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Richard Guérineau ("Charly 9") : "Ce que j’admire chez Teulé, c’est l’équilibre entre le macabre et le grotesque"

Par Thierry Lemaire le 6 décembre 2013                      Lien  
Avec son adaptation du roman de Jean Teulé, {Charly 9}, Richard Guérineau signe une bande dessinée inspirée sur le roi qui laissa se perpétrer la Saint Barthélémy. Folie et massacres à tous les étages pour la biographie d'un souverain qui n'avait pas l'étoffe.

Il y a certains auteurs qui se cantonnent dans un genre. Vous êtes plutôt touche-à-tout. C’est quoi le critère du choix d’un projet ?

C’est vraiment à l’instinct. Soit je le sens tout de suite, soit je ne le sens pas. Après, ça dépend de la période dans laquelle je suis, des préoccupations que j’ai à ce moment là. Je n’analyse pas trop, a priori. J’avais envie de changer de format, de graphisme, de type de narration et Charly 9 s’est présenté en conjuguant toutes ces envies. Avant, j’avais envie de faire du western, j’ai fait du western. Du péplum, des polars. A chaque fois, c’est une envie qui arrive à se concrétiser.

Richard Guérineau ("Charly 9") : "Ce que j'admire chez Teulé, c'est l'équilibre entre le macabre et le grotesque"Finalement, le genre n’est pas le critère principal.

J’ai quelques genres de prédilection et le western est une très vieille envie. Pour Charly 9, en l’occurrence, ce n’était pas lié au genre, c’était plus le personnage et les thématiques. Du coup, ça m’a permis de me passionner pour cette période historique, de la redécouvrir et d’avoir envie de continuer dans ce registre là.

Comment s’est passé le travail avec Jean Teulé ?

Quand il a été décidé que l’adaptation se ferait, il m’a appelé très gentiment en me disant « je suis très content et maintenant c’est ton livre, tu fais ce que tu veux. Empare-toi du bouquin, j’ai fait mon boulot ». Ça me laissait une totale liberté mais je voulais rester fidèle à l’esprit du roman, au ton. Il a été très bienveillant et pas du tout dirigiste, ce que je trouve très honorable de sa part. On lui faisait suivre les pages au fur et à mesure. Il était très encourageant. Le seul moment où il est intervenu et ça m’a fait très plaisir, c’est à deux jours du bouclage final. J’étais sur les dernières corrections orthographiques. Il a voulu le relire entièrement, d’une traite. Et il m’a fait un petit retour avec une dizaine de corrections, changer un mot par ci par là, des répétitions que je n’avais pas forcément vues. Il a amené sa petite touche finale et c’était très sympa.

Il y a pas mal de choses fortes dans cette bande dessinée et notamment le massacre. Comment avez-vous réfléchi à la façon de représenter tout ça ?

L’une de mes envies en adaptant ce roman et en étant dans cette collection, c’était de pouvoir faire des ruptures graphiques aussi souvent que je l’entendais. Partant de là, j’avais en tête quelques idées. Et notamment les passages du massacre au début ou des funérailles à la fin, j’ai eu l’idée de les faire avec un parti pris très radical noir-blanc-rouge, quasiment. Alors que les autres chapitres sont plutôt en lavis, je voulais marquer une rupture très franche pour évoquer la violence de ces moments là. Le rouge et le noir s’y prêtent magnifiquement bien. Ça secoue le lecteur.

Donc, plutôt une réflexion sur les codes couleur.

Graphiquement, également, le dessin change un peu. Et il y a plusieurs changements qui sont moins visibles, je passe du lavis à quelque chose de beaucoup plus franc avec des aplats plus lumineux. Il y a presque trois périodes dans cette fin de vie de Charles IX. La première un peu sombre, en demi-teinte. La deuxième où sa folie commence à s’exprimer de manière assez grotesque, elle est plus lumineuse et presque plus classique dans la représentation. Et la dernière où il sombre lentement dans la folie, on revient vers des ambiances un peu plus glauques, jusqu’à un final tout en rouge et noir.

Après le massacre

Finalement, il n’y a pas énormément de représentation de cadavres.

Pas tant que ça. Je préférais qu’il y en ait peu mais qu’elle soit marquante. La première image de l’après massacre de la Saint Barthélémy montre les rues jonchées de cadavres, les corbeaux. On passe brusquement de cases en rouge et noir à un traitement en vert et rose, glauque. Je trouvais que ça suffisait pour faire ressentir l’émotion qu’il faut.

Et la folie, qui est l’autre partie forte du livre, comment vous y êtes-vous pris pour la représenter ?

La folie, elle est très bien décrite à travers toutes les anecdotes qu’il y a dans le roman. L’idée, c’était de trouver une progression dans ces anecdotes, quitte à les réorganiser. Pour que la folie monte petit à petit. Dans la première partie, la folie se matérialise par des hallucinations. Il voit du sang partout. On passe assez vite sur ce passage là. Dans la seconde partie, la folie s’exprime par ses actes. Plein de petites anecdotes jusqu’au climax qui est la chasse au cerf dans le Louvre, le summum de la manifestation de sa folie. Je voulais terminer sur cette grande image avec une fresque de Diane chasseresse sur le mur, le cheval qui se cabre, les échafaudages qui s’écroulent et le cerf éclaboussé de couleurs. C’est une belle manifestation de sa folie.

Le danger qu’il pouvait y avoir, c’était de tomber dans le grotesque.

Oui. C’est ce que j’admire chez Teulé, c’est qu’il arrive à doser l’équilibre entre le macabre et le grotesque. Effectivement, il faut trouver l’équilibre en permanence. C’est un des défis de la BD, transposer cet équilibre là. Dans plein de scènes, on est dans le grotesque, mais c’est toujours contrebalancé par une chute de chapitre qui renvoie à la violence ou au côté odieux de ce qui s’est passé.

Chasse à cour au Louvre

Dans l’adaptation, vous avez rencontré des difficultés particulières ?

Non, pas de grosses difficultés. La principale, c’est de tailler dans le gras sans perdre le sel du récit. Qu’est-ce que j’élimine ? Qu’est-ce que je rajoute parfois ? Je me suis posé à plusieurs reprises des questions sur les chapitres que j’avais écartés. En discutant avec mes collègues d’atelier, j’ai remis les scènes du portrait et du bourreau. En changeant un peu. Dans le roman, la scène du portrait montrait Charles IX à la fin de sa vie. Il a 23 ans et il en paraît 60 sur la peinture. Comme je montrais déjà la déchéance physique du roi, j’ai préféré biaiser en plaçant un hommage à Morris.

Votre dessin n’est pas tout à fait le même selon les albums et les séries. Comment avez-vous choisi le style pour Charly 9 ?

Ça faisait partie de mes envies de départ de changer de registre graphique. En gros, après Stryges et XIII Mystery, j’en avais marre des univers réalistes et il me fallait de l’air frais. Je voulais revenir à ce que je faisais dans mes tous premiers albums L’as de pique, qui était semi-réaliste. J’avais très envie de revenir à ça, mais avec 15 ans de métier en plus. C’était le point de départ de cette envie d’être plus caricatural.

On a effectivement l’impression que l’accent est mis sur les trognes. Comment le casting a été fait ?

Je suis allé les trouver pour la plupart dans les peintures de l’époque. Ça a été ma première référence. Je me suis rendu compte que dans la famille des Valois, je ne sais pas si c’est le côté « fin de race », mais ils avaient tous quand même des gros pifs. Après, je n’ai pas recherché la ressemblance à tout prix. Pour Ronsard ou Ambroise Paré, j’ai essayé de me rapprocher des portraits de l’époque.

Des trognes

Les visages sont plus déformés et individualisés que dans Stryges ou XIII Mystery. Ça fait aussi partie de la narration.

Oui, la caricature permet d’être plus expressif sur certaines choses. Et pas seulement dans la physionomie des personnages. On peut exagérer les attitudes, donner un caractère, faire passer des sentiments. C’est plus difficile en réalisme pur. C’était ça qui m’intéressait au premier chef dans ce changement graphique.

Cette envie d’aller dans quelque chose de plus « comique » a complètement dérapé avec les pages Johan et Pirlouit. Qu’est-ce qui s’est passé ? (rires)

Oui, c’est ça, une glissade tout schuss. (rires) Au départ, cet hommage à Peyo est une envie de casser le rythme de lecture. Je me suis rendu compte qu’au tiers du bouquin, les chapitres sont très courts et du coup les anecdotes s’enchaînent très rapidement. En relisant, j’ai eu peur qu’il y ait une monotonie qui s’installe dans la lecture. J’ai voulu casser ça en faisant une énorme rupture graphique. On bascule dans la citation, le clin d’œil. En plus, Johan et Pirlouit, l’époque est assez proche. Ça colle parfaitement. Et puis j’avais très envie de faire du « d’après Peyo ». Je traîne depuis longtemps cette envie d’incruster dans un récit des images qui viennent d’ailleurs, tout en les mêlant à la narration. Là, c’était le moment idéal. En plus, j’ai choisi l’anecdote du pâté de mauviette, qui est l’une des anecdotes du roman les plus grotesques.

Ça aurait pu être la représentation d’un rêve, mais non, c’est la réalité.

L’idée c’est que c’est Charles IX qui raconte cette scène. A la fin de la scène, on retrouve le graphisme normal, comme s’il racontait cette histoire à sa manière. Je n’ai pas voulu en faire un rêve pour que le décalage soit évident. Je voulais juste que le lecteur soit décontenancé un moment, que ça le réveille.

Oui, c’est bien un détail d’une page de Charly 9

Il y a un gros travail sur les couleurs. Gros travail d’ambiance et de ruptures. Vous faites tout le temps vos couleurs ?

Non, ça faisait des années que je n’avais pas fait mes propres couleurs, sauf sur des illustrations de couvertures, où c’est une autre technique et un autre rendu. J’ai fait mes couleurs sur mes trois premiers albums de L’as de pique. Je disais tout à l’heure revenir aux sources. Les couleurs en faisaient partie. Sauf qu’à l’époque, c’était des couleurs à la main et qu’aujourd’hui il y a l’ordinateur et photoshop et c’est beaucoup plus confortable. Surtout, sur ce bouquin là, j’avais des idées très précises dès le départ, sur les grosses ruptures rouge-noir, sur les ambiances que je voulais, et sur certains parti pris un peu forts, je ne me voyais vraiment pas demander ça à un coloriste. Les ambiances en rouge-noir, j’aurais demandé un rouge à 100% et je pense qu’un coloriste aurait eu du mal. Je me suis dit que je ferai moi-même les couleurs. Et puis j’utilisais pour la première fois une technique de lavis sur mes encrages, pour donner des planches en niveaux de gris, et ensuite mettre en dessous des aplats de couleurs. Pour arriver à cela, je voulais passer les gris en couleurs, faire des bidouillages que je ne me voyais pas confier à quelqu’un d’autre.

En tout cas, il y a une belle maîtrise de l’outil.

Il y a un mélange de lavis à la main sur papier et de traitement à l’ordinateur. J’aurais pu faire le lavis sur ordinateur, mais j’avais envie qu’on voit un petit peu le grain, le coup de pinceau. A l’ordinateur, ce n’est pas la même chose.

Et vous travaillez sur quoi ?

Une palette graphique de base, comme tout le monde. Je n’ai pas encore le gros modèle qui me permettrait de dessiner directement sur l’écran. Et à ce moment là, plus de papier.

C’est quelque chose qui vous tenterait ?

Je ne sais pas. Je suis en train de me poser la question. On va vers ça de plus en plus. Il faut travailler vite. Il faut éviter les étapes de scan, etc. Est-ce que je serais à l’aise sur une palette comme ça ? Je ne sais pas. Pour l’instant, avec la palette classique, je peux faire de la couleur, mais je ne suis pas à l’aise pour dessiner.

Pour sûr, quel beau lavis !

Et donc, la période de Charles IX vous a donné envie de creuser dans cette direction.

Oui, je suis en train d’écrire sur son frère, le futur Henri III. J’ai envie de faire un travail de scénariste. L’adaptation d’un roman, c’était les premiers pas. On sait qu’il y a des fondations solides avec un livre déjà écrit. Donc, je refais la même démarche, mais cette fois je vais chercher les informations historiques. J’ai lu des tas de choses, je me suis gavé sur la période et il faut maintenant faire le tri.

Et entre temps, quel sera votre prochain projet ?

Je vais démarrer un nouveau Chant des Stryges en début d’année. Il reste encore trois albums.

(par Thierry Lemaire)

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