Le dessin de Plantu correspondait parfaitement aux circonstances de l’actualité : ce jour-là, le très remuant concurrent déclaré de Jacques Chirac aux présidentielles de 2007 ( il y pensait « pas seulement en me rasant », avait-il déclaré), affirmait une position opposée à celle du président de la République en ce qui concerne l’entrée de la Turquie dans la Communauté Européenne. En gros, Chirac était pour et Sarkozy était contre. Le Monde, ce jour-là, titre « Turquie, immigration, Sarkozy défie Chirac ». Dans le même temps, le film de Patrick Braoudé, « Iznogoud » avec Michaël Youn dans le rôle-titre sortait en salle, rappelant au grand public la soif de pouvoir et la férocité tartuffe du Calife de Goscinny et Tabary.
Une aventure du « Petit Nicolas »
Or, une série de coïncidences amusantes viennent renforcer l’idée que la rencontre poétique entre le président de l’UMP et le Grand Vizir n’est pas due au hasard, ou alors à l’un de ces hasards objectifs dont raffolaient les Surréalistes. D’abord, le Grand Vizir est né dans une autre création de René Goscinny, au titre prémonitoire : Le Petit Nicolas. « ...Tout d’un coup, je me suis souvenu que, dans une aventure du Petit Nicolas, il y a un moniteur de colonie de vacances qui raconte, pendant la « sieste obligatoire », des histoires aux enfants : un grand vizir veut sans cesse devenir calife à la place du Calife... » avait déclaré René Goscinny au Journal du Dimanche du 20 octobre 1974. [1]. Paraissant dans le premier numéro de Record le 25 janvier 1962, l’ « ignoble Iznogoud » fait son entrée dans Pilote en... mai 68. Il prend dès lors un tour bien plus politique au point qu’à partir d’octobre 1974, Iznogoud commente l’actualité politique dans Le Journal du Dimanche. [2]
Rencontre avec Jacques Chirac.
Or, il se fait qu’un jour, Iznogoud rencontre... Jacques Chirac ! C’était le 8 décembre 1974 alors que le premier ministre était en visite officielle chez Saddam Hussein en Irak. Goscinny ironise évidemment sur le fait que le premier ministre français est « très fier de revenir avec un contrat de vente de notre procédé Secam de télévision en couleurs, concurrent du procédé allemand P.A.L. » René Goscinny et Alain Buhler commentent ainsi la visite officielle : « M. Saddam Hussein (un parfait humaniste) est le Premier Ministre de l’Irak (un pays où l’on ne pend presque plus d’opposants). Et Bagdad est sa capitale. C’est-à-dire que Saddam Hussein est le descendant direct de l’ignoble Iznogoud... ». Goscinny imagine aussitôt de remplacer Saddam par le tyran dessiné par Tabary. Lors de la rencontre, Chirac complimente son homologue de papier : « - Mon cher Grand Vizir, dit-il j’admire votre façon de gouverner. » L’ignoble comploteur lui répond : « - Oh, c’est simple, quand j’ai des problèmes, je vise à la tête : j’empale » [3].
D’où vient, croyez-vous, l’aversion que Jacques Chirac entretient depuis si longtemps pour le P.A.L ? Peut-être de cette sentence énoncée par le Grand Vizir lui-même : « - Apprends, mon ami, avait-il dit un jour à un puissant qui défendait ses prérogatives, que la situation la mieux assise ne résiste pas au pal ». [4] Bigre ! Même pas celle de président de la République ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Sarkozy en Iznogoud, le 14 janvier 2005. Dessin de Plantu © Le Monde. Iznogoud de Goscinny et Tabary © Dargaud.
[1] Cité par Le Dictionnaire Goscinny, Aymar du Châtenet [Dir.], JC Lattès, Paris 2003. Il faut noter que la partie Iznogoud de l’ouvrage doit beaucoup à notre confrère Christian Marmonnier.
[2] Une série entamée le 21 octobre 1974 brutalement interrompue par le décès de René Goscinny le 5 novembre 1977. La série sera alors continuée par le journaliste Alain Buhler jusqu’au 17 juin 1979.
[3] Il s’agit du récit « Si j’étais empaleur » dans Les Cauchemars d’Iznogoud, tome 1, page 8
[4] dans le récit « Les Œufs d’Ur » de l’album Je veux être Calife à la place du Calife ! (13èmes aventures)-Dargaud, 1986, Pl.4.
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