Voilà quelques années, le Royaume de Zhal est tombé aux mains de Garils Sum. Celui que ses sujets appellent le "Maître des Murmures" et ses opposants, de moins en moins nombreux, le "Roi Fange". C’est que le personnage possède un pouvoir de manipulation terrifiant : capable d’identifier les désirs les plus secrets de ses interlocuteurs, il les leur promet en échange d’un bout de leur conscience et, partant, d’une soumission totale à sa volonté.
Voilà donc devenus ses espions, ses yeux et ses oreilles de par le monde ceux qui ont entendu et accepté, car l’entendre c’est l’accepter, sa proposition. Mais aussi ses porte-voix, relayant rumeurs et soupçons sans que personne ne s’en aperçoive d’abord, car le secret est de mise pour ses agents. C’est ainsi que le manipulateur s’est créé peu à peu un réseau d’information et surtout de désinformation qui lui assura, in fine, une suprématie totale sur le pays.
Un homme toutefois, Zeb, refusa d’entendre sa proposition et de se soumettre à son joug. Condamné à l’exil, considéré comme un lâche et un traitre du fait des manœuvres du Roi Fange, il tint sa famille à distance de cette emprise néfaste. Jusqu’à ce que le Maitre décide de mater ce dernier ilot de contestation. Zeb abattu, son fils Adam entreprend un périple dangereux au cours duquel il sera sans cesse soumis à la séduction du Maître des Murmures. Et de la résistance qu’il saura, ou non, lui opposer dépendra le sort du pays tout entier.
Seven to Eternity prend ainsi rapidement la forme d’une épopée aussi éprouvante qu’improbable. Ce premier volume sert à poser l’intrigue et quelques-uns des protagonistes, avant de lancer la quête proprement dite, dont les conditions apparaissent d’emblée insurmontables. De la rencontre et l’affrontement, on passe au voyage, entre rédemption et tentation. Les rebondissements s’avèrent déjà nombreux et la valse des personnages se fait violente, mettant en relief la tonalité tragique du récit.
L’entrée dans cet univers ne va pourtant pas de soi. L’étrangeté y est radicale et les éléments de compréhension ne sont pas fournis de manière didactique. Il faut décoder, déduire et interpréter. Mais l’immersion n’en est que meilleure. On est vite captivé par ce monde tissé de magies diverses, largement appuyées sur des représentations vivantes de l’imaginaire.
Les personnages invoquent ainsi des créatures merveilleuses ou épouvantables, convoquent les morts, font vivre la poésie de moments perdus ou travaillent leur corps comme on enfile un vêtement. C’est fantasque et puissant, et au sommet de tout cela se tient donc un antagoniste dont le pouvoir repose avant tout sur la parole et la fable.
Un vrai conteur donc, dans lequel on peut alors sans doute déceler une image de l’auteur. Un fabuliste expert en tromperie, bénéficiant quasiment du consentement de ses victimes, personnages et peut-être derrière eux lecteurs, amenés à réfléchir sur ce qui conduit l’individu à la compromission, au renoncement et à la trahison. Tout cela donne encore plus d’intérêt à une œuvre dont on est d’ores et déjà impatient de découvrir la suite.
Rick Remender, à l’origine déjà de plusieurs séries originales marquantes ces dernières années (Black Science, Low, Tokyo Ghost, Deadly Class), parvient donc à investir de manière convaincante et prenante un nouveau genre tout en créant entièrement un univers foisonnant. Une performance soutenue par le dessin précis et dynamique, bien qu’un peu classique malgré les monstres et monstruosités représentés, de Jerome Opeña.
(par Aurélien Pigeat)
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