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Serge Perrotin & Jean-Marc Allais ("Il Pennello") : « Nos édinautes voulaient participer à notre projet éditorial ! »

Par Nicolas Anspach le 28 septembre 2011                      Lien  
Un pinceau façonné par Léonard De Vinci atterrit dans les mains d’un dessinateur de BD raté. L’outil transforme ses dispositions : il devient l’un des auteurs les plus habiles et les plus talentueux de son temps. Pris d’une nouvelle énergie créatrice, Anton découvre qu’{Il Pennello} a également le pouvoir de rendre réel ses dessins. Rencontre avec {{Serge Perrotin}} et {{Jean-Marc Allais}}, les auteurs de cette BD singulière.

Paris, Septembre 2054. Un dessinateur de BD raté découvre Il Pennello, un pinceau qui donne du talent à celui qui l’utilise. Il possède également le pouvoir de donner la vie à ce qui est dessiné.

Anton, fan absolu de la Pelisse de Loisel et Le Tendre et lecteur inconsolable de sa fin dramatique, décide de reproduire l’héroïne de la Quête de l’oiseau du temps.

Couchée sur son propre lit, Pelisse apparaît. Elle a peur. Elle dit s’appeler Élisa Balanger et ne comprend pas ce qu’elle fait ici alors qu’elle posait, il y a un instant, en cette année 1974, dans l’atelier de Régis Loisel…

Il Pennello est la première bande dessinée à avoir été financée par la technique du Crowdfunding, dans laquelle viennent de s’engouffrer My Major Company et Média Participation. Quelle que soit sa qualité, l’album de Serge Perrotin et Jean-Marc Allais est une date dans l’histoire du Neuvième Art !


Serge Perrotin & Jean-Marc Allais ("Il Pennello") : « Nos édinautes voulaient participer à notre projet éditorial ! »Pourquoi avez-vous opté pour un titre en italien ?

SP : Le récit se déroule au cœur du 21e siècle. Léonard De Vinci fait partie des artistes qui ont été les plus novateurs et les plus emblématiques de l’histoire de l’humanité, tant au niveau des arts, que de la science. Si quelqu’un aurait été capable de forger un tel artefact magique, cela ne pouvait n’être que lui ! Bien entendu, ce pinceau est une invention de notre part. Il Pennello est la traduction italienne du mot pinceau. J’apprécie la culture latine, et j’aimais la sonorité du titre. Patrick Pinchart, notre éditeur chez Sandawe, nous a conseillé d’adosser le terme italien, et sa traduction francophone afin que le public comprenne directement le titre. Cela m’a dérangé lorsqu’il m’a fait cette remarque, mais je dois reconnaître aujourd’hui qu’il avait tout à fait raison !

Anton, votre personnage, peint son héroïne de BD préférée, la fameuse Pelisse de la Quête de l’oiseau du temps

SP : Oui. Je suis un grand fan de cette série créée par Régis Loisel et Serge Le Tendre. Je devais opter pour une héroïne emblématique de l’histoire de la BD. J’ai tout de suite pensé à elle. C’est un personnage intéressant, car elle est en creux, une coquille vide.

Dans Il Pennello, je suis parti du principe que Régis Loisel avait fait poser un modèle pour s’inspirer de son physique. Anton peint Pelisse et, sans le savoir, va lui donner vie. Ou plutôt, la jeune femme qui lui a servi de modèle va faire un saut dans le temps. Elle quitte l’année 1974 et le moment où elle posait pour Loisel, pour rejoindre l’atelier d’Anton en 2054. Bien sûr, elle ne comprend rien à ce qui se passe et est totalement perdue dans cet univers futuriste ! Elle vit un décalage terrible par rapport à son époque.

J’ai situé l’histoire en 2054 car je ne voulais pas jeter le mauvais sort sur Régis et Serge (Rires). Je ne voulais pas les tuer avant qu’ils n’aient atteint un âge plus qu’honorable.

J’ai rencontré Régis à une soirée Glénat à Angoulême. Je lui ai raconté le résumé de l’intrigue. Il a bien rigolé de cet hommage et m’a donné son aval. Serge Le Tendre était tout aussi amusé. Ce dernier m’a juste demandé de changer un petit élément dans mon scénario.

Planche 3 de Il Pennello
(c) Allais, Perrotin & Sandawe.

Jean-Marc Allais, qu’est-ce qui vous plaisait dans cette histoire ?

JMA : L’intrigue qui allie mystère et aventure. Et puis, le fait qu’Anton soit un dessinateur raté (Rires). Cette histoire parle aussi de la création.

SP : J’ai demandé à un de mes amis, Stéphane Heurteau de m’autoriser à me donner une page qu’il avait réalisée lorsqu’il était jeune adolescent. Celle-ci était maladroite et bien évidement impubliable. Nous en avons fait l’œuvre de notre personnage. Ceci dit, Jean-Marc m’a étonné par sa dextérité et son talent. Il a vraiment réalisé les peintures qui apparaissent dans l’album.

Heurteau a dessiné le story-board des premières planches.

JMA : Effectivement. J’ai travaillé longtemps dans l’industrie électronique et je dessinais pas mal sur le côté. J’ai une formation de peintre. J’ai passé de nombreuses années à réaliser des portraits. Mais je me suis aperçu que la peinture ne m’intéressait pas. J’ai exploré d’autres voies, comme par exemple l’illustration de livres pour enfants. J’ai travaillé sur un projet de BD avec un scénariste pour les éditions Casterman qui n’a pas abouti, mais j’ai apprécié ce travail sur la narration à travers les images. J’ai découvert que la BD pouvait laisser beaucoup de place à la créativité.

Vous avez eu l’accord de Loisel et Le Tendre pour reprendre le personnage central de La Quête de l’oiseau du temps. Mais qu’en est-il de Dargaud, l’éditeur de la série ?

SP : Ils ont été charmants. Ils m’ont autorisé à mener à terme mon projet. Ils ont directement compris le sens et l’objectif de cette utilisation. Je ne voulais pas faire une « suite » ou une série parallèle à La Quête. C’est avant tout un hommage. Pelisse est évoquée car c’est l’héroïne préférée de notre héros. Elisa Balanger, la modèle, est l’un des personnages-clefs de l’histoire. Ils n’ont imposé qu’une seule condition : je ne devais pas signer chez un éditeur concurrent. Autrement dit, je ne devais pas aller dans une autre grande maison d’édition. Les éditions Theloma devaient publier Il Pennello, mais ils ont été confrontés à des problèmes économiques. Nous avions déjà bouclé quarante pages lorsque l’on nous a demandé d’arrêter. J’ai alors pensé que ce projet était enterré pour toujours.
J’ai vécu un an en Australie et je lisais tous les jours Actuabd.com pour être au courant des actualités. J’y ai lu un article sur Sandawe. Le concept était novateur et m’intéressait. Cette idée de plateforme communautaire, permettant de tisser des liens entre auteurs, lecteurs et futur éditeurs me plaisait. Nous avons envoyé les 40 planches dessinées à Patrick, qui a pu les lire et les juger.

Planche 20 de Il Pennello
(c) Allais, Perrotin, Sandawe.

Comment avez-vous vécu cette période délicate où le projet est en phase de recherche de financement par les édinautes ?

SP : C’était parfois stressant ! Si on ne trouvait pas le financement, cela aurait été un désaveu terrible. Nous avons mis nos tripes dans ces pages et notre égo en aurait sûrement pris un coup si le projet n’avait pas été financé !

Heureusement, Il Pennello fut le premier projet à boucler son financement sur Sandawe.com. Nous avons vécu des moments exaltant lors de cette phase. Le projet a été financé en cinq mois.

Après, Jean-Marc a terminé de dessiner l’album. Il a joué le jeu et a dessiné de nombreux édinautes dans l’album.

JMA : Il m’aurait été difficile de tous les dessiner, malheureusement. J’ai demandé à quelques-uns d’entre eux de m’envoyer leur photographie.

SP : Certaines personnes ont mis une somme très importante dans notre projet. En communiquant avec eux, je me suis aperçu que Sandawe leur offrait un moyen d’entrer au cœur de la création d’une bande dessinée, alors qu’ils ne sont ni éditeur, ni dessinateur, ni scénariste, ni coloriste. C’était la seule opportunité qu’ils avaient de participer à un projet éditorial !

Pour certains d’entre eux, c’était plus du mécénat qu’un investissement. Ils me disaient qu’ils seraient heureux de récupérer leur mise, mais que ce n’était pas là leur moteur premier. Nos édinautes sont tous des passionnés.

Vous avez dû vous délecter dans la séquence où votre personnage se fait refuser ses projets de BD pour différentes raisons…

SP : En effet. J’en ai profité pour parler de la rencontre auteur et éditeur. Anton est confronté à un retour lapidaire et déstabilisant de la part d’une maison d’édition. Cela fait vingt ans qu’il prend des claques et des refus. Heureusement, nous n’avons pas eu ce type de réaction de la part de Patrick Pinchart (Rires). Mais dans le monde de l’édition, les auteurs sont souvent confrontés à un retour dur, lapidaire et non-argumenté. Je voulais évoquer cette relation qui peut parfois être très dur dans le monde artistique. On a tous reçu des lettres de refus résumées au plus simple, à quelques lignes, alors que l’on a travaillé dur, pendant des mois, sur un projet. C’est bien sûr le jeu de ce milieu, et ce n’est ni amoral, ni atypique. Mais c’est difficile pour un auteur d’être confronté à cela alors que l’on croit sincèrement à la qualité de son projet.

C’est vrai, j’ai senti une certaine jubilation en écrivant cette scène, mais je ne voulais pas rentrer dans le règlement de compte. J’ai forcé l’aspect caricatural tout en restant réaliste.

Le personnage de l’antiquaire est ambigu …

SP : Il me fallait un méchant emblématique, un homme qui tire les ficelles. Qui est-il ? Il y a plusieurs interprétations possibles et je laisse au lecteur la liberté de choisir la voie qu’il désire. Est-ce un être diabolique ? A-t-il le pouvoir de traverser les époques ? Est-ce un passéiste qui s’habille comme au 19e siècle ?
Je ne donne quasiment jamais de caractéristique physique des personnages au dessinateur, sauf si le scénario le demande. Anton, par exemple, devait être un anti-héros, un tocard ! Il ne devait donc pas être un beau gosse à la mâchoire carrée et au regard qui tue (Rires).

JMA : Je me suis inspiré d’un tableau de Boldini, un peintre du 19e siècle : le portrait d’un noble qui s’appelait Monsieur de Montesquiou. J’ai toutefois essayé de diaboliser ce personnage.

Planche 24 de "Il Pennello"
(c) Allais, Perrotin & Sandawe.

Quelle a été votre relation avec Patrick Pinchart, votre éditeur ?

SP : Patrick a un regard bienveillant. Il accompagne et conseille, mais les auteurs restent libre de faire leurs propres choix. C’est, pour moi, la définition d’un bon éditeur. La relation était très intéressante, car nous étions associés, à chaque étape, aux différentes phases de création du livre. Nous avons pu donner notre avis sur la maquette par exemple. Dans une grande maison d’édition, l’auteur subit généralement la maquette de son livre. Sandawe est une petite structure et notre interlocuteur est notre éditeur. Nous ne passons pas par des secrétaires. C’est plus facile !

Serge Perrotin & Jean-Marc Allais
(c) Nicolas Anspach

Quels sont vos projets ?

SP : Nous aimerions retravailler ensemble, peut-être pour Sandawe. Je sors prochainement le deuxième tome de Au Nom du Fils chez Futuropolis avec Clément Belin au dessin. Nous racontons l’histoire d’un homme, ouvrier aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, qui apprend par la radio que son fils unique a été enlevé par un mouvement de guérilleros colombiens. Cet homme, qui n’a jamais quitté son département et ne parle pas l’espagnol, décide sur un coup de tête de partir chercher son fils. Il est pris d’un réflexe viscéral, totalement illogique. Il arrive à Bogota, dans un monde totalement inconnu pour lui, il est perdu et va mettre ses pas dans ceux de son fils. Il va découvrir son fils au travers le regard de ses amis, de ses proches. Il se rend compte qu’il ne le connaît pas !

Je termine aussi le troisième et dernier tome de L’Autre Terre. L’histoire d’un homme seul, rescapé de sa navette spatiale, qui arrive sur une terre à tout point jumelle à la terre. Il est confronté à d’autres humains. Mais il est dans la position d’un extraterrestre qui doit évoluer au milieu d’autres personnes qui lui ressemblent en tout point. Les habitants de l’Autre Terre ont un retard technologique par rapport aux terriens. Ils ont un problème de mémoire, et sont obligé d’enregistrer leurs souvenirs et de se les réinjecter. Leur évolution scientifique est donc plus lente. Le personnage central de l’histoire est confronté à ce peuple. Il s’aperçoit qu’un autre humain a survécu. Une histoire d’amour va naître et ces terriens vont tenter de rentrer chez eux.

Extrait de l’Autre Terre
(c) Beno, Perrotin & Joker.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Photos : (c) Nicolas Anspach

 
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