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Rwanda 1994-2014 : un bien triste anniversaire

Par Christian MISSIA DIO le 7 avril 2014                      Lien  
Ce 7 avril 2014, le Rwanda, petit pays d'Afrique centrale commémore le vingtième anniversaire du génocide de la minorité tutsi. Témoin de l'Histoire du monde, la bande dessinée a retranscrit à sa manière cette tragédie.

L’Afrique a donc été le théâtre du premier et du dernier génocide du vingtième siècle. Après le Massacre des Héréros et des Namas par l’Etat allemand en Namibie en 1904, celui des Tutsis et le massacre des Hutus dits “modérés” a pour particularité que la population rwandaise a pris une part active dans ces exactions.

Une actualité encore douloureuse

Rwanda 1994-2014 : un bien triste anniversaire
Déogratias
La première BD en Europe francophone à traiter directement du génocide au Rwanda.
Jean-Philippe Stassen (c) Air Libre/Dupuis

L’info a circulé hier dans tous les médias français. À la veille des commémorations du vingtième anniversaire du génocide des Tutsis, la France suspendait ses relations avec le Rwanda.

En cause, les accusations du président rwandais Paul Kagame portées à l’encontre de la France et de la Belgique sur leur "rôle direct dans la préparation du génocide" qui fut perpétré entre le 7 avril et le 2 juillet de l’année 1994 au Rwanda : entre 800 000 et un million de personnes furent tuées en l’espace de cent jours. Des attaques que l’homme fort de Kigali - qui est coutumier du fait - a tenues au cours d’une interview accordée à l’hebdomadaire panafricain français Jeune Afrique, en kiosque cette semaine.

Si la Belgique a maintenu le voyage de sa délégation diplomatique à Kigali pour les cérémonies commémoratives du sinistre événement, la France a réagi tout autrement en annulant le voyage de la Ministre de la justice Christiane Taubira, sensée représenter le gouvernement français. Seul l’ambassadeur de France au Rwanda y sera présent.

Cet énième rebondissement marque un nouveau coup d’arrêt aux relations diplomatiques entre les deux pays. Celles-ci étaient pourtant relancées grâce au lobbying de l’ancien ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui est aussi un ami personnel de M. Paul Kagamé, et au voyage de l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2010 au Rwanda.

En janvier 2012, l’enquête de deux juges français sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana et qui dédouanait le FPR, le mouvement militaire et politique de M. Kagamé, était en partie révélée à la presse. Ce complot qui eu lieu le 6 avril 1994, au cours duquel l’ex-président rwandais et son homologue burundais trouvèrent la mort, est unanimement considéré comme étant le prétexte au déclenchement du génocide. Enfin, la tenue début mars, et pour la première fois en 20 ans, sur le sol français d’un procès contre un génocidaire et sa condamnation à 25 ans de prison donnait pourtant l’impression que Paris et Kigali étaient définitivement sur la bonne voie de la réconciliation.

L’éloquence du 9e art

Jean-Philippe Stassen
Crédit photo : Patrick Pinchart

Dans le domaine de la bande dessinée, Jean-Philippe Stassen fut le premier à parler du génocide des Tutsis. Paru en 2000 dans la collection Aire Libre des éditions Dupuis, Déogratias racontait la tragédie qui a transformé le Pays des mille collines en immense charnier. Il a depuis signé d’autres ouvrages et histoires sur le sujet : « Contrairement à ce que certains disent, ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 a été assez rapidement qualifié de génocide. C’est un terme juridique de droit international qui concerne le plus important des crimes contre l’humanité par définition et cela m’a touché en tant qu’individu, en tant qu’être humain. Normalement, ce genre de crime doit concerner tout le monde mais bon… Il se trouve qu’à l’époque, il y avait des personnes très proches de moi qui étaient rwandaises et qui ont été directement touchées par ce qui s’est passé. Depuis, il y en a eu d’autres, vu que je me rends régulièrement dans ce pays. La première fois que je me suis rendu dans ce pays, c’était après le génocide mais je ne m’y suis pas rendu dans le but de faire une BD sur cet événement de l’histoire, c’était pour des raisons personnelles. J’y suis resté six ou sept mois et, à vrai dire, je ne connaissais pas très bien l’histoire de ce pays avant d’y aller. Mais j’y ai rencontré sur place des gens qui avaient une bibliothèque très fournie sur le sujet et j’ai donc passé des mois à lire et à me documenter, aussi bien en français qu’en anglais. Puis, quand je suis rentré à Paris, j’ai été scandalisé par ce que je lisais autour du génocide tutsi dans la presse en général. À l’époque, Internet n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. En France, il a fallu attendre 1998 pour enfin lire des articles sérieux sur le sujet, même si il y a eu des choses justes qui ont été produites au moment du génocide, je pense particulièrement à certains articles parus dans le journal La Croix ou aux papiers de Patrick de Saint Exupéry pour Le Figaro. À part ça, il était difficile de trouver de bons articles sur le sujet. Je devais donc m’approvisionner régulièrement en journaux belges tels que Le Soir ou la Libre Belgique car la Belgique à des liens historiques avec le Rwanda. C’est comme cela que j’ai commencé à travailler sur Déogratias. Mais j’étais un peu inquiet de la manière dont mes amis rwandais allaient interpréter ma démarche car la BD n’est pas toujours très bien considérée là bas. »

Aimable Karirima
Journaliste, Aimable est aussi un rescapé du génocide.
Crédit photo : Karirima

Aimable Karirima est un journaliste et réalisateur rwandais, tutsi, vivant en Belgique. Il est aussi un rescapé du génocide. Il y a vingt ans, Aimable vivait au Rwanda. Il nous raconte son calvaire : «  J’avais 25 ans à l’époque et je terminais un contrat de travail avec l’ambassade d’Allemagne à Kigali. Grâce à mon travail, je disposais d’un logement dans les murs de l’ambassade. C’est ce qui m’a protégé au début lorsque le génocide à commencé. Lorsque tous les diplomates européens sont partis, je me suis caché dans plusieurs endroits avec mon petit frère et d’autres personnes. Nous avons ensuite traversé le pays en direction du Sud, vers ma ville natale Butare mais le chemin fut long et très pénible… Nous avons été capturés à Butare et j’ai été torturé car mes bourreaux ont cru que j’étais un militaire du FPR et ils cherchaient ainsi à me faire avouer des informations sensibles. Je ne sais pas pourquoi ils ne m’ont pas tué, pourtant c’était mon souhait... Par la suite, nous avons réussi à nous échapper mon frère et moi et nous avons pu fuir le pays vers le Kenya, où l’on m’a soigné. Puis, je suis revenu au Rwanda à la recherche de ma famille. Nous étions sept frères et sœurs, six garçons et une fille. Seuls ma mère et mon petit frère ont survécu. Mon père était décédé des années avant le génocide, durant les pogroms anti-tutsis qui ont précédé ce cataclysme. Enfin, je me suis envolé vers l’Europe. » Aimable raconte son histoire dans un documentaire intitulé la Traversée du génocide.

Dans le film documentaire franco-cambodgien L’Image manquante, l’auteur Rithy Panh raconte le massacre perpétré par Pol Pot, le leader des Khmers Rouges, en substituant les images les plus choquantes grâce à des reconstitutions réalisées à l’aide de poupées en argile. Une approche créative qui fait écho à la méthode de travail de Jean-Philippe Stassen dans sa manière de représenter l’innommable : « Je me sens absolument incapable de représenter de telles choses, je ne peux qu’évoquer le vertige que je ressens en m’approchant de ceux qui les ont vécues. »

D’autres ont une approche différente et plus directe. Ce fut le cas de Pat Masioni dans le diptyque Rwanda 1994 (scénario de Cécile Grenier et Alain Austini, Vents des savanes), un livre très contesté dans nos forums.
Actuellement, l’exposition itinérante Les 100 jours du génocide des Tutsis : photos, dessins et caricatures de la presse internationale expose des œuvres-témoignages mais aussi des photos de restes humains.

La fantaisie des Dieux
Par Patrick de Saint-Exupéry & Hippolyte (c) Éditions les Arènes

Vingt ans plus tard et contre toute attente, beaucoup, et Stassen le premier, doutaient que ce petit pays enclavé, sans ressources minières et au taux de natalité trop important pour ses frontières puisse relever la tête. Pourtant, c’est le cas. Du moins, c’est en bonne voie. La croissance économique affiche quasiment chaque année et depuis le début des années 2000 des chiffres insolents. Des projets ambitieux pour l’éducation des enfants se multiplient. La parité hommes-femmes est l’un des chevaux de bataille du gouvernement de Kigali et, de l’avis des observateurs, le processus de démobilisation des rebelles semble porter des fruits intéressants.

Mais cet optimisme ne doit pas nous faire perdre de vue les immenses défis que la Suisse d’Afrique (pour ses paysages) doit encore relever. Un gouvernement fort, que certains accusent de prendre le chemin du totalitarisme, une presse locale ayant du mal à survivre et les morts suspectes d’opposants politiques. Sans compter la pression de la communauté internationale qui accuse régulièrement le Rwanda de déstabiliser et de piller les richesses de l’Est de son immense voisin, la République Démocratique du Congo. Tout cela subsiste. Car le génocide des Tutsis est l’une des clés pour comprendre la géopolitique complexe et l’histoire troublée de la région des Grands Lacs d’Afrique centrale.

Extrait de Déogratias
L’opposition "ethnique" hutu et tutsi a été mise en place durant la colonisation et a atteint son point d’orgue après l’indépendance jusqu’au génocide de 1994.

Enfin, si les mots “hutu” et “tutsi” ont été bannis, le fantôme du génocide demeure encore bien présent dans les esprits. Stassen nous disait d’ailleurs : « C’est très intéressant de constater la différence qu’il y a entre les Rwandais de France et de Belgique, où ils sont bien plus nombreux, et ceux restés au pays. C’est très clair qu’ils ne se mélangent pas, que ce soit à Paris ou à Bruxelles. Ils ont chacun leurs bistrots, leurs lieux de rencontre mais ils ne se mélangent pas. Au Rwanda, le quotidien fait qu’ils sont obligés de se côtoyer, dans la rue, à l’école, au travail et chacun sait qui est qui ou qui a fait quoi mais ils n’ont pas le choix que de vivre ensemble. » Une observation confirmée par les Rwandais de Belgique, avec une nuance tout de même : ces dernières années, l’opposition s’est faite moins sur la question “ethnique” et plus sur le terrain politique. Mais les blessures demeurent encore vivaces. D’ailleurs, Aimable Karirima ne dit pas autre chose : « Donnez-nous du temps ».

Un extrait des Revenants
Un récit de Stassen paru dans le n°20 - automne 2012 de la Revue XXI.
Cette BD-reportage parle des Rwandais hutu et tutsi contraints à l’exil suite au génocide et qui retournent au Rwanda quelques années plus tard.

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition « Les 100 jours du génocide des Tutsis » : Photos, dessins et caricatures de la presse internationale.

Du 19 mars au 11 avril 2014 : A l’Atrium du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (72, rue Royale – 1000 Bruxelles),

Jours ouvrables de 11h à 17h

Du 18 avril au 16 mai 2014 de 10h à 19h : A Liège, /

Espace Gestion Centre-ville

Infos : Territoires de la mémoire. Tél. +32(0) 4 232 70 60

Du 19 mai au 16 juin 2014 : Au Luxembourg, / Ecole internationale de l’UNESCO
38, Boulevard Pierre Dupong – 1430 Luxembourg

Octobre 2014 de 8h30 à 19h30 : A Bruxelles, / ULB – Campus du Solbosch, Le foyer, ;

3, Avenue Paul Héger – 1050 Bruxelles

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Lire aussi :

- Hippolyte et Patrick de Saint-Exupéry (« La Fantaisie des Dieux ») « Notre album pose toutes les bases pour comprendre ce qui s’est passé au Rwanda »

✏️ Jean-Philippe Stassen ✏️ Pat Masioni
 
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