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Riccardo Burchielli : « Dans DMZ, New York est le Bagdad de notre réalité. »

Par Xavier Mouton-Dubosc Thomas Berthelon le 7 novembre 2008                      Lien  
Ce dessinateur italien est le co-responsable d'une des plus grandes claques de la BD actuelle, saluée unanimement par la presse grand public : la série DMZ. Nous l'avons rencontré lors du Festival d'Angoulême en janvier 2008, à l'époque de la sortie du T2.

DMZ est une série décoiffante qui montre une New-York en ruine. Au milieu des belligérants, leurs armées et leur propagande, un jeune journaliste, Matty Roth, se retrouve dans la DMZ, la zone démilitarisée, celle qui est entre les deux Amériques, où l’ONU espère arriver à un cessez-le-feu et reconstruire Manhattan, New-York. Matty y côtoie tous ceux qui n’ont pu fuir les combats et qui se sont retrouvés dans ce piège infernal, comme à Beyrouth, comme à Sarajevo et comme à Bagdad. Une série brillante saluée par la presse grand public, scénarisée par Brian Wood et mis en dessin par l’italien Riccaro Burchielli. Nous avons eu la chance de pouvoir interviewer son dessinateur à Angoulême.

DMZ, c’est un peu comme si Joe Dante avait utilisé New York non pas comme terrain de jeu pour Gremlins 2 mais comme zone de conflit pour sa Seconde Guerre Civile. Pourquoi New-York plutôt qu’une autre ville des États-Unis ?

Le fait d’avoir pris New-York comme protagoniste de DMZ n’est que le reflet de la réalité occidentale, de ce que nous voyons aux informations. Il y a eu bien sûr la tragédie du 11 Septembre sur les Twin Towers. New-York est également une icône du monde occidental et de sa société. C’est pour cela que nous en avons fait le point central de cette histoire. C’était une évidence d’y focaliser la division et la Nouvelle Guerre Civile des États-Unis.

New-York, c’est aussi la ville où sont concentrées les rédactions des grands réseaux américains (NBC, CBS, ABC), à l’unique exception de CNN. Ce livre raconte non seulement la guerre entre les deux belligérants, mais aussi la guerre de la désinformation entre les télévisions.

C’est toujours le cas dans le futur de DMZ. Dans New-York nous avons bien évidemment les grandes agences de presse. Et celles-ci se combattent entre-elles sur leurs informations. Manhattan est le vrai centre de la zone démilitarisée de New-York. Ces agences sont les vrais vilains de l’histoire, car durant les cinq premières années de cette guerre, elles ont sciemment répandu des contre-vérités, comme dans la réalité, mais ça c’est mon opinion. C’est le début de DMZ : Mathew Roth, le personnage principal, est un jeune homme qui a grandi dans une famille aisée. Et avant d’entrer dans la DMZ, comme tous les Américains, il a été abreuvé par cette propagande de ces chaînes d’information qui sont des filiales de multinationales. Et évidemment, ces multinationales filtrent et distordent l’information qu’elles diffusent à leur convenance, comme elles le souhaitent. Ils ne nous laissent savoir que ce qu’ils veulent bien laisser filtrer. Quand Matthew devient journaliste et entre dans la DMZ, il découvre une réalité tout à fait différente. C’est alors qu’il décide de faire quelque chose dans cette situation. Il décide d’essayer de trouver un moyen de passer l’information malgré les filtres de ces agences de presse, d’arriver à en faire sortir la vérité : la vie réelle et pas uniquement ce que les journaux diffusent.

Riccardo Burchielli : « Dans DMZ, New York est le Bagdad de notre réalité. »
Couverture de DMZ T3
© Burchielli/Panini Comics

Justement, DMZ parle de la perte de l’innocence des États-Unis et de Matthew. Ça se ressent aussi dans le look de Matthew qui évolue beaucoup par rapport au tome 1.

Oui, c’est tout à fait vrai. C’est un choix graphique concerté avec mon scénariste Richard Wood. En fait, Matty représente à la fois les États-Unis mais surtout les gens normaux. Il change au cours de l’histoire parce qu’il commence à découvrir la vérité. Il est de plus en plus mature page par page. Son look est complètement modifié pendant l’histoire alors qu’il découvre la vérité. Il n’était qu’un jeune homme américain et devient adulte face à cette vérité, bouleversé comme n’importe qui le serait. Maintenant, c’est un homme devenu solide, il a été confronté à des problèmes sérieux, avec une réflexion mature.

Vous êtes italien. D’après vous, pourquoi avez-vous été choisi par Brian Wood au lieu d’un dessinateur américain ?

Je ne pense pas que cela dépende de la nationalité, mais plutôt de mon style graphique. On en a parlé, avec Brian Wood et avec l’éditeur Vertigo, ils cherchaient quelqu’un qui était capable d’avoir un style très différent des comics de super-héros, plus européen et surtout mature, capable de créer un monde réel dans les pages d’une bande-dessinée

Oui, on est loin d’un style super-héros.

Je suis très fier d’avoir été choisi par le scénariste parce que j’ai une manière différente de raconter graphiquement. Pas d’explosions pleines pages ou des planches qui pètent, mais une manière plus européenne d’appréhender un scénario, plus dans le style des fumetti, de la BD plutôt que du comics. Être capable d’exprimer quelque chose autrement que par des Bing ! Bang ! des comics super-héroïques

Extrait de DMZ T3
© Burchielli/Panini Comics

Et justement vous en parlez, le graphisme se concentre beaucoup moins sur les bombardements et plus sur l’humain et les visages.

Oui parce que je pense que le personnage principal de DMZ est la ville. New-York est le vrai protagoniste de cette histoire, faite d’acier et de béton, le peuple de New-York est un personnage unique à part-entière. New-York est une ville au désespoir, une ville fatiguée de la guerre. Dans cette fiction, c’est un peu le Bagdad de notre réalité, le Bagdad des parents et des enfants, pas celui des soldats et des snippers.

Finalement, il y a assez peu de ruines, par rapport à Berlin, Beyrouth, Sarajevo ... New-York n’est pas si détruite. Y-a-t-il un espoir dans cette histoire ?

Il faudrait plutôt demander ça à Brian Wood. C’est un travail en cours sur la ville. Vous n’en êtes qu’au tome 1 alors que dans la parution américaine, New-York est largement plus dévastée, détruite, suite à un long processus. Parution après parution, la guerre laisse de plus en plus de cicatrices dans les quartiers et dans l’âme de Matthew Roth. Déjà dans le tome 2, vous verrez des choses différentes, les évènements dégénérer et la guerre va devenir de plus en plus visible, aussi bien sur les façades des gratte-ciels que dans le comportement des gens de la rue.

Vous êtes-vous inspiré de reporters de guerre et des composition de photos ?

Oui, c’est très important pour moi parce que je tiens à produire des pages réalistes. J’ai des livres de reporters photos, je regarde aussi sur Internet qui reste disponible à tout moment. Bien évidemment, je ne copie pas les clichés, mais j’essaie de donner à des situations un aspect réel comme dans les reportages de guerre, pour que le lecteur en ait le même ressenti.

Avez-vous rencontré de vrais correspondants de guerre. Je veux dire pas des embedded, mais des gens qui vivaient dans les zones de guerre.

Non, malheureusement. Mais Brian Wood reçoit beaucoup de mails de soldats américains qui sont en Irak. Un soldat en particulier lui a confirmé par mail les problèmes que nous racontons dans notre histoire. Pour nous, c’est très important car cela confirme notre réalisme, qui fait que cela ressemble moins à une fiction mais plus à un reportage sur une vraie zone de conflit, même si les évènements sont totalement fictionnels.

Le journalisme d’investigation et de qualité est en net recul dans les grandes rédactions aux États-Unis, en Italie et maintenant en France. Est-ce que le fait que les informations édulcorent la réalité, donne à la fiction un ton plus réel ?

Heeem... À mon avis, cela ne concerne pas exclusivement les États-Unis, l’Italie ou la France mais plutôt l’hémisphère où nous vivons, entre le Nord et le Sud de notre planète. Il est plus facile pour les pouvoirs politiques et économiques de nous laisser dans l’ignorance pour nous contrôler. Parce que si tout le monde avait connaissance de ce qu’ils préfèrent occulter, leur contrôle serait plus difficile à tenir.

Riccardo Burchielli à Angoulême
Photo © Chantal Sok

Dernière question, Riccardo, des fois, prenez-vous l’avion pour les États-Unis ?

J’ai été pour la première fois aux États-Unis il y a deux ans pour rencontrer mon éditeur Will Dennis, et j’y retourne dans pas très longtemps pour y rester trois mois.

Nous avons des infos de contacts au sein de la NSA et du DHS (la Sécurité intérieure) qui disent que vous êtes fiché comme un dangereux activiste et que vous êtes sur la liste des personnes interdites en avion !

Je me demande si vous plaisantez vraiment, parce qu’il y a deux mois, en novembre [2007, NDLR], un éditeur américain de BD (hors du groupe de DC) devait prendre l’avion. Il attendait à l’aéroport et à un contrôle, la sécurité a trouvé une édition paperback de DMZ. Quand ils ont vu les dessins de New-York en guerre, ils ont pris tout ce matériel comme si c’était de la propagande terroriste. Ils l’ont arrêté et interrogé. À mon avis, votre contact au sein du DHS est fiable.

Ok ! Merci beaucoup Riccardo. Nous avons vraiment été déçus que ce livre n’ai pas été sélectionné dans les 50 indispensables pour le festival d’Angoulême 2008. C’est bien dommage.

Matteo Losso, coordinateur éditorial, chargé de la traduction pour cette interview : Panini est également bien déçue de cette oubli, mais nous espérons que les ventes leur donneront tort.

(par Xavier Mouton-Dubosc)

(par Thomas Berthelon)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Remerciements à Matteo Losso pour la traduction.

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Lire aussi nos articles sur le T2 et le T3 de DMZ.

Cette interview a été diffusée dans l’émission radio « Supplément week-end » du samedi 1er novembre 2008

En médaillon : Riccardo Burchielli. Photo : © Chantal Sok.

 
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