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Richard Guérineau : « La troisième saison du Chant des Stryges renoue avec l’esprit des premiers albums »

Par Charles-Louis Detournay le 15 novembre 2010                      Lien  
Le dessinateur et co-créateur de l’univers des Stryges nous explique pourquoi l'on n’avait pas annoncé d’emblée les dix-huit tomes de la série. C’est également l’occasion de parler des séries dérivées comme le Siècle des ombres, et de la conclusion du Syndrome de Hyde.

Le Chant des Stryges est sans doute un des univers les plus emblématiques de la bande dessinée moderne. À ce jour, il compte plus de trente albums, sans oublier les séries qui s’y référent indirectement.

Richard Guérineau : « La troisième saison du Chant des Stryges renoue avec l'esprit des premiers albums »

Lorsqu’on lit habituellement ‘fin de cycle’ à la conclusion d’un récit, on peut envisager que les auteurs se laissent une porte ouverte pour éventuellement prolonger une success story avec de nouvelles intrigues. C’est pourtant tout le contraire pour les auteurs du Chant des Stryges, car ils avaient dès le début construit leur récit sur ces trois saisons.

Le premier tome de cette troisième saison prend d’ailleurs le lecteur légèrement de court : Neuf ans se sont passés. Debrah a provoqué une crise bancaire en liquidant les avoirs de Sandor G. Waltman, Nivek est en prison tandis que Jill est porte-flingue pour la pègre, sans oublier les évolutions des personnages secondaires. La série repart d’ailleurs sur des chapeaux de roues avec une chasse aux Stryges ! Un excellent cru !

Annoncer une troisième saison pourrait indiquer un épuisement des Stryges, mais vous aviez en réalité envisagé dès le début de définir ainsi votre univers. Pourquoi ne pas alors avoir annoncé cela d’entrée de jeu, il y a quinze ans ?

Effectivement, nous n’avons initialement annoncé que les six albums de la première saison, car nous pensions que dix-huit albums effraieraient les lecteurs. Nous n’étions pas non plus certains que le succès serait au rendez-vous et qu’il nous permette d’aller au terme de notre aventure. C’est d’ailleurs une série qui s’est doucement installée avant de commencer à décoller au tome 4. C’est donc à la fin de la première saison qu’on a pu progressivement présenter notre vue globale du Chant des Stryges.

Dès les premières pages, le lecteur est embarqué dans une chasse au Stryge, et ça déménage !

Après une première saison plus punchy, la deuxième jouait sur les tensions entre les personnages et ceux qui gravitent depuis longtemps autour des Stryges. Dans quel rythme se déroulera ce troisième cycle ?

Si la deuxième saison commençait fort, on la désirait plus psychologique, entre les tensions intérieures de Sandor G. Weltman et l’avènement de Debrah. Pour le début de cette troisième saison, je voulais repartir avec de l’action et une grande chasse aux Stryges dans la neige. Pour la suite, on va bien entendu se donner des moments de répit. Nous n’écrivons pas non plus toutes les péripéties à l’avance, afin de nous permettre de prendre des chemins détournés en cours de réalisation et de pouvoir coller au contemporain, comme nous l’avons fait précédemment.

Quand on se laisse ainsi une marge de manœuvre dans son écriture, comment impose-t-on alors d’entrée six albums pour finaliser son récit ?

Sur la première saison, cela paraissait le nombre utile pour amener ce dont on voulait parler. Avec du recul, heureusement qu’il n’y en avait pas eu moins ! Nous avons donc voulu que les deux autres saisons se déclinent sur le même mode. Puis, cela fait 666, pourquoi s’en priver ? (rires)

Si c’est Éric Corbeyran qui divise alors les éléments à apporter dans chacun des récits, quelle est votre implication ?

Nous avons donc défini ensemble les grandes lignes du Chant des Stryges. Plus précisément, avant de lancer l’écriture d’un album, nous nous voyons pour mettre sur la table toutes nos idées et nos préférences. Nous établissons alors un premier canevas général du récit, avec un nombre de séquences assez déterminé, ainsi que les directions psychologiques empruntées par les personnages.


Le Chant des Stryges 13 : de l’action en cinémascope !

Si on suit cette avancée en séquences dans la saison 2, certaines d’entre elles sont très denses en texte, tandis que juste après, on se retrouve avec des pages très aérées. Cela peut sembler étrange. Pourquoi ne pas harmoniser cette narration ?

C’est volontaire ! Dès le début de la série, nous voulions jouer sur la rupture de ton : passer d’un découpage de 12-13 cases pour arriver à une planche de trois grandes cases, presque sans texte. Le sentiment dégagé par les images est donc très différent ! Bien entendu, on alterne les scènes d’action et les séquences plus intimistes. Comme pour la musique, un récit monotone endort le lecteur, à l’opposé de ce que nous voulons provoquer !

Vous avez rajouté un cahier en tournant sur 54 à la place des 46 habituelles ?

Alors qu’Eric était très à cheval sur le maintien des 46 planches, il a décidé de se lâcher un petit plus, et n’hésite donc plus à déborder s’il le désire, grâce à ce format un peu plus fourni. Avec le rythme effréné que nous avions imposé initialement, il y avait aussi un grand nombre de cases par page. Le format de 54 pages me permet parfois plus d’espace dans certaines scènes, mais j’ai toujours des pages très denses avec plus de 11 cases et énormément de texte. Avec le temps, je me sens aussi moins à l’étroit dans mes cases. Je parviens donc à mettre plus de détails tout en trouvant parfois des solutions de découpages plus évidentes pour allier la complexité du scénario à la lisibilité de la page.

Le deuxième tome du Siècle des Ombres nous en apprend plus sur Sandor et ses relations avec les Stryges.

Comme pour le passage de la première saison à la suivante, ce troisième saison débute avec un saut dans le temps pour débuter le 24 décembre 2011. Vous essayez de coller au contemporain ?

Effectivement, en datant l’album en 97, date du premier tome, nous étions toujours dans cette année à la fin de la première saison parue en 2002. Mis-à-part cet aspect trivial de demeurer dans le contemporain, ces sauts dans le temps sont scénaristiquement très pratiques : dans l’intervalle, les cartes ont été complètement redistribuées, et on va pouvoir distiller au fur et à mesure tous ces informations inconnues du lecteur, maintenant son intérêt.

Après la découverte des Stryges, puis les conflits entre les humains liés à ceux-ci, cette troisième saison se centrera donc sur les hybrides entre les deux races ?

L’enjeu principal pour Debrah est de savoir si elle va aider les Stryges à perpétuer leur race, ou si elle va les éliminer. Pour elle, c’est une décision collective qui doit être prise par tous les hybrides, et c’est pour cela qu’elle cherche à les rassembler. Mais par leur nature, certains sont moins humains que d’autres, parfois physiquement ou mentalement. C’est ainsi qu’on fait la découverte d’un certain Carson, un parfait psychopathe qui vient de s’évader de sa prison de haute sécurité.

À coté de vos dix-huit tomes, trois autres séries gravitent en satellite en donnant plus d’explications sur l’univers : le Maître de jeu, le Clan des chimères et plus récemment le Siècle des ombres, sans compter d’autres récits qui y font référence. Participez-vous également au scénario de ces récits ?

J’ai construit la mythologie des Stryges avec Éric [Corbeyran], en mettant nos envies en commun. J’ai donc un regard à porter sur ces récits, mais je n’ai pas voulu m’impliquer plus profondément dans leur rédaction. De plus, graphiquement, je ne désirais pas être derrière les dessinateurs, car les exemples de story-board que j’avais réalisés avaient été plus bloquants que bénéfiques.

Le Siècle des ombres, ou comment remonter la piste des Stryges et de leurs acolytes au XVIIIe.

Tout de même, sans compter les créatures, il y a les personnages communs. Dans le deuxième tome du Siècle des ombres qui vient de paraître, on retrouve toute la fameuse caverne des Stryges dévoilée lors de la conclusion de la première saison !

Il y a bien entendu des passerelles graphiques entre les séries, pour maintenir leur cohérence. Bien avant le Siècle des ombres, j’avais juste passé quelques croquis à Michel Suro pour la réalisation du Clan des chimères. Maintenant, il a comme les autres sa propre interprétation des Stryges.

Si le Chant des Stryges se conclut dans cinq albums, allez-vous continuer à développer d’autres spin-offs pour alimenter votre univers ?

Nous sommes contents d’avoir pu approfondir des éléments évoqués dans la série principale. Comme Éric raconte alors des récits dont on connaît déjà la teneur globale (origine d’Abeau et Cylinia dans le Clan des chimères, ainsi que leur relation avec Sandor G. Weltman et la découverte de la météorite dans le Siècle des ombres par exemple), il s’agit sans doute plus de séries destinées aux fans. Mais certains lecteurs ont aussi lu ces séries en ne connaissant pas les Stryges, comme par exemple le Maître de jeu. Mais le Siècle des ombres sera la dernière série dérivée de cet univers, car nous aurons pu expliquer tout ce qui était demeuré dans l’ombre.

La trilogie se termine dans ce troisième tome, plus dense que les précédents.

Votre collaboration avec Éric Corbeyran se prolonge en dehors des Stryges. Entre autres dans le Syndrome de Hyde, dont le dernier tome vient également de sortir !

C’est une idée que nous avions eue il y a plus de dix ans, car nous devions écrire des courts métrages fantastiques. Le projet est tombé à l’eau, mais nous voulions garder une de ces idées pour une adaptation en bande dessinée. Après bien des essais infructueux, nous avons finalement trouvé le bon dessinateur avec Djillali Defali, après son travail sur la Loi des 12 tables. Dans le Syndrome de Hyde, on évoque effectivement aussi la noirceur de l’homme, mais ici, nous avons exploré le thème du loup-garou et bien entendu celui de Dr Jekyll & Mr Hyde. Il s’agit donc de l’éternel combat du bien et du mal au cœur de l’homme, mais sous l’angle de vue de la bestialité qui peut nous habiter. On assume un traitement très série B, car c’est un thème connu et une intrigue plus linéaire. Pour lui donner alors du volume, nous avons parfois intégré un second degré plus amusant.

Vous avez récemment réalisé plusieurs one-shots comme le T2 du Casse ou Après la nuit. Allez-vous continuer à alterner d’autres univers entre deux albums des Stryges ?

J’en ai même besoin ! Cela me permet alors de revenir à chaque fois vers les Stryges avec un plaisir multiplié. Après le neuvième tome du Chant, j’ai eu ainsi un coup de blues, car j’étais pile à la moitié du récit total, et je voyais qu’il me restait le même chemin à parcourir pour finir la saga. Depuis lors, je me permets ses récréations. Il m’a fallu du temps pour trouver les bons projets qui me tenaient suffisamment à cœur et dans lesquels je pouvais m’impliquer suffisamment.

Le Syndrome de Hyde - une série B qui sonde notre part bestiale

On parle donc beaucoup du XIII Mystery

Je travaille dessus actuellement, mais comme cet album centré sur Steve Rowland n’est que le cinquième, il ne sortira qu’en 2012 ! Puis, j’ai d’autres envies. Je continue à co-scénariser avec Henri Meunier avec qui j’avais déjà réalisé Après la nuit. Comme il a une écriture plutôt inspirée du théâtre, je m’occupe entre autres d’adapter et de découper cela, ce qui me donne une liberté que j’aime beaucoup. Notre nouveau projet est en cours d’écriture, et tout cela se poursuit.

Une autre récréation, la réalisation de couverture, comme pour Uchronie[s] écrit par Corbeyran ?

Oui, cela ne prend que quelques jours pour pénétrer dans un autre univers : c’est rapide et gratifiant d’avoir ce résultat sous les yeux. L’illustration a toujours été un travail d’arrière-plan, car j’en ai réalisé beaucoup pour des romans et autres. Éric m’a alors proposé de donner une unité à ces trois séries en réalisant ces covers. C’était intéressant de devoir réinterpréter un univers graphique déjà existant. Enfin, c’était parfois plus facile pour les albums New Byzance d’Éric Chabbert, car j’avais déjà des planches pour me documenter, mais comme ce n’était pas le cas pour les autres, je fonctionnais plus dans le vague pour livrer les trois couvertures en même temps. Mais, au final, le rendu me semble heureusement plutôt cohérent !

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire notre précédente interview de Richard Guérineau : « Avec les Stryges, je m’épanouis en dessinant des ambiances sombres » (sept 2005)

Lire les précédentes chroniques du Chant des Stryges : tomes 7, 8, 11 et 12.
Concernant les séries satellites, lire également notre avis sur les Hydres d’Arès

Photo en médaillon : © CL Detournay

 
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