Un catalogue de galères professionnelles, une galerie de portraits, et aussi un joli portrait de couple. Salaire Net et monde de brutes propose tout cela à la fois. Et en ces temps de crise omniprésente, de précarité généralisée, voir défiler les mille petits boulots accessibles à deux diplômés de l’enseignement supérieur qui "présentent bien" (comprendre plutôt jeune, et plutôt agréable physiquement) a quelque chose d’hallucinant. Un essai qui a fait date évoque leur situation en détail : Les intellos précaires [1]
Si Sébastien Marnier n’avait pas choisi une tonalité guillerette, et Élise Griffon des couleurs plutôt claires et nettes, ce recueil aurait pu ressembler à une longue plainte désespérée. Avec ce ton sarcastique -ou les auteurs ne s’épargnent pas-, on se croirait presque dans un reportage du Petit Journal de Canal plus.
Reste la part vécue et la force du témoignage. Sur ce plan-là, cet album instruit et fait peur. Quelle incroyable variété des "missions" qu’on peut trouver dans les agences d’interim... Et surtout quelle épouvantable succession de managers, petits chefs et autres supérieurs. Qu’ils apparaissent en situation ou isolés dans des dessins pleine page, il représentent une sorte d’ennemi endémique de nos chercheurs de job. Mais ils sont également le reflet des techniques vantées dans les séminaires pour cadres en ressources humaines, ou dans les écoles de commerce. De quoi rester songeur.
Bien équilibré entre scènes gentiment embarrassantes et vraies souffrances en milieu professionnel, Salaire Net et monde de brutes possède des passages marquants, et qui font froid dans le dos. Les fêtes imposées par une responsable d’un magasin de vêtement, ou bien les discours obscènes d’un trio de cadres métamorphosés par une perspective libidineuse. Mais le chef-d’œuvre absolu de cet album se déroule au téléphone. Sébastien et Élise, côte à côte, en pleine conversation pornographique ultra-hard, et se passant des lingettes bronzantes l’air détaché. Probablement loin de ces années sombres [2], ils résument la règle de survie : être là en restant, combativement, absent.
(par David TAUGIS)
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[1] par Anne et Marine Rambach, paru en 2001, d’ailleurs suivi par Les nouveaux intellos précaires, dix ans après...
[2] Sébastien Marnier a écrit le spectacle de la chanteuse Marianne James, à l’affiche en cette rentrée 2013