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Salon du Livre 2012 : Où en est le manga en France ?

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 14 mars 2012                      Lien  
Alors que le Japon est l'invité du Salon du Livre 2012, l'occasion nous est donnée de faire le point sur le manga en France. Qui en sont les principaux acteurs? Son marché est-il en stagnation ou en croissance? Revue de détail.

Passionnant débat hier au Centre National des Lettres, lors d’une rencontre professionnelle organisée par le Bureau International de l’Édition Française (BIEF) à l’occasion du Salon du Livre où étaient réunis deux éditeurs du manga bien connus en France : Dominique Véret, l’éditeur de Akata et le fondateur de Tonkam (groupe Delcourt), Stéphane Ferrand, éditeur de Glénat Manga et M. Yoshio Irie, vice-président et membre du Board de la société Kodansha.

Le thème du débat portait sur le "Panorama de la production éditoriale des mangas et de la bande dessinée". Vaste sujet qui a permis à Dominique Véret de réaffirmer son crédo : "Il faut rétablir un équilibre entre culture et commerce dans l’exploitation du manga en France." Il constate une concurrence de plus en plus aigüe entre éditeurs pour préserver leurs parts de marché et une forte tendance de la part des Japonais à faire monter les à-valoir : "C’est de plus en plus difficile de construire une politique éditoriale originale et pertinente pour un catalogue manga [en France]. Si on ne construit pas un équilibre entre culture et commerce, cela s’essoufflera et favorisera un intérêt pour d’autres BD asiatiques plus rafraîchissantes." [1]

Salon du Livre 2012 : Où en est le manga en France ?
Hier au Centre National des Lettres : M. Yoshio Irie (Kodansha), Dominique Véret (Akata / Delcourt) et Stéphane Ferrand (Glénat Manga)

Le manga : 36% des BD vendues en France

Mais justement, quel est-il, ce marché ? Il est extrêmement concurrentiel et la bataille fait rage.

Si l’on en croit les chiffres de GfK, sur un marché de 39 millions d’albums vendus en France en 2011 (relativement stable par rapport à 2010), près de 14 millions ressortent du manga, soit 36% des ventes ! Évidemment, vu le moindre prix de vente des mangas, en chiffre d’affaires, l’équilibre est davantage en faveur de la BD : 314 millions d’euros pour la BD en 2011 (en croissance de 4,1% par rapport à 2010) contre 101 millions pour les mangas (en croissance de 1,8% par rapport à 2010).

Le premier contributeur en chiffre d’affaires sur le manga en France est sans conteste Glénat, même si Kana est le premier contributeur en nombre de titres. Avec près de 27% de parts de marché, toujours selon les mêmes sources, Glénat domine de la tête et des épaules le groupe Média Participations et son label Kana (près de 19%), suivi de Pika/Hachette (env. 14%), Delcourt (env. 13%, Soleil inclus), Kurokawa (env. 8%), Kazé (env. 6%), Ki-Oon (env. 5%), Panini (env. 4%) et Casterman (env. 2%).

Si on voit la progression des uns et des autres entre 2010 et 2011, on constate une bonne progression de Glénat et un recul notable de Kana. La raison de cet écart est l’arrivée en tête des ventes de One Piece dont la série a vendu env. 1,5 millions d’albums en 2011 coiffant au poteau Naruto (env. 1.2 millions d’albums) alors que l’année précédente, c’est le héros aux cheveux carotte qui damait le pion au marin en canotier.

La série One Piece (Génat Manga) a été la meilleure vente des mangas en France en 2011 avec 1,5 millions d’exemplaires vendus.

On s’aperçoit aussi d’une percée remarquable de Kazé Manga, de Ki-Oon et de Kurokawa cette année, lesquels commencent vraiment à tailler des croupières aux leaders.

Quid du manga numérique ?

Les éditeurs francophones présents restaient encore dubitatifs sur l’émergence d’un marché numérique pour le manga comme pour la BD : "Le modèle économique n’est pas encore trouvé en France" constatait Stéphane Ferrand, tandis que M. Yoshio Irie indiquait que ce segment constituait désormais 10% du marché du manga au Japon : "La lecture du manga sur le support numérique n’est pas ressenti comme une menace chez nous, elle devrait croître encore. Grâce aux mangas numériques, nous trouveront de nouvelles opportunités pour notre marché qui, par ailleurs, est en panne de croissance."

Il signale par ailleurs que le marché du livre numérique au Japon est de 65 milliards de Yens (env. 60 millions d’euros) et que le manga constituait 80 à 85% de ce chiffre.

Les mangas en France constituent un marché de 101 millions d’euros.

Une collaboration entre le Japon et la France ?

Interrogé sur l’arrivée d’opérateurs japonais directement en France (Kazé Manga, marque de Viz Europe), M. Yoshio Irie a rappelé que ce n’est pas la première fois que Kodansha mettait le pied sur notre continent : au milieu des années 1980, la revue Morning avait recruté des auteurs français (Baudoin, Baru,..), italiens (Mattotti....) ou américains (Paul Pope...) pour les publier dans leur magazine, puis en album, sous la direction d’un rédacteur japonais. Sans succès au Japon. Mais il ne désespère pas d’une attitude plus favorable au regard de l’évolution récente de la bande dessinée française.

Il s’est montré bien plus discret en revanche sur la stratégie et les intentions de Kazé en France à ce sujet, tout en expliquant qu’en Chine, sa société avait établi une rédaction locale avec des rédacteurs japonais afin de produire des mangas chinois conformes aux canons japonais. Un magazine de mangas chinois va y être prochainement lancé. "Nous ne connaissons pas d’auteurs français capables de produire 80 planches de bande dessinée chaque mois" fit remarquer Stéphane Ferrand.

Les Mangas au Salon du Livre 2012

Avec une exposition pour célébrer les 10 ans de Naruto, la venue de Mme Moto Hagio, M. Taku Nishimura (Jean-Paul Nishi, A nous deux, Paris chez Picquier) et de Mme Mari Yamazaki (Kurosagi - Service de livraison de cadavres chez Pika et Thermae Romae chez Casterman) entre autres, Le Salon du Livre 2012 a bien évidemment mis le manga au menu. On peut utilement consulter leur programme à ce sujet.

Comme on le voit, l’aventure des mangas en France est loin d’être terminée...

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Salon du Livre - du 16 au 22 mars 2012 - Porte de Versailles (Paris)

Photos : D. pasamonik (L’Agence BD)

[1in La Lettre du BIEF N°87, mars 2012.

 
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18 Messages :
  • Est-ce que la BD francophone se vend bien en Asie ? Du genre 30% de leur marché ? Je pose la question car il me semble que l’on est toujours prêt à accepter à bras ouvert la production venant d’ailleurs sans pour autant que cela soit réciproque. Je pose aussi la question bien naïvement, sans d’autre arrière pensée que de vouloir que les choses soient égales entre artistes de quelque nationalité qu’ils soient. Je ne suis pas pro manga, mais pas non plus expert en la matière. Je trouverais injuste que les auteurs francophones, qu’ils soient Français, Belges ou Québécois perdent leur boulot, au profit d’auteurs étrangers si cela n’est pas réciproque. Tendre la joue gauche c’est gentil, mais serré la main franchement, c’est quand même plus sympa.

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    • Répondu par yazz83 le 14 mars 2012 à  17:15 :

      Merci d’attendre après l’élection pour avancer des thèses Frontiste sur le forum svp...la médiocrité a des limites quand même...

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      • Répondu le 14 mars 2012 à  19:23 :

        Je vois que Patrick est pour le protectionnisme. Il ne faut pas que nos enfants lisent Harry Potter mais Fantomette, c’est comme ça.

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        • Répondu le 15 mars 2012 à  01:14 :

          Personnellement, je souscris en grande partie aux propos de Patrick, même si un peu "naïfs" comme il le dit lui-même.
          Un peu d’honnêteté intellectuelle : la déferlante Manga chez nous relève avant tout d’un "buzz éditorial" afin de créer de toute pièce un nouveau besoin "culturel" chez les nouvelles générations. Le protectionnisme dont parle le précédent intervenant serait plutôt à mettre au dédit des japonais, n’ayant pas le moindre intérêt pour le fabuleux patrimoine du franco-belge sur la planète BD (et tout son héritage). L’hégémonie culturelle, surtout quand on en considère la finalité (les gros sous), n’est en rien comparable à quelques "thèses Frontistes" que ce soient.

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        • Répondu par Patrick le 15 mars 2012 à  06:03 :

          Allez lire la réponse que j’ai faite à votre l’autre attaquant, elle est valable pour vous aussi. Je ne veux pas interdire les mangas en Europe ou ici, Je posais seulement la question : Sommes-nous accueillis chez eux aussi ? Justement je lis avec plaisir Harry Potter, Maupassant, Bob Morane, Stephen King ou Kafka. J’espère juste que c’est réciproque. Pourquoi diable faut-il que tout le monde attaque toujours l’autre ? Est-ce que je vous insulte moi ?

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      • Répondu par Patrick le 15 mars 2012 à  05:58 :

        J’étais sûr que ce serait interprété comme ça. Je n’ai JAMAIS dit quoique ce soit contre les mangas ou leurs auteurs qu’ils soient Européens, Chinois, Russes ou Martiens. Je pose la question tout simplement : sommes-nous aussi bien accueillis chez eux que eux chez nous ? Et je l’ai mentionné, je disais cela de façon naïve, car je n’ai aucune idée de la réponse. Je trouve que ce qui est malsain dans ce forum c’est souvent justement les gens qui attaquent les autres sans lire ce qui est écrit et sans savoir qui sont ceux qu’ils attaquent. Mes parents étaient des Français, je suis né au Québec,et j’y vis encore, j’ai marié une Mexicaine, mes enfants sont donc un joyeux mélange de nationalités et de races. J’ai habité 2 ans dans ce beau pays. Et j’ai toujours défendu les injustices, peu importe la couleur de celui qui frappait. Alors je ne suis ni raciste ni quoique ce soit que vous voudriez que je sois. Je pose la question : Est-ce que nos BD se vendent là bas ? C’est un beau marché, y a t-il un mal à vouloir que nos productions soient elles aussi appréciées là bas ? Les auteurs de Bd doivent eux aussi payer leur loyer et leur épicerie.

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    • Répondu par mmarvinbear le 15 mars 2012 à  03:58 :

      C’est la campagne, cela se voit...

      Mais bon, il faut quand même se rendre compte qu’en matière artistique, les choses sont différentes que pour les biens de consommation et les services. Après tout, nous importons beaucoup de cinématographie américaine, et nous y en exportons très peu. Et cela n’émeut personne.

      D’une certaine façon, le domaine de l’art et de l’écrit est ultra-libéral. Seul le produit importe, il n’est nulle autorité de régulation, nul quota pour compenser un déséquilibre. Et c’est tant mieux. Serait-ce normal et juste d’être privé d’ "Avatar" au motif que le cinéma américain a encaissé déjà tant de millions, et qu’il faut rééquilibrer avec un truc du genre " J’ai un secret, je te le dirai sous la pluie " ( Lexomil d’or au dernier festival de Déprime-sous-sédatif ).

      Rien ni personne n’empêche les auteurs occidentaux de tenter leur chance au Japon. Mais un conseil pour eux cependant. Ils ont intérêt à brancher la cafetière car c’est pas en sortant un album tous les cinq ou six ans comme certains le font qu’ils vont se faire une place au soleil levant.

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  • Salon du Livre 2012 : Où en est le manga en France ?
    15 mars 2012 00:33, par Alain De Kuyssche

    Et si on repensait le contenu des BD européennes ? Si les mangas se sont imposés chez nous, c’est peut-être bien parce qu’il y avait une attente à laquelle la BD de chez nous ne répondait plus ? Dans ses années d’or, la BD franco-belge répondait à une attente et tenait compte des réalités du moment : peu de loisirs pour les jeunes, marché ado quasi inexistant,existence du cinéma, scoutisme (mais oui !), etc... Les mangas s’insèrent dans un monde de loisirs où dominent la télé, les jeux vidéo. S’ils ne connaissent plus l’expansion d’autrefois, c’est peut-être qu’à leur tour, les mangas n’ont pas tout à fait intégré le monde des Ipads, des MP3 et des nouvelles technologies. Questions...

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    • Répondu par J-Phil le 15 mars 2012 à  14:01 :

      Et si on repensait le contenu des BD européennes ?

      Tout faux Alain, le problème c’est le contenant, pas le contenu, la forme, pas le fond.

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  • " Je vois que Patrick est pour le protectionnisme. Il ne faut pas que nos enfants lisent Harry Potter mais Fantomette, c’est comme ça."

    Oui, comme Hollywwod et et les USA le sont, tellement il est insupportable de voir débarquer chez eux un bon film étranger, obligé de retourner des bons films parfois pour le pire, ( perso le millénium version Hollywood est une belle grosse daube ) et c’est rigolo, aucun gurus du libre échange ne pointe du doigt ce bon vieux protectionnisme US...Par contre, quand un gus de la vieille europe ose poser la question, non pas pour se foutre sur la gueule en terme de notion versus nation, mais juste pour décortiquer la nature des flux, alors là, c’est un " frontiste" ?

    Haha...oui, ceux qui ont voté non à l’europe du busness sont des fachos, et Chavez est un horrible dictateur, c’est ça ? ^^

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    • Répondu le 15 mars 2012 à  09:44 :

      "Il s’est montré bien plus discret en revanche sur la stratégie et les intentions de Kazé en France à ce sujet"

      juste une précision sur ce point expliquant la discrétion de M. Irie, qui représente Kodansha : Kaze n’a pas été racheté par Kodansha, mais par Sho-pro, consortium piloté par Shogakukan et Shueisha.

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  • Confronter 2 cultures, et on parle culture ici, pas auteurs ou artistes, ce n’est pas eux qui se vendent c’est leur oeuvres et la perception qu’un public en a, c’est une thèse pas trés propre.
    J’avoue m’être un peut emporté, désolé, mais demander au petit japonais ou américains de se taper, Ducobu ou les guides en BD et Boule et Bill par "Egalité" ça n’a pas de sens, ça n’a même pas marché pendant la colonisation...

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    • Répondu par jet le 15 mars 2012 à  13:46 :

      désolé d’étouffer dans l’oeuf les digressions sur le protectionnisme, mais si la BD ne se vend pas au Japon c’est avant toutes choses pour des raisons techniques = sens de lecture, narration opposées (dilatation contre elipse), placement des phylactères totalement différents, rythme de production (pas assez élevé pour satisfaire la base de marché qui est la prépublication de 22/24p par semaine), coûts d’impression (plus élevés sur la couleur que sur le noir et blanc), différences de normalisation de scénario ou de définition de personnages, ciblage du public (plus normé au Japon qu’en France) etc... je ne fais pas la liste complète.

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      • Répondu par Patrick le 16 mars 2012 à  17:17 :

        Mais les problèmes culturels (sens de lecture etc.) sont existants dans l’autre sens logiquement. Le rythme de production pourrait être contré pour les séries déjà existantes, pour les séries actuelles effectivement personne ne peut dessiner quelque chose de qualité à ce rythme, à moins d’avoir un studio et encore. De nombreuses Bd peuvent être aussi belles en noir et blanc (voir plus belles encore dans certains cas). Quant au ciblage on revient au problème culturel. Mais je n’y crois pas tellement car comme pour nous l’attrait précisément de la différence de culture doit opérer. C’est un des plus grand plaisir de la vie de découvrir la culture des autres. Et depuis le début c’est ce que j’essaie de véhiculer (alors que je me suis fait accuser du contraire). Si les mangas sont aimés ici, il est presque assuré que les Bd d’ici pourraient être intéressantes pour eux ! Au cour de la discussion, on a parlé de cinéma, les films épiques d,aventure américains seront toujours très appréciés mais une comédie ou un drame psychologique le sera tout autant. Et les talents Français ou Québécois sont appréciés Luc Besson, Jean Dujardin en sont des exemples.

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    • Répondu par Patrick le 15 mars 2012 à  16:09 :

      Je ne vois pas pourquoi ils ne pourraient pas apprécier Andreas, Schuiten, Moebius, Thorgal ou XIII par exemple. Il y a de grandes choses dans notre culture aussi. Je suis persuadé que de nombreux japonais ou américains seraient passionnés si la chance de découvrir cela leur était offerte. C’est ça justement l’échange culturel. Chacun a de belles choses a offrir et tout le monde en bénéficie culturellement et monétairement. Mais je comprend que ce que je voulais dire pouvait être mal interprété. Alors sans rancune !

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      • Répondu par Lola le 16 mars 2012 à  07:04 :

        En fait il y a "euro manga" un titre qui publie des bd européennes au japon mais c’est un produit de luxe avec un tirage "confidentiel" pour le japon ce qui est un bon tirage en france.
        En gros la bd euro n’est pas grand public là bas.

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      • Répondu par jet le 16 mars 2012 à  09:41 :

        ah mais ne confondons pas, précisément : les Japonais aiment la BD, ils adore Moebius, Shuitten, Hergé, Mézière, Trondheim, Peyo, etc... Sont publiés au Japon de grands artistes, tels Marc Antoine Matthieu, Rabaté, Bilal, David B, Baudouin, De Crecy...
        mais le problème c’est que les Japonais n’achettent pas cette BD. L’échange culturel se fait, mais pas le relai commercial, nécessaire au développement du premier. Sinon, hors l’aspect commercial, les auteurs français sont assez souvent exposés au Japon, via le bureau culturel de l’ambassade ou via les Alliances françaises, ou encore le musée du manga de Kyoto.

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        • Répondu le 16 mars 2012 à  17:03 :

          Donc, il s’agirait d’un problème commercial. Le marché pourrait être développé.

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