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Richard Malka : "Nicolas Sarkozy est réellement un personnage de BD !"

Par Arnaud Claes (L’Agence BD) le 4 novembre 2006                      Lien  
L'avocat (de Charlie Hebdo, de Clearstream...) et scénariste ({L'ordre de Cicéron}, {Section financière}) est le coauteur de {La face karchée de Sarkozy}, une coédition Fayard - Vents d'Ouest en librairie le 7 novembre. A partir d'une enquête de Philippe Cohen, il a élaboré un scénario que Riss a ensuite mis en dessins. Un ouvrage politique et atypique.

Qui est à l’origine de ce projet ?

C’est Philippe Cohen, que je connaissais bien puisque je l’avais défendu sur La face cachée du Monde. Il connaissait ma deuxième vie de scénariste de bande dessinée, il avait le souhait de faire une enquête sur Nicolas Sarkozy, et sa démarche est venue du fait qu’il y avait déjà eu beaucoup d’ouvrages sur Sarkozy, mais que ceux-ci n’avaient pas touché un large public : par le média BD, le public touché pourrait être plus large. Même les gens pas franchement politisés pourront être séduits par ce support, d’un abord plus facile. Et par ailleurs Nicolas Sarkozy était réellement un personnage de BD ! Philippe Cohen m’a demandé si ça m’intéresserait, j’ai dit banco ; et puis j’ai contacté Riss de Charlie Hebdo, j’ai contacté Glénat qui était partant... Ensuite Fayard, qui est l’éditeur habituel de Philippe Cohen, était également partant. Ça sécurisait d’ailleurs Glénat d’être à deux éditeurs sur un ouvrage pareil : c’est la première fois que ça se fait, et ça n’est pas vraiment leur domaine, au niveau éditorial et en terme de gestion d’auteurs, mais aussi de presse, de commercialisation... Les compétences et les savoir-faire de chacun s’additionnaient.

Par la suite, vous avez travaillé en lien constant avec les deux éditeurs ?

Non, c’est Glénat qui a été opérateur, parce que c’est eux qui savent faire des BD. Avec, du côté Fayard, une présence quand même très active de Claude Durand, qui corrigeait mes découpages à la virgule près, qui a trouvé le titre, et qui nous apportait aussi ses excellentes idées, et Dieu sait s’il en a !

Comment avez-vous procédé pour construire un scénario à partir d’une enquête journalistique ?

Ça a été très compliqué, parce qu’il fallait concilier des logiques différentes. J’ai trouvé cette astuce du récit par un étudiant en 2098, ce qui me permet d’avoir une voix off, avec des éléments plus réels parfois que ce qui est dans les bulles, ce qui amène le lecteur à différencier deux modes de narration. Ensuite, effectivement, Philippe était attaché aux faits et à sa crédibilité journalistique, mais moi mon souci c’était d’abord de raconter une histoire compréhensible par tous, intéressante pour le public... et marrante ! Du coup, après que j’ai réalisé mon découpage à partir de son enquête, il y avait des allers-retours constants, des batailles sur chaque mot, chaque virgule, mais tout ça de manière très amicale, cordiale et enrichissante ! C’est ce qui fait qu’on est arrivé, je crois, à un équilibre intéressant.

Qu’est-ce que Philippe Cohen vous fournissait comme matière de travail ?

Lui me donnait six ou sept feuillets par chapitre, après on en discutait, et puis je faisais mon choix : d’une anecdote je faisais plusieurs pages, de plusieurs pages je faisais une seule case, avec le souci constant de la narration. C’était compliqué aussi pour moi, parce que j’ai vite compris qu’il fallait que je bride ma créativité, mon imaginaire, sinon on partait dans quelque chose qui n’était plus tout à fait une enquête.

Richard Malka : "Nicolas Sarkozy est réellement un personnage de BD !"

S’agit-il pour vous d’abord d’une expérience d’écriture, ou surtout d’un acte militant ?

Clairement, c’est d’abord un défi scénaristique : faire quelque chose d’inédit, adapter une enquête journalistique extrêmement sérieuse et documentée en bande dessinée, avec tout un tas de problématiques : comment intéresser le lecteur sur 112 planches, comment trouver des modes de narration différents à chaque page, comment rester grand public malgré le caractère très documenté et parfois lointain des histoires racontées... Et puis faire une BD d’humour aussi, ce qui n’est pas du tout ma culture : je ne pensais pas en être capable ! Ce sera au public de dire si j’ai réussi ou pas... Surtout, avec toutes ces contraintes, parvenir à raconter une histoire, construire un récit fluide et intéressant.

Le livre a tout de même un côté pamphlétaire assez net...

Je n’aime pas ce mot-là... Vraiment, ce n’est pas ma nature d’être cruel : j’ai essayé de ne pas être dans l’excès total, la méchanceté gratuite, et c’était notre volonté commune de ne pas faire les Guignols. Jamais il n’est traité de fasciste, jamais il n’est mis en cause pour sa conception des droits de l’homme... On est vraiment sorti de ces images un peu caricaturales, parce qu’on n’en a pas besoin : le personnage se suffit à lui-même, et puis je pense qu’on aurait perdu en crédibilité. C’est-à-dire qu’en restant au plus proche des faits, quitte parfois à les exagérer un peu, on est plus crédible, et au final peut-être plus dur.

Ne craignez-vous pas une sorte d’effet tourbillon qui fait que, plus on parle de Sarkozy (même si c’est pour en dire du mal), plus il gagne en visibilité ?

Ça, contrairement à mes coauteurs et aux deux éditeurs, j’en étais conscient dès le départ ! Quand vous consacrez un ouvrage entier à un personnage, et en plus que ce personnage fait rire, même si c’est à ses dépens, il y a forcément un effet d’identification : il ne peut pas être complètement antipathique, parce que c’est quand même le héros. Et puis c’est vrai que c’est aussi une espèce d’hommage de l’avoir choisi, lui et pas d’autres, comme héros d’une bande dessinée ! Mais bon, après, ça voudrait dire qu’il ne faut pas en parler, ce qui n’est pas possible : c’est quand même un candidat à l’élection présidentielle. Au-delà de ça, l’ouvrage est assez dur. De toute façon, moi, encore une fois, ce n’est pas vraiment ma problématique, parce que je ne l’ai pas fait dans un but militant, même si ce n’est pas vers lui que se portera mon vote a priori... Je ne me suis pas posé ces questions-là. Mon souci, c’était que l’histoire soit réussie.

Les éditeurs souhaiteraient apparemment rééditer l’expérience avec d’autres personnages, d’autres sujets : est-ce que vous serez de la partie ?

C’était vraiment une belle aventure, difficile, lourde, et j’en sors sur les genoux, donc je ne la rééditerai pas tout de suite. Pourquoi pas, bien sûr ! Mais là, je vais d’abord me reposer un peu. Parce que ça, plus Cicéron, plus Section financière, plus mon boulot d’avocat, ça commence à faire un peu beaucoup...

(par Arnaud Claes (L’Agence BD))

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