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Robin Walter (Prolongations, KZ Dora) : « Il faut accepter que le foot pro est devenu une entreprise de spectacle. »

Par François Boudet le 15 avril 2015                      Lien  
Après avoir réalisé un album sur le camp de concentration de Dora, Robin Walter aborde un sujet plus léger autour du monde du football ; un sujet qu'il connaît également bien.

Nous vous avions déjà interrogé, sur ActuaBD, à propos de votre bande dessinée KZ Dora qui traitait de la déportation de votre grand-père dans ce camp de concentration. Comment passe-t-on d’un tel sujet au monde du football dans votre dernier album ?

Le foot me passionne depuis un petit bout de temps. Pas uniquement le jeu et son analyse, mais aussi tout ce qu’il y autour : L’aspect culturel et sociologique. Il y a 30 ans, le foot en France était le sport populaire par excellence. Aujourd’hui, il touche toutes les classes sociales.

Du coup, forcément, la production culturelle française évolue. Enfin, tout doucement. Jusqu’il y a encore très peu de temps, mis à part quelques exceptions, on ne savait pas traiter le football autrement que sous forme de gros gag qui tâche. Aussi bien au cinéma qu’en BD. Petit à petit les choses évoluent et quelques fictions de qualité font leur apparition. Des films, des romans, des essais, et donc quelques trop rares bande dessinées essaient d’avoir une réflexion sur cet univers qui touche tant de monde directement ou indirectement.

Pour en revenir à votre question, c’est un ensemble de choses qui fait que je passe de la déportation au football. Le souhait de ne pas être catalogué, de ne pas être mis dans une case en tant qu’auteur d’Histoire, ou à thématique grave, de faire quelque chose qui n’a jamais été fait en BD. Et puis, après KZ Dora, j’avais aussi un réel besoin de m’aérer l’esprit, en fait. Prolongations, du début à la fin, a été un vrai plaisir. Dans la documentation, les rencontres, l’écriture, le découpage. Le dessin aussi où j’ai la sensation d’avoir bien évolué depuis KZ Dora. Et même maintenant dans cette période de promo, qui me permet de faire des rencontres sympas, des expériences télévisuelles sur les plateaux TV..

Si le sujet est différent, nous reconnaissons en effet votre style : un dessin réaliste (ici mis en couleurs par Céline Labriet), un récit choral avec différents points de vue, une recherche sérieuse et précise de la documentation, une bonne connaissance du sujet, sans oublier le rythme de l’histoire (en deux parties à chaque fois). D’une manière générale, on peut dire que vous êtes plus porté vers une BD réaliste dans tous les sens du terme...

Robin Walter (Prolongations, KZ Dora) : « Il faut accepter que le foot pro est devenu une entreprise de spectacle. »Au niveau dessin, j’ai du mal à dessiner autrement. Donc, oui, on peut parler de style. Maintenant, j’ai pris suffisamment d’assurance pour lâcher un peu mon trait et surtout mon encrage. C’est sur ce point que je travaille sur mon prochain album. Mais cela restera un dessin réaliste de toute façon, en effet. En termes de structure narrative, il y a clairement des similitudes entre KZ Dora et Prolongations. J’apprécie particulièrement la forme du récit choral mais si je regarde les différentes histoires que je veux raconter par la suite, cette structure est moins présente. Je n’associe donc pas cela à mon « style ». Mais encore une fois, c’est parce que j’ai en tête mes prochains scénarios. Ce qui me plaît dans le récit choral, c’est de pouvoir aborder un même sujet sous divers angles, de manière humaine. C’est un procédé qui est beaucoup utilisé dans les séries TV, car on y a le temps pour développer chacun des personnages. Au cinéma, on en trouve aussi pas mal : Collision, Magnolia, Babel, Pulp Fiction évidemment… Paris de Clapish, Les Petits Mouchoirs de Canet, ou les films de Resnais ou Danièle Thompson de manière générale… En BD, c’est quand même plus rare, non ?

D’ailleurs, souvent quand mon interlocuteur apprend que je fais de la BD, il me demande si j’ai un héros. Après, je suis aussi conscient qu’en écrivant de cette manière, le procédé d’identification du lecteur est quasi impossible. Dans un récit choral, chaque lecteur a son personnage préféré, celui qu’il juge le plus intéressant, le plus humain… Je le vois bien avec Prolongations. Mais il ne s’identifie pas. Ou plus rarement. Pour le rythme de l’histoire, je n’écris pas en me disant que ce sera un diptyque ou un one shot. Pas au départ du moins. Le découpage se fait dans un second temps. En réflexion avec l’éditeur. Le diptyque possède des avantages et des inconvénients.

Vous ne faites pas de la BD très "commerciale"... Comment se fait-il, selon vous, qu’il y ait si peu de BD réalistes sur le football ? Vous nous avez parlé de vos influences télévisuelles et cinématographiques, en avez vous tout de même également du côté de la BD ?

J’en parlais un peu tout à l’heure. S’il y a peu de BD réalistes sur le football, si on ne sait pas le traiter autrement que sous forme humoristique ou destinée à la jeunesse, c’est que la France n’est pas un pays de foot, culturellement parlant. On a tendance à vouloir traiter ce sport comme les autres. Y compris dans la presse généraliste. Je ne parle pas de la quantité mais de la forme. Or, forcément, dans ces cas-là, on va pointer du doigt toutes les aberrations du football par rapport aux autres disciplines. Il faut accepter que le foot pro est devenu une entreprise de spectacle. Donc, déjà il y a cette mauvaise appréciation de ce qu’est le football d’aujourd’hui.

Après, je crois tout simplement que peu d’auteurs sont assez passionnés, assez connaisseurs pour vraiment en parler avec passion. Pour raconter des parcours de vie, des aventures humaines sur le sujet. Comme je le disais, les choses évoluent un peu. On a eu I.R.S. Team l’année dernière, mais en traitant le foot dans le cadre de la série I.R.S, forcément, le scénariste Stephen Desberg qui a l’air de bien connaitre le foot, n’a pas pu faire autrement que de parler uniquement du milieu pourri. La passion y est complètement absente. C’est dommage à mon goût. Je crois savoir que Kris prépare un album sur l’équipe du FLN. Chouette sujet. Si des auteurs réputés commencent à bosser sur le football, cela peut faire évoluer les pensées sur le sujet…

Niveau influence BD, bizarrement, je ne sais pas… Je ne pense pas avoir d’influences précises… Sûrement des influences inconscientes, car j’ai des auteurs que j’adore pour leur dessin, pour leur sensibilité narrative ou les deux. Mais je ne vais pas commencer à les nommer, il y en trop.

Dans Prolongations (du nom de l’émission radio animée par l’un des protagonistes), vous montrez la passion qui existe autour de ce sport... Mais vous en montrez également une face sombre (homophobie, etc.). Pouvez-vous nous parler plus largement de ce que vous avez voulu exprimer dans ce diptyque ?

L’idée de départ, c’était de présenter une vision passionnée du foot mais de manière réaliste. Je ne voulais pas tomber dans une certaine naïveté. Donc, pour être crédible, je savais que j’allais devoir dénoncer pas mal de choses. Comme l’homophobie dans le foot, en effet. Mais encore le racisme ou une certaine violence.

Mais finalement, quand j’attaque le milieu, c’est souvent pour mieux le défendre par la suite et souvent briser des préjugés, notamment par le biais de ce personnage dont vous parlez, Jean Duplantier, animateur radio. Il est une sorte de pierre angulaire de l’histoire, puisque tous les autres l’écoutent à travers son émission. On le voit peu, mais il est très présent. Globalement, le premier tome met davantage en scène la passion que vivent ou subissent les protagonistes. D’où son titre « Passion ».

Dans le second volet, cette passion devient « Dépendance » (titre du tome 2). Le foot prend une place trop importante dans la vie d’Ahmed, le supporter, par exemple, et cela a des répercussions sur sa vie. Johana, la femme de Stambou la star sur le déclin, doit gérer les démons de son mari qui voit arriver la fin de sa carrière. Tout y est un peu plus sombre ou conflictuel pour mes personnages dans cette phase de leur vie.

Car l’idée est là : Raconter des tranches de vie de personnes qui sont liées au football d’une manière ou d’une autre, comprendre que la passion du football ne s’arrête pas au terrain. Le ballon n’est d’ailleurs pas très présent au fil des pages. Mais il est tout le temps question de football directement ou indirectement. Le football rythme la vie de mes personnages. Il y a une case qui résume un peu tout ça, vers la fin du tome 2, où l’on voit Ahmed enfant avec son père dans les tribunes d’un stade, qui lui parle du foot en le comparant aux émotions de la vie.

© Des ronds dans l’O

Vous avez eu de la promo sur i-télé dans l’émission "20H Foot", dans des journaux consacrés au football comme "France Football", ou encore sur des sites Internet spécialisés sur le football. Votre album touche-t-il tous les publics ou est-il réservé aux amateurs de ce sport ?

Une partie de la presse foot est en effet attachée à ne pas se consacrer uniquement à l’analyse des résultats, mais à parler du sport de manière plus générale. Ils aiment commenter ce qui se fait au niveau de la production culturelle, que ce soit la littérature, le cinéma, la BD ou autre… Certaines personnes consacrent même pas mal de temps à promouvoir tout ce qui s’écrit sur le sport à travers des associations, très présentes sur les réseaux sociaux, en organisant des conférences, etc. Je pense au cycle de conférences « Écrire le sport », notamment, que tous ceux qui aiment lire et écrire sur le sport devraient suivre…

Le premier tome étant sorti en juin dernier, j’ai eu pas mal de retours de lecteurs. Les « pro-footeux » semblent conquis. Mais ce qui est intéressant et ce qui me ravit, car c’était mon objectif quand je me suis lancé dans cette histoire, c’est que les lecteurs en conflit avec le football, ou disons ceux qui ne sont pas plus portés que ça sur le ballon rond, sont également séduits par Prolongations. Ils n’ont pas forcément la même lecture que les passionnés de football mais s’enthousiasment et s’attachent à mes personnages. Donc oui ! Mon album touche tous les publics ! Plein de retours le prouvent. En dédicace, j’ai aussi un public plus jeune. Des passionnés de foot de 10-11 ans, qui ne s’arrêtent pas au peu d’images de foot en feuilletant, et qui sont enchantés de comprendre un peu plus les coulisses de leur sport favori. Ce qui ravit le plus souvent les parents, heureux de voir leur gamin avoir une certaine réflexion sur leur passion. Et aussi parce qu’ils vont pouvoir lire eux-mêmes la BD.

Outre la sortie du tome 2 de Prolongations, votre actualité est aussi marquée par la réédition de l’intégrale de KZ Dora. Cette intégrale bénéficie du récit complet rédigé par votre grand-père après la guerre. Pouvez-vous nous parler de cette bande dessinée ?

Oui, KZ Dora est à nouveau disponible depuis le 19 mars. Le tome 1 étant épuisé depuis quelques mois, je suis vraiment ravi. C’est une histoire qui m’est très chère, puisque j’y raconte en partie le parcours de mon grand-père, résistant déporté. C’est surtout un album qui a une réelle importance dans le paysage actuel des bulles, puisqu’il n’y a pas d’autre BD qui traite de la déportation des résistants.

Des choses sur la déportation, oui, sur la Shoah principalement avec Maus en tête bien sûr, d’autres histoires d’aventures ou d’espionnage sur les résistants, mais donc rien sur cette partie. J’y traite aussi le sujet des nazis, à travers le parcours de personnages SS. J’y rappelle qu’ils sont tous des hommes comme nous à la base, et qu’il est important de comprendre les mécanismes de ces dictatures totalitaires, du contexte social et économique de l‘époque, comprendre comment et pourquoi on arrive à suivre un homme comme Hitler, etc…

KZ Dora est souvent étudié au collège ou au lycée et je suis régulièrement invité à rencontrer les élèves. Evidemment, c’est mieux s’ils ont l’opportunité de lire ma BD. Bref, je suis ravi de la sortie de l’album. Outre l’intégrale de la BD, on y rajoute comme vous le disiez, le récit complet de mon grand-père dont on avait seulement mis quelques extraits à la fin de chacun des 2 tomes. Il a écrit cela dès sa libération, et sur le chemin de son retour en France. Il a mis 50 ans avant de les ressortir de son coffre, bien poussé par mon père, afin de les faire lire à sa famille. C’est à ce moment-là que j’ai réellement découvert son histoire.

C’est vraiment le point de départ de KZ Dora. Après ont suivi plusieurs voyages à Dora, Buchenwald, des rencontres, des lectures… On a rajouté aussi quelques cartes en fin d’ouvrage. Je suis très content du bouquin. J’ai dessiné une nouvelle couverture pour l’occasion. J’aime les deux premières qui résument bien à elles-deux ce qu’était Dora : Un camp nazi où étaient construites les fusées V2. Pour l’intégrale, j’ai dressé l’entrée du camp, moins impressionnante peut-être que le sont celles de certains camps connus, mais avec la fumée qui se dégage de la forêt, du crématoire, cela donne le ton. Et puis les déportés en haut de couverture... Pierre Schelle y a rajouté sa palette de couleurs. Il y a aussi une expo « Autour de KZ Dora » qui va bientôt voir le jour, toujours avec Des ronds dans l’O, destinée justement à être exposée dans les milieux scolaires, médiathèques, festivals BD ou autres…

Arrivée des prisonniers à Dora...
© Des ronds dans l’O

(par François Boudet)

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