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Siné : « J’ai demandé mon inscription au Medef »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 octobre 2009                      Lien  
Siné est une haute figure du dessin d’humour en France. Il a été de toutes les équipées subversives : Siné massacre, L’Enragé, Hara Kiri Hebdo, Charlie Hebdo… Viré par Philippe Val l’été 2008, il a fondé, à 80 ans, un nouvel journal : Siné Hebdo. L’affaire est tellement florissante qu’il a demandé son inscription au Medef.

Entre 1958 et 1968, vos dessins semblent basculer vers plus de radicalité. C’est la société qui fait ça ?

Siné : « J'ai demandé mon inscription au Medef »
Dessin de Siné
Ed. Hoebeke

Ouais, je ne sais pas. Cela s’est fait petit à petit. Je suis vraiment un libertaire inconditionnel. Chaque fois que l’on m’interdit un truc, j’ai envie de le faire, cela va des passages cloûtés à l’interdiction de fumer. Enfin, tout m’énerve. Dès que je reçois un ordre, j’ai envie de le transgresser. La politique, c’est pareil, je ne suis pas un fana, je ne me suis jamais inscrit dans un parti. Je tape un peu contre tout, c’est aussi l’obscurantisme qui m’embête. Tous les partis me paraissent totalitaires, même s’ils sont de gauche. Les Trotskards m’emmerdent autant que les Communistes ou les gens de droite… Je les crois tous intéressés par le pouvoir et donc ils m’emmerdent. Ce n’est pas du tout mon genre de propos. Par contre, le peuple dont ils prétendent s’occuper, ils s’en foutent royalement. C’est des gens que je n’apprécie pas. Même quand ils partent bien, ils finissent tous mauvais. Ils y a des copains à qui je ne parle plus car, dès qu’ils ont atteint des postes, ils ont ce qu’ils ont voulus, ils sont contents.

À cinquante ans de distance, vous avez l’impression que vos idées anarchistes ont fait avancer les choses ?

Ca a amusé pas mal de copains, comme le mouvement surréaliste, ça a inspiré beaucoup d’artistes, mais cela n’a pas changé la vie quotidienne. L’anarchie, c’est vraiment utopique. Cela amuse ceux qui y croient, et puis cela ne fait pas de mal, cela ouvre un peu l’esprit de certains. Je ne crois pas à l’efficacité de mon boulot. Bilan globalement négatif quand je parle de mes 60 ans de dessin. On était plus libres il y a 60 ans, il y avait moins de misère, moins de clodos, moins de pauvres. Cela a servi à rien, c’est horrible. On a gagné sur certains trucs : les femmes sont un peu mieux loties qu’avant, mais franchement, on a fait un pas en avant et dix en arrière !

Siné, en octobre 2009.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Vous tapez sur les flics, les juges, etc. On a l’impression que vous êtes resté sur les stéréotypes de L’Assiette au Beurre [1], comme Jossot, par exemple.

C’est l’un de mes dessinateurs préférés, même s’il a mal tourné…

Il s’est converti à l’Islam…

C’est incroyable, après les dessins qu’il a faits.

Vous êtes né dans un quartier populaire, à Belleville, et vous avez vécu au pied des Buttes-Chaumont.

Oui. C’était un quartier très pauvre. On ne m’a jamais offert de jouet. On les fabriquait nous-mêmes, avec les corbeilles des fleuristes, on se faisait des arcs et des flèches. C’est ce qui m’a fait me battre pour la cause des pauvres. On ne trouve une hospitalité, une générosité que chez les gens qui manquent de tout. Ca réchauffe le cœur. Et maintenant, la façon dont maintenant les Français se comportent avec les immigrés, cela m’a toujours très choqué. On est vraiment des sales types, une sale race. Les Français bénéficient d’une image de marque qu’ils ne méritent pas ! L’humour français, ça vole assez bas, c’est l’humour des cocus, la grosse rigolade, moi je suis plutôt pour un humour anglo-saxon j’ai l’impression : un peu détaché, un peu subtil. Je ne me sens pas trop de points communs avec les blagues de Marius et Olive, le folklore m’emmerde. Pour la musique, c’est pareil : je suis un fan de Jazz, de Salsa, de musique pakistanaise. La musique française m’emmerde royalement. Je ne peux pourtant pas dire que c’est mauvais : Yves Montand, Edith Piaf,… Mais du moment que c’est français, ça m’emmerde, je ne sais pas pourquoi. Le cinéma français m’emmerde aussi.

C’est pourquoi je m’évade. Je me sens bien à Cuba. J’ai même failli me naturaliser cubain dans la folie de Fidel Castro, quand ils m’ont invités en 1961. Ils cherchaient des gens qui soient de gauche et non communistes. Il y a eu Jean-Paul Sartre, Maspero… Moi, j’étais dans le tas. On s’est retrouvés tous là-bas, j’étais enthousiaste. C’était la révolution avec la Salsa, pas à la soviétique. Ca n’a pas duré non plus. J’étais tellement excité que j’ai voulu y rester. Si cela avait marché, je serais sans doute en taule aujourd’hui. J’étais aussi très pro-chinois, je pensais que Mao Tsé Toung allait nous sortir de cette merde. Là aussi, j’aurais sans doute fini en taule. En Algérie, je serais sûrement expulsé. Partout où je fous les pieds, j’ai des emmerdes. Dans la littérature française, cependant, j’ai plus d’attaches. Céline car l’aime bien les pestiférés, Queneau, Prévert… J’ai dragué ma première femme en citant Paroles, que je connaissais presque par cœur. Ce sont les Français que j’aime bien : ceux qui vont au bistrot, qui fument…

Dessin de Siné
Ed. Hoëbeke

On connaît votre carrière : « Siné massacre », « L’Enragé », votre participation au « Charlie Hebdo » de Choron,… Pourquoi rejoignez-vous celui de Philippe Val, Cavanna et Cabu ?

Parce que j’espère toujours que ça va marcher. On s’engueule mais je fais ma rubrique même si ce que j’écris ne leur plaît pas. J’ai pas mal de copains qui me demandent : « Siné, qu’est-ce que tu fous dans ce journal ? ».

Le contentieux entre Val et vous couvait depuis longtemps ?

Ouais, ouais. Je ne l’ai pas senti venir, mais il y avait une acrimonie, une très mauvaise ambiance. Je ne pensais pas qu’il me virerait, je ne pensais pas qu’il oserait. J’étais sur un piédestal, j’étais l’un des plus vieux, un des plus coriaces. On se disait : « Il ne va pas s’attaquer à Siné ! ». Je bénéficiais d’une impunité parce que j’étais un vieux schnock.

Ce qui l’a peut-être dérangé, c’est quand vous avez attaqué des collaborateurs du journal, comme Sfar…

Sfar racontait des conneries. Je ne le connaissais pas du tout, je n’avais jamais entendu parler de lui et pourtant, c’était une vedette avec Le Chat du rabbin , paraît-il. Je n’avais jamais entendu parler de ce mec. Quand je vois sa rubrique écrite et dessinée à la main, ce que je faisais depuis longtemps, je me suis dis : « Le salaud, ce jeune con vient me copier ». Il avait fait dix fois plus de bouquins que moi, il gagnait une fortune… Il m’a envoyé son curriculum vitae avec tout ce qu’il a fait et je me suis dis que j’avais fait une connerie. Je ne le connaissais pas du tout, la BD, ce n’est pas mon truc. Il y a aussi le jeune Sattouf que je trouvais vraiment mauvais comme dessin, ce n’était pas brillant. Pourtant, il a un succès fou. C’est des gens de la BD, je ne connais pas. Il y a bien longtemps, il y a Jean-Michel Folon qui venait de Belgique avec son carton à dessin. Il m’ouvre son truc et je lui dis : « C’est pas mal mais je ne crois pas que vous gagnerez jamais un sou avec ces dessins. Changez de style ou changez de boulot. » Je l’avais complètement découragé. Avec la carrière qu’il a faite, il a dû se dire, ce Siné est con. Je lui avais prédit le pire, deux ans après, il recouvrait tous les murs de Paris. J’ai un goût personnel qui n’est pas commercial.

Vous n’avez pas peur de prendre des coups.

Cela fait partie du jeu. Les gens qui se plaignent, je ne partage pas leur vue. Si je prends des coups, c’est parce que je l’ai cherché. Je ne me suis jamais plaint de mon sort, cela fait un an que je fais « Siné Hebdo », on n’a jamais eu de poursuites, pourtant on tape fort. Souvent on se dit : « celui-là il ne va pas passer », et puis rien. Tout passe. Les gens qui se plaignent, il faut pas charrier, dans le dessin en tout cas, tout passe. Ceux qui sont à plaindre, ce sont les sans-papiers, les immigrés. Nous les journalistes, nous sommes des privilégiés.

Philippe Val vous a rendu finalement service en vous virant ?

Sans le vouloir, oui, c’est vrai.

Pour un anar, c’est paradoxal : vous vous retrouvez à la tête d’une équipe, patron d’un journal !

Oui. J’ai même demandé mon inscription au Medef [2] . J’ai envoyé ma cotisation en bonne et due forme, on n’a pas encore eu de réponse. Je ferai partie du Medef, dès que j’aurai ma carte, on fera une Une. Je ne crois pas qu’ils puissent me la refuser, on remplit tous les critères. J’ai dix employés et tout ça.

Sarkozy ne vous a pas diligenté un redressement fiscal ?

Illustration pour "Zazie dans le métro" de Raymond Queneau
Ed. Hoëbeke

Aucune nouvelle. On déclare tout, tout est correct. C’est la première chose qu’ils font, les redressements fiscaux, mais là on ne craint rien. A la radio, pour les Stéphane Guillon et tout ça, c’est plus dur que pour nous. Ils risquent qu’on ne leur renouvelle pas leur contrat l’année suivante. Sinon, ils sont aussi hargneux et méchants que nous, enfin pas tous.

Le politiquement correct fait qu’on ne peut plus dire ce que l’on disait avant ?

On peut tout dire, mais on a peur de le dire. La plupart des gens ont les jetons. Ils ont peur d’être virés de leur boulot ou qu’on ne leur renouvèle pas leur contrat. Ils s’auto-censurent. Je crois qu’ils ne reçoivent pas d’ordre, c’est un truc sous-jacent.

Il y a des sujets tabous.

Ah ouais, Israël, pas question d’en parler sur les ondes, sauf pour en dire du bien ! En plus, ils sont d’une mauvaise foi, on se fait choper, et hop : antisémite ! Quand on commence à critiquer les Musulmans, leurs positions contre les maillots de bain, les burquini et tout ça, hop : arabophobe ! Les gens mélangent tout, les gens pensent qu’on est anti-arabe quand on se moque de la religion musulmane.

Elle est où la frontière entre l’anticléricalisme et l’humour raciste ?

Cela n’a rien à voir. On peut être à fond antireligieux, se moquer de toutes les religions, sans être raciste. Cela ne me vient pas à l’idée de tout mélanger.

Quand Dieudonné fait venir l’historien révisionniste Faurisson dans ses sketches, c’est quoi ?

Alors lui, à mon avis, c’est carrément raciste. Il mélange tout. Au début, il paraît qu’il était bien. Les gens me disent qu’il était très sympa, en plus très clair. Et puis il s’est fait taper sur les doigts pour un gag à la télé et il est passé à droite, mais alors droite droite. Il prend Le Pen comme témoin à l’église…

C’est de la provoc.

Il n’est peut-être pas raciste, au fond.

L’humour peut-être du mauvais côté ?

Non... Euh, ouais, il peut-être du mauvais côté. L’humour n’est pas une estampille de garantie.

Cela vous a affecté qu’on vous traite d’antisémite ?

J’ai été tellement furax. J’ai senti qu’il fallait faire quelque chose. C’est vrai que j’ai été bouleversé. J’ai trouvé cela honteux, inadmissible. On voulait m’abattre, cela m’a donné de la pêche, au contraire.

On a ressorti les vieilles histoires du placard, votre dérapage sur Carbone 14…

Tout était bon. C’est la malhonnêteté de ces gens. On les connaît par cœur : BHL, Finkielkraut, Philippe Val,… Ils sont toute une équipe. Maintenant BHL fait des petites conférences dans les salons de Neuilly et d’ailleurs où il parle beaucoup d’antisémitisme. Une copine journaliste nous l’a rapporté, il dit qu’il y a l’antisémitisme d’avant, de droite, de l’Affaire Dreyfus, et que maintenant, il y a l’antisémitisme de gauche dont le plus beau fleuron serait Siné et ses copains. Je suis le parangon de l’antisémitisme.

Cela vous choque ?

Je trouve cela dégueulasse. Il faudrait lui filer deux claques dans la gueule, un procès surtout, lui interdire de dire des saloperies pareilles. Mais, je ne vais pas m’amuser à cela, il est assez adroit pour se défendre, il a des avocats et tout ça. Maintenant, les gens croient que Siné est antisémite. C’est vrai que cela mérite des coups. Ce n’est pas anodin, ce n’est pas : « Siné se saoule la gueule » ou « Siné est pédé ». « Antisémite », c’est devenu honteux après la Shoah, par la force des choses. C’est insupportable.

La campagne contre Val ne vous a pas semblée exagérée ?

Non. C’est loin d’être exagéré, on ne l’a pas fait assez encore. Le scandale, c’est que c’est quand même Sarkozy qui l’a nommé à la tête de France Inter. Quand on est directeur de Charlie Hebdo et qu’on se retrouve pistonné par Sarko, c’est un beau scandale, quand même.

Dessin de Siné
Ed. Hoebeke.

Quand Plantu, que vous n’appréciez pas beaucoup, dessine Val en uniforme quasi nazi pour vous défendre, vous en pensez quoi ?

Cela m’a étonné. Je pensais qu’il avait de moi les mêmes opinions que celles que j’ai de lui. Il a pris ma défense mais je crois surtout qu’il avait une dent contre Val et il s’est servi de moi pour l’exprimer. C’est surtout son dessin qui me déplaît. Ses idées sont consensuelles, pas méchantes, et en plus je trouve son dessin vraiment nul. On dirait un truc d’avant-guerre, avec sa petite souris. Il fait des hachures pas du tout modernes, dans la tradition du Canard Enchaîné des années cinquante. Il y a tout ce que j’interdirais à mes élèves, si j’étais professeur. Il ne faut pas poursuivre quatre idées en même temps.

Quand le régime iranien fait un concours de caricatures antisémites, c’est quoi ?

C’est loufoque. J’en ai vu quelques-unes, c’est lamentable. C’est une connerie. Quand Charlie a voulu publier les dessins des Danois, j’étais d’accord avec eux. Dans Siné Hebdo, on tape sur Israël et on n’a jamais eu d’ennui. On a même un correspondant particulier à Jérusalem, un type super. Pour un Israélien, c’est plus facile d’écrire ce genre de trucs. Ce serait un Goy, je ne suis pas sûr qu’on le laisserait faire. Même les Juifs ne sont pas à l’abri de telles énormités.

Un recueil avec 60 ans de dessins, ça vous fait quoi ?

Ca m’enterre un peu, j’ai un pied dans la tombe, maintenant ! (Rires) Non, ça me fait plaisir.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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[1L’Assiette au beurre était un journal satirique français publié entre 1901 et 1912. Dans ses 593 numéros, il se distingue par sa créativité et son ton anarchiste, chaque numéro étant souvent confié à un dessinateur invité. On y trouve les signatures de Jossot, Grandjouan, mais aussi de nombreux artistes étrangers comme Kees Van Dongen, Juan Gris, Frantisek Kupka, ou Galantara.

[2Mouvement des Entreprises de France, organisation patronale représentant les dirigeants d’entreprises français.

 
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6 Messages :
  • Total respect à Siné qui est resté ce qu’il était : un anar pur et dur, imperméable aux modes, au temps qui passe et aux honneurs. Bravo, Siné !

    Répondre à ce message

  • "Et maintenant, la façon dont maintenant les Français se comportent avec les immigrés, cela m’a toujours très choqué"

    C’est moi ou cette phrase ne sonne pas bien ?

    "Céline car l’aime bien les pestiférés,"

    Idem.

    Répondre à ce message

    • Répondu le 28 octobre 2009 à  21:10 :

      ""Et maintenant, la façon dont maintenant les Français se comportent avec les immigrés, cela m’a toujours très choqué"

      C’est moi ou cette phrase ne sonne pas bien ?"

      C’est toi. Je ne vois pas ce qu’il y a de choquant à trouver que les immigrés sont mal traités en France.

      Et si tous les admirateurs de Céline sont antisémites, alors on peut dire que le monde entier est peuplé de nazis.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Loïc le 29 octobre 2009 à  16:04 :

        Roooh, mais je parle de la tournure de la phrase, de la forme, pas du fond...
        "Ca m’a toujours très choqué" devrait se dire "ça m’a toujours beaucoup choqué". Sur le fond, je ne trouve rien à redire, au contraire.

        Répondre à ce message

      • Répondu le 29 octobre 2009 à  17:03 :

        Non, il y a méprise, je pense que l’intervenant parle de la syntaxe de la phrase et non pas de sa signification.

        Répondre à ce message

  • Hachures de guerre
    4 novembre 2009 17:50, par turlupin

    C’est marrant, cette hargne de Siné envers d’autres styles et d’autres eprits (Plantu, Sattouf...). Je trouve pour ma part que Sattouf a parfois des accents de Jossot, justement (cf. « Ma circoncision »), quant aux hachures de Plantu... Donnez moi quelques jours et je vous dégotte un dessin de Siné avec des hachures...

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