Auteur prolifique, Jeff Lemire mène plusieurs carrières parallèles : scénariste ou scénariste-dessinateur, travaillant pour les grandes licences, inventant des univers à lui ou narrant des épisodes plus personnels.
On l’a ainsi connu chez Marvel (Hawkeye, ou Moon Knight) ou chez DC Comics (Green Arrow, Animal Man, Justice League ou encore Justice League Dark). Mais aussi dans des projets indépendants de grande ampleur et de grande qualité, certains en collaboration comme Black Hammer (avec Dean Ormston) ou Descender (avec Dustin Nguyen), ou en solo comme Trillium ou Sweet Tooth. Et puis, il y a une veine plus "auteuriste", celle de Jack Joseph et d’Essex County dans laquelle s’inscrit Royal City.
L’action nous plonge dans la ville éponyme, où vivent depuis plusieurs générations les membres de la famille Pike. Lorsque le patriarche de la famille fait une crise cardiaque, ses trois enfants se retrouvent, après que leurs itinéraires respectifs les aient éloignés les uns des autres.
Patrick, parti dès qu’il le put, mène une carrière d’écrivain, mais se trouve confronté à une importante crise de création. Tara veut transformer l’économie de la cité mais son projet menace l’industrie locale et ses emplois, à commencer par celui de son mari. Richard enfin n’est plus qu’une épave embarquée dans de multiples affaires douteuses.
Tous partagent pourtant quelque chose : le deuil de leur petit frère, Tommy, mort quelques années plus tôt. Un disparu dont la figure vient hanter chacun d’entre eux, les confrontant à ce moment de leur existence où il perçoivent confusément que leur vie à bifurqué, voire déraillé. Et si Tara voit le petit garçon qu’elle gardait adolescente, Richard discute lui avec le copain de beuverie qu’il aurait pu avoir quand sa mère dialogue avec le prêtre de fils qu’elle aurait voulu avoir. Patrick, quant à lui, retrouve à Royal City l’écrivain à qui il doit sa renommée littéraire.
Royal City s’affiche donc conjointement comme une histoire de famille, une histoire sociale, une histoire de deuil et une histoire de fantôme. Le tout magistralement intriqué.
On retrouve bien là tout le talent narratif de Jeff Lemire, auquel s’ajoute une dimension intimiste éminemment palpable qui oscille entre tendresse, tristes apories et questionnements existentiels. Son dessin rugueux, presque maladroit, confère à la fois une épaisseur au propos et un zeste d’onirisme à l’atmosphère de ce récit. Voilà qui en fait l’un des comics à suivre dans les prochains mois.
(par Aurélien Pigeat)
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