Après l’apocalypse nucléaire qui s’est abattu sur la planète des Hommes, le royaume des morts, l’Hadès, s’est ouvert sur le monde. Peuplés d’hommes et de divers mutants en affrontements permanents, l’Enfer s’est incarné sur Terre. Pour se protéger des singes, les humains ont construit les immenses murailles d’Umanurga. Malgré tout, l’homme et le singe restent des parents proches et dans leurs animalités carnassières sont des prédateurs.
Au cœur d’un affrontement sans fin entre deux races qui n’ont pas résolu leur incapacité à cohabiter, un ange déchu se fraye un chemin...
Gabbarel Dalmatius, pseudonyme latinisé de Gabriel Delmas, met en scène une saga symboliste de l’avenir possible de l’humanité. Cette mythologie explore autant la sauvagerie primitive que le macabre du genre humain. Cette relecture de l’Apocalypse croise toutes sortes de références historiques et mythologiques. À la peinture de la Renaissance tout d’abord. Proche de Jérôme Bosch et de Bruegel, on retrouve ici les ingrédients des constructions apocalyptiques des peintres flamands, notamment dans la réalisation excellemment exécutée de batailles dantesques.
Les bêtes géantes et monstrueuses, apparitions démentes et esprits torturés nous font penser à Lovecraft. Les allégories utilisées sont nombreuses, délicates et perverses. Dans la ligné des grandes odes aux rois et aux empereurs (les noms latinisés de l’auteur et des personnages), on plonge au centre d’une trame tissée pour nous perdre dans les méandres de notre propre folie. Les références à la culture chrétienne (on croise la figure du Christ, une cité à l’image de la tour de Babel) se mêlent aux mythologies grecques, romaines et scandinaves ainsi qu’à l’Histoire (Athènes et son port Le Pirée).
La figure du péché originel est très présente, les hommes n’auraient donc rien appris. Loin de l’Eden, les corps sombrent dans une gigantesque démence.
Voici une légende sortie du Moyen Age pour donner une leçon aux modernes. Un univers médiéval-fantastique dans lequel on mesure l’homme à l’aune de ses péchés et donc de sa puissance. Prêt à tout pour acquérir celle-ci, il peut se dévoyer dans n’importe quelle folie pour atteindre dieu, être dieu et réduire toutes choses à son usage. Les hommes sont « doubles et mauvais dans le secret de leur cœur »
Ce livre atypique joue sur les codes classiques de la gravure et du mythe. Le dessin est soigné et travaillé, les crayonnés noir et blanc sont excellents. La grande finesse du détail et des mouvements des corps permet de décrire des personnages tiraillés dans leurs plus bas instincts. Le très beau travail sur les cités avec des contrastes puissants offre la vie et la mort dans leur ultime splendeur.
Cet album ambitieux, justement sélectionné pour le festival d’Angoulême, est une réussite.
(par Vincent GAUTHIER)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion