient rien de s’interroger et de s’informer dessus.

Ensuite, j’ai cherché à m’éloigner des faits. J’ai dessiné, oublié tous ces détails qui « dépoétisent » le récit. Et j’ai réalisé « Le Goulag  ». Humble opus d’un simple auteur de BD qui ne cherche rien qu’à faire passer des sensations et des émotions en racontant une histoire qui tient debout.

Et puis, malheur à moi, j’ai eu à cœur de rendre un petit hommage aux dizaines de millions de victimes de ce terrible système de broyage de chair humaine en m’excusant un peu de me servir de leurs ombres comme toile de fond à cette petite aventure d’un non moins dérisoire héros de Bande Dessinée. Aïe !

Dites-moi, nom de Dieu, ce qu’il faut faire pour bien faire et pour ne pas se faire épingler à chaque fois qu’on se mêle de toucher à ces deux icônes de notre triste XXème siècle : Le Communisme et le Nazisme (et leurs miasmes).

-  On est sur des sujets délicats, politiquement très sensibles dont les enjeux dépassent souvent la simple anecdote.

-  Je me répète : je fais de la BD, nom de Dieu ! Je ne défends pas une thèse sur la pertinence de la comparaison de ces systèmes de coercition et d’élimination. J’entends d’ici les Juifs dire : La Shoah, on ne touche pas, c’était ce qu’il y a de pire ! J’entends les Trotskos leur répondre : Vrai, le Goulag, c’était pas si pire ! Et chacun s’en retourne content de soi, l’un d’être la victime totale, l’autre de pouvoir croire encore au Grand Soir...

Entre parenthèses, j’ai lu quelque part (et ne me demande pas où) que les Allemands ont visité des goulags pour concevoir leurs camps et que le mot « goulag » est aussi composé du mot allemand " lager ".

Qu’on ne me dise pas non plus que certains goulags n’étaient pas destinés à tuer comme le furent les terribles camps nazis. Enfin, j’ai lu assez de choses à ce sujet pour maintenir la phrase litigieuse qui a fait gloser dans les cafés intellos et que je maintiens et maintiendrai, la tête sur le billot : " ...Et si les camps nazis ont symbolisé l’extermination d’un peuple par un autre, le Goulag, lui, a symbolisé la destruction d’un peuple par lui-même ... »

Et puis, si on me lit bien, d’un point de vue sémantique, je ne mets pas en balance, je mets en parallèle. Je ne compare pas, j’évoque, sans les comparer vraiment, deux systèmes qui ont coexisté.

-  C’est une question qui s’inscrit dans l’actualité. Le tribunal de La Haye pèse ses mots quand il qualifie un délit de « crime contre l’humanité » et un massacre de « génocide ». Je comprends la position de ces historiens.

C’est vrai que mot « génocide » est un mot hautement galvaudé et ils ont raison d’être les gardiens de notre conscience comme le fait si bien Pascal Bruckner dans son essai sur le sujet : « La Tentation de l’Innocence. »

Je suis d’accord de leur donner cette noble fonction, mais qu’ils gardent leur place et ne cherchent pas à fliquer tout ce qui ne cadre pas avec leur vision académique des choses. À la limite, cette intervention pourrait même être suspecte. Car demandons-nous pourquoi un silence pudique, voire, même une lourde bâche a longtemps eu tendance à oblitérer cette insoutenable réalité de l’Histoire de l’URSS. Un journaliste a même eu l’audace de me dire, l’air compassé, que j’avais eu beaucoup de courage d’aborder le sujet !

Il y aurait donc, dans notre société, une censure plus sournoise, plus lourde et tellement plus efficace que la censure franche et déclarée de nos Anciens qui mettait à l’index et expurgeait les livres et les consciences ? Une sorte de censure en forme d’autocensure, celle qui nous enjoint à rester lisses et à ne pas faire de vagues ? Très peu pour moi ! À bas le consensus mou et sa langue de bois, nom de Dieu ! ... Je suis discret, c’est vrai, mais faut pas me marcher sur les arpions. Voilà pour « Le Goulag ».

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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