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Roland Boschi : "Il a fallu un concours de circonstances heureux pour que mon dossier ressorte en haut de la pile."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 juillet 2018                      Lien  
Auteur français, Roland Boschi (ça se prononce «Boh-skee», nous informe-t-il sur son blog personnel) dessine pour Marvel Comics. Après avoir publié de nombreux comics books outre-Atlantique, il s'apprête à sortir un western chez Glénat. Rencontre avec un de ces artistes qui fait carrière entre l'ancien et le nouveau monde.

Racontez-nous votre parcours. Comment est-ce qu’on en arrive à être publié directement aux États-Unis sans passer par la case France ?

En fait, je suis passé par la case France en travaillant dans le dessin animé pour différentes sociétés. J’avais commencé avec IDDH, donc du dessin animé de jeunesse. Je faisais du design et des storyboards. J’ai travaillé sur Code Lyoko, L’Ours Paddington, Esprit fantôme et plus récemment Les Quatre Fantastiques. J’ai fait beaucoup de storyboards et de design, avec toujours l’idée de faire de la bande dessinée. Je me suis quand même tourné vers les éditeurs français, parce que je suis autant d’inspiration franco-belge qu’américaine. J’aime les deux sans réserve. Mais il se trouve que c’est Marvel Comics qui m’a donné ma chance et ma voie.

Vous parlez l’anglais ?

Il faut bien parler un petit peu anglais ! Bon, travaillant à distance, je n’ai pas besoin d’être bilingue non plus !

Donc vous n’avez jamais été publié en France ?

J’avais publié des petits trucs chez Vents d’Ouest mais pas des projets d’albums à proprement parler. Je suis très heureux d’avoir fait mon petit Mini-guide des arts martiaux avec un ami de mon village qui a fait le scénario. C’était très marrant à faire. J’avais fait quelques essais mais pour monter des projets en France ce n’est jamais évident, parce qu’il faut s’entendre avec le scénariste, ce n’est pas forcément acquis de partir directement sur une BD. Et même si j’avais eu de bonnes entrevues, les choses ont fait que ça ne s’est pas concrétisé. Continuant mon parcours dans le dessin animé, j’ai eu l’opportunité de pouvoir soumettre un dossier à Marvel Comics.

Comment est-ce qu’on présente un dossier à Marvel Comics ?

J’ai rencontré d’abord les gens de Marvel Comics Europe / Panini, qui m’ont aiguillé sur les personnes à atteindre et les moyens de s’en sortir dans ce parcours, parce qu’il faut bien toucher les bonnes personnes ! Ce faisant, j’ai pu présenter mon dossier, mais il était en dessous de la pile. Ça ne s’est pas passé du jour au lendemain. Il a fallu un concours de circonstances heureux pour que ce dossier ressorte.

Roland Boschi : "Il a fallu un concours de circonstances heureux pour que mon dossier ressorte en haut de la pile."
Roland Boschi en mai 2018.
Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Quel a été cet heureux concours de circonstances ?

En fait, la personne qui a soumis mon dossier chez Marvel Comics, mon agent, était là au moment où l’éditeur de Ghost Rider voulait avoir du sang neuf et commencer un autre projet. Et il se trouve que j’avais fait pas mal de dessins sur Ghost Riders parce que le personnage me fascinait.

Vous aviez donc un agent ?

Oui, un agent français. Olivier Jalabert, qui avait placé pas mal d’auteurs français pour des petits runs, des one-shots, parce qu’il connaît bien ces éditeurs américains. En ce qui me concerne, c’est vraiment un rêve d’adolescent que de travailler chez Marvel, parce que c’est ce que je lisais quand j’étais gamin. Et il se trouve que l’exercice me plaît beaucoup. C’est très formateur, et chaque nouvelle série, chaque nouveau personnage est un nouveau challenge. C’est très stimulant pour un artiste de faire cela.

Comment est-ce que ça se passe ?

On me propose de travailler sur une série, ensuite un scénario arrive. Il y a les premiers découpages sur le scénario et l’auteur peut avoir toute latitude pour faire sa mise en scène, agencer la page comme il le sent. Et une fois qu’on est d’accord avec l’éditeur là-dessus, il n’y a plus qu’à faire les planches et à les mettre sur le site, tout simplement.

Weapon X par Roland Boschi - Scénario : Greg Pak, Fred Van Lente - Couleurs : Eric Canete
© Marvel Comics

Est-ce que vous avez découvert une autre façon de faire de la BD ?

J’ai découvert celle-ci puisque je n’avais que très peu d’expérience dans la BD. Sur le plan artistique, je n’ai jamais eu aucune direction ou restriction avec eux. On peut beaucoup parler du découpage de la narration et de la lisibilité, mais en revanche il laissent tout le crédit sur le rendu et la finition artistique à l’auteur.

Vous aviez regardé ce que faisaient vos prédécesseurs pour faire comme eux ?

Oui, je lisais du Marvel, du DC, des histoires de super-héros. J’ai quitté un temps ces lectures pour y revenir. Bien sûr qu’on est forcément nourri de tous les prédécesseurs. On reprend des personnages qui ont été dessinés des centaines de fois avant nous.

Magneto par Roland Boschi - Scénario : Cullen Bunn - Coulleurs : Lee Loughridge

Pour dessiner Ghost Rider, est-ce qu’on relit tout ce qui a été fait avant ou est-ce qu’on y va au culot ?

Cela peut être un peu des deux. En ce qui me concerne, j’aime bien regarder ce qui s’est fait, mais on n’a pas forcément toujours le temps, les bouquins et toutes les références. Ça permet aussi de l’aborder fraîchement. J’essaie de puiser ailleurs ma documentation. Sur ce thème de la cavale et des enfers, il y a bien d’autres références que l’on peut greffer !

Qu’est-ce que les américains attendent des artistes français ?

Je ne sais pas si on peut parler d’une attente spécifique vis-à-vis des artistes français. Mais il y a un intérêt à changer d’auteur, de point de vue, les Français leur apportent une certaine fraîcheur.

Magneto par Roland Boschi - Crayonnés.
© Marvel Comics

La BD américaine n’est donc pas de la BD formatée où il faut toujours faire la même chose ?

Non, je dirais même que c’est complètement l’inverse maintenant ! Ce n’est que mon avis, mais dans les années 1980-1990, ils sont arrivés au bout de ce concept d’être vraiment ultra-américains dans la mise en page, la façon de faire. Ils semblent revenus sur une narration plus classique, plus lisible. Les scénarios le veulent aussi : ils sont souvent beaucoup plus rattachés à la réalité qu’ils ne l’étaient les années ou les décennies précédentes. J’ai, de ce point de vue là, été orienté par l’éditeur qui m’encourageait à faire de la narration lisible plutôt que d’éclater les pages.

Est-ce que c’est un travail de galérien ?

Le rythme est très élevé, 16 à 20 planches par mois ; effectivement, il faut avoir du jus. Là-dessus, on est payé à la page alors il faut un rendement qui permette d’en vivre.

Qu’est-ce qu’on dessinateur moyen peut espérer gagner chez Marvel ?

En faisant son épisode par mois, on peut espérer faire 10 épisodes dans l’année, ce qui est déjà copieux, mais on gagne bien sa vie. C’est bien au-dessus du SMIC. Mais après, il faut avoir la fraîcheur pour se renouveler et tenir le rythme. En ce qui me concerne, si j’ai déjà fait huit épisodes dans l’année, c’est bon pour moi. Certains en font beaucoup plus.

The Punisher par Roland Boschi. Scénario : Rick Remender - Coulerus : Dan Brown.
© Marvel Comics

Il n’y a pas des périodes de chômage où on ne pense plus à vous appeler pendant des mois ?

Si, mais cela fait partie du métier de freelance. Simplement, quand on est dans le circuit et que ça marche bien, les propositions reviennent. Pour revenir à votre question, c’était exactement mes préoccupations, parce qu’on a plutôt tendance à vivre au jour le jour, sans savoir si on sera gardé ou viré. On peut avoir une période d’incertitude pendant un mois, où on n’a pas de réponses ou de retours. Souvent, ce sont des gens très occupés. Puis des contacts, des propositions reviennent. Dans la pratique, j’ai eu pas mal de roulements et de propositions.

Est-ce un vrai travail de mercenaire où on vous commande des choses que vous n’avez pas envie de faire ?

Je suis assez versé dans cette littérature et j’ai eu la chance d’avoir de bons scénaristes. J’ai commencé avec Jason Aaron sur Ghost Rider, un très bon écrivain qui a repris la manière de Tarantino et c’était très pertinent sur ce personnage. J’ai bossé avec Rick Remender, avec Warren Ellis, toute une série de très bons écrivains. Je n’ai jamais eu à me dire «  non, ça je n’ai pas envie de le faire…  ». Parfois, il leur arrive d’être un petit peu en panne d’inspiration sur le scénario, mais en général cela revient.

Quelles sont les grandes séries sur lesquelles vous avez travaillé ?

J’ai commencé avec Ghost Riders, ensuite j’ai fait un one shot sur Wolverine. Puis je suis passé sur le Punisher. C’est un vrai challenge de changer d’univers à chaque fois, c’est très déstabilisant et en même temps très intéressant et formateur. Les séries plus récentes, c’était Winter Soldier avec Rick Remender et Karnak avec Warren Ellis. Je viens de finir une paire d’épisodes de Wolverine, le nouveau, retour à ce personnage avec lequel j’avais commencé à mes débuts, et j’ai fait Weapon X et Wolverine Max entre-temps. Et puis, j’ai participé à un numéro de Star Wars Annual, un univers complètement différent avec d’autres références, d’autres contraintes.

Ghost Rider par Roland Boschi - Scénario : Jason Aaron- Couleurs : Dan Brown
© Marvel Comics

Et maintenant, vous revenez en France chez Glénat avec un western. Pourquoi ce retour en France ?

J’ai d’abord été séduit par un très bon synopsis de Jérémie Guez, qui est écrivain par ailleurs. C’est son premier travail dans la bande dessinée. Il écrit surtout des polars dont certains ont été primés. Donc, c’est l’histoire bien écrite et bien faite et cette rencontre qui m’ont donné envie de participer à ce projet. Et j’avais aussi envie de changer de registre : à trop rester dans le même univers, on tourne en rond, on s’enferme.

Les Américains ne sont pas vexés par cette infidélité européenne ?

Ça, je vous le dirai quand j’aurai fini ! De toute façon, mon statut de freelance ne m’engage à rien à ce niveau là. Il aurait pu y avoir conflit si j’avais eu un contrat d’exclusivité, mais ce n’est pas le cas.

Mais ils ne risquent pas de vous oublier ou est-ce que grâce aux scénaristes contents de cette collaboration avec vous que vous pourrez revenir ? Est-ce qu’ils sont prescripteurs ou est-ce que ce sont les éditeurs qui décident de tout ?

C’est possible qu’ils m’oublient... mais qu’en savons-nous ? Quand à savoir comment ça se passe, si Warren Ellis décide de travailler avec moi, il y a des chances qu’on fasse ce livre. Mais faire un comics représente quelques mois de travail. Alors on peut un peu décaler tout ça pour continuer à se consacrer à d’autres projets intéressants.

Est-ce qu’il y a des contacts directs avec les scénaristes, ou est-ce que tout passe par Marvel ?

Généralement, tout passe par Marvel. On se met toujours tous en copie sur le travail. C’est assez compartimenté : à partir du moment où je reçois le scénario, il a été validé par l’éditeur et moi je propose ma narration et bien sûr les planches finies. Simplement, il nous arrive de temps en temps d’échanger directement. J’avais eu beaucoup de plaisir à travailler avec Rick Remender notamment, parce qu’il m’avait demandé de m’amuser sur des designs de Winter Soldiers en amont, avant qu’on puisse avoir les scripts. Alors là c’était vraiment agréable parce qu’on a eu de vrais échanges, de vraies conversations. Ça fait que le projet tient un peu plus à cœur quand ça se passe ainsi !

Le projet chez Glénat est prévu pour quand ?

Nous espérons le sortir à la fin de cette année, ou au début de l’année prochaine pour Angoulême, ça serait bien.

Propos recueillis par Didier Pasamonik et retranscrits par Céline Bertiaux.

Ghost Rider par Roland Boschi - Scénario : Jason Aaron- Couleurs : Dan Brown

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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