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Souillon : « Quand j’ai révélé mon identité, j’ai eu peur de me faire taper par les amoureux de Maliki ».

Par Xavier Mouton-Dubosc Thomas Berthelon le 2 juillet 2008                      Lien  
Maliki est une jeune fille aux cheveux roses auto-dessinée, auteur de sa propre BD, qui après avoir vécu à Paris, vit désormais dans la région lilloise. Son représentant terrestre, Souillon, s'est confié à nous lors du dernier festival d'Angoulême, donc bien avant le débarquement estival du tome 2.

La vie quotidienne de Maliki est rythmée par ses deux chats Fleya qui est un vrai fauve de chambre et Féanor, dont le regard inquiétant et mystique porte toutes les interrogations de ce monde sans aucun espoir de réponse. Un des dessins de la belle a aussi pris bizarrement vie, en la personne de Ladybird, une fille sans bouche avec l’agilité d’un fauve et la force d’un super-héros.

Souillon est un vrai esclave, un workaholic (drogué de travail) qui dort peu. Sa quantité de dessins lui a permis de se faire remarquer par le studio de jeux Ankama où il officie comme créateur graphique. Lequel éditeur de jeu, se lançant dans la BD, lui a proposé de compiler des planches de son web-comic en album. En fait, juste avant l’interview, il quittait une séance de dédicace de 6 heures qui n’était censé ne durer que 2h30... C’est un garçon qui ne saurait rien refuser à Maliki.

Actuabd : Maliki est l’auteur du webcomic maliki.com créé en 2004, qui a cartonné ces dernières années sur la scène du Net francophone. Les blogs ont-ils remplacé les magazines de pré-publications ?

Souillon : Je ne sais pas si les blogs les ont remplacé mais ce sont des supports sur lesquels n’importe qui peut montrer ses planches et éventuellement se faire remarquer. C’est beaucoup moins arbitraire que de la pré-publication en magazine.

Le blog est en consultation gratuite, accessible de n’importe où et par n’importe qui. Avant d’être publié en album chez Ankama, avez-vous songé à protéger juridiquement le personnage de Maliki ainsi que toute votre faune ?

J’ai un peu songé à protéger des personnages, la loi française est quand même assez bien faite. Lorsqu’on publie un dessin, il est automatiquement protégé par la loi. Il faut par contre pouvoir prouver l’antériorité du dessin. J’ai déposé une petite enveloppe solo avec mes personnages, même si cela ne tient pas forcément la route devant un tribunal, c’est plus pour me rassurer qu’autre chose.

Jusqu’à présent, vous vous êtes imposé un rythme de travail de métronome barjot tous les mardis soirs [1]. Notez-vous les idées de scénario dans un carnet, les trouvez-vous au fur et à mesure, comment fonctionnez-vous ?

J’aime bien trouver mes histoires la semaine même du strip. Mais il arrive, quand ma vie est relativement ennuyeuse et il ne se passe rien dans la semaine, que je me serve de quelques petites idées gardées sous le coude, comme des souvenirs d’enfance que j’ai envie de raconter, ou des histoires plus fantaisistes, avec Ladybird par exemple.

Justement, Ladybird était un personnage très présent la première année du webcomic, mais elle n’apparaît que très rarement dans le premier album. Finalement, ce personnage vous manque-t-il ?

Souillon : « Quand j'ai révélé mon identité, j'ai eu peur de me faire taper par les amoureux de Maliki ».
Couverture du T1 : Maliki broie la vie en rose
© Maliki/Ankama éditions.

En fait, on ne voit pas du tout Ladybird dans l’album ! Je l’ai complètement dégagée du tome 1, car il aurait fallu que je refasse pas mal de planches pour la présenter au grand public. Les habitués du site, par contre, la connaissent bien. Dans le tome 2 [2], en revanche, une partie lui sera dédiée, car effectivement, elle me manque.

Les chats Feanor et Fleya sont extrêmement présents dans les strips de Maliki. Est-ce parce que le kawaii cartonne, ou parce que ce sont une source intarissable de scenarii ?

À la base, j’aime bien les chats, et leurs conneries me font bien marrer. Après, effectivement, je sais que cela cartonne. Les chats, c’est 50% d’internet. Sans eux, internet tomberait en ruine. (rires) Mais ce n’est pas du tout un choix marketing, plutôt une source de scenarii assez conséquente.

... et totalement innocente.

Voilà, tout à fait.

Pourquoi ce choix de ne pas respecter la chronologie des strips dans le tome 1 ?

Déjà, parce que certains étaient trop vieux, trop moches, et auraient demandé trop de remaniements. Je voulais que le tome 1 accueille une bonne partie de ce que je faisais déjà de mieux, au moment de sa sortie. Il y a donc beaucoup de strips récents. Par contre, j’ai volontairement intégré des strips assez anciens, par exemple sur Feanor, pour qu’on comprenne bien qui il est.

Vous n’avez donc peut-être pas gardé ce parti-pris pour le tome 2 ?

Il y aura peut-être des vieux strips de la première année, oui, justement pour qu’on comprenne bien, il y aura aussi des strips sur mon boulot à Ankama, qui n’étaient pas dans le tome 1.

Ce qui est dommage aussi, c’est qu’on ne retrouvait pas dans le tome un ces fameuses notes qui accompagnent vos strips, ainsi que ces petits dessins au style différent, plus jeté.

On m’avait justement fait remarquer que les strips se succédaient brutalement, sans sommaire ou lien logique. Dans le prochain album, chaque strip sera intégré avec le mot de la semaine, ce petit texte indicatif du contexte du strip au moment où celui-ci est publié. Cela permettra de mettre le strip en condition, et puis il y aura certainement des petites notes de making of pour obtenir un côté plus chaleureux.

Vos dessins sont composés à l’origine dans la verticalité. Y a-t-il eu un gros travail de recomposition et de découpage à faire pour leurs adaptations en album ?

Sur le tome 1, il y a eu pas mal de choses à refaire, car je travaillais sur des bandes verticales, et je ne me préoccupais pas du tout des coupures. Maintenant, je fais plus attention à ce que ce soit composé dans des formats homothétiques A4, même si parfois, pour que la navigation internet fonctionne, je casse un peu cela, et je me dis : "Tant pis, ça me fera plus de boulot plus tard" (rires).

Extrait de Maliki T1
© Maliki/Ankama éditions

Votre site est le meilleur des tutoriaux car on voit l’évolution du style de Maliki, les améliorations, vous vous autorisez même maintenant des choix de cadrage plus variés qu’au début. Est-ce que c’est cette notion de parcours qui vous intéressait aussi dans l’adaptation ?

En fait, oui, j’avais créé justement le blog pour progresser. Pour moi, c’est important de ne pas stagner au niveau des dessins et des cadrages. Dans chaque strip, même si c’est un tout petit peu, j’essaie d’insuffler un petit truc nouveau. C’est mon challenge, des fois, je me dis que dans le prochain strip, il y aura un portrait ou une perspective de fou, ou un décor, oooh ! (rires)

Nous avons effectivement remarqué que dans un de vos strips récents, il y avait un décor urbain (rires)

Maliki, personnage auto-dessiné.
© Maliki/Ankama éditions

Ouais ! C’est le décor qu’il y a derrière ma rue, en fait, car la scène que je voulais raconter se trouvait dans cette rue-là. Je déteste vraiment dessiner des décors, cela me saoûle à un point... Généralement, je suggère des formes, du moment qu’on comprend où se situe l’action, le reste n’est pas vraiment important. Mais bon, là, c’était pour le challenge, et puis, c’était ma résolution 2008, placer au moins un décor.

Avez-vous un lectorat non francophone ?

Alors, je ne sais pas si on peut appeler cela un lectorat car ils ne comprennent rien à ce qu’ils lisent, mais en tout cas ils m’écrivent pour me dire qu’ils trouvent cela joli. J’ai eu pas mal de liens sur des sites ou webcomics américains, et je reçois donc pas mal de courriers en anglais qui me réclament une traduction de Maliki. Des fans s’y essayent sur des forums, ce n’est pas forcément super organisé, donc c’est dur à répertorier. Je ne sais pas encore si mon éditeur prévoit ou non une sortie anglaise, j’avoue que j’aimerais bien.

Vous avez caché votre identité assez longtemps. Ce n’est finalement pas Maliki elle-même qui dessine, c’est quelqu’un d’autre derrière. Etait-ce une crainte, que les gens ne comprennent pas votre relation avec votre personnage de fiction ?

C’était plutôt la crainte de me faire taper pendant les dédicaces, par les pauvres gens qui étaient amoureux de Maliki (rires).

On vous rassure, on vous a pardonné depuis...

Ca va, je m’en suis pour l’instant bien sorti. Pour moi, le concept était très clair, c’était du Gorillaz depuis le début. Au départ, je voulais vraiment jouer le jeu jusqu’au bout et ne pas me montrer du tout. Mais bon, il a bien fallu assurer les dédicaces, je le devais à mon public. Je devais aller à la baston (rires). J’ai donc créé le personnage de Souillon, le larbin de Maliki, qui s’occupe de toutes les fastidieuses taches administratives, éprouvantes.

Le principe d’un blog est de proposer au lecteur de commenter, mais vous avez fermé cette fonctionnalité. Est-ce définitif ?

Pour les commentaires, oui, c’est définitif, car je n’avais pas moyen de tracer qui postait des commentaires. Ce n’était pas assez sécurisé, je ne pouvais pas récupérer l’IP des gens. Donc, si une personne voulait mettre le dawa, il pouvait. Effectivement, quand j’ai enlevé les commentaires, beaucoup de gens ont trouvé cela dommage, moi le premier, mais je ne pouvais plus le gérer. Par contre, j’ai ouvert le forum officiel de Maliki, où pour pouvoir poster, il faut s’identifier avec un email valide, et on retrouve ainsi la convivialité de pouvoir commenter les strips, dans un environnement encadré.

Souillon vainqueur du Prix Animeland 2008 de la meilleure BD au style manga.
Photo © Didier Pasamonik

Les plate-formes de blogs se battent pour attirer les blogueurs à fort trafic. Vous êtes votre propre hébergeur, avez-vous refusé des ponts en or ?

J’ai refusé effectivement quelques propositions alléchantes, des régies pub m’ont proposé d’ajouter de la publicité sur mon site. Je n’ai pas eu de démarchage venant de plate-formes de blog, par contre. Le site est très bien sans pub.

Le blog est aussi un moyen de dire que vous êtes contactable à tel endroit. Cela vous a permis d’avoir été contacté pour votre talent. Comment Ankama vous a-t-il recruté ?

C’est assez hallucinant. Je suis entré en contact avec d’autres blogueurs, Melaka et Reno. Ils voulaient me parler d’un petit jeu rigolo qu’ils avaient découvert sur internet. On y a joué un petit peu, c’était Dofus. Puis nous avons rédigé sur nos blogs une petite note où nous nous mettions en scène dans le jeu. J’ai donné le nom de mon avatar, et quelques semaines plus tard, un petit bonhomme me courait après dans Dofus, qui me disait : "Je suis le patron d’Ankama, veux-tu venir travailler pour moi ?". Je l’ai envoyé balader car je ne l’ai pas cru (rires). Ensuite, il s’est amusé à me téléporter un peu partout, au milieu de gros monstres, me disant que j’allais mourir si je bougeais, du coup, je l’ai écouté, et il a réussi à me convaincre de venir travailler chez Ankama.

Nous parlions tout à l’heure du rythme de parution que vous vous imposiez. Allez-vous soutenir cette cadence encore longtemps ?

C’est la question que je me pose toutes les semaines (rires). C’est un rythme assez éprouvant, surtout que j’ai aussi un boulot à plein temps, mais jusqu’à présent, je m’y suis tenu, car c’est toujours pour moi une manière de progresser de façon régulière, et je sais que si un jour je me dis : "Allez, cette semaine, je ne poste pas", je pourrai très bien dire la même chose la semaine d’après. Donc pas de concession, je compte pour l’instant tenir le rythme, au moins jusqu’à la parution des tomes 2, 3... On verra. Il n’est pas prévu de date de fin pour ce marathon.

Boulet et Souillon au Mercure à Angoulême.
Photo : © Chantal Sok.

Vous êtes passé du web au papier, chez un éditeur, présent au festival d’Angoulême. Avez-vous hâte d’être à l’hôtel Mercure comme les grands ?

Rien que pour voir Trondheim faire tourner sa chemise au-dessus de sa tête (rires), on m’a dit que c’était la seule chose intéressante pendant le festival. À mon avis, il y a quand même d’autres trucs, mais j’hésite, il a été mon modèle pendant un moment, surtout au niveau narratif, et je ne sais pas si j’ai envie de le voir torse poil. Mais finalement, peut-être que j’y passerai rien que pour cela...

(par Xavier Mouton-Dubosc)

(par Thomas Berthelon)

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Cette interview a été diffusée dans l’émission radio "Supplément week-end" du samedi 28 juin 2008

En médaillon : Souillon. Photo : © Chantal Sok.

[1Maliki poste un billet par semaine

[2Disponible le 3 juillet, pendant la Japan Expo. La bande annonce réalisée par Maliki est disponible ici.

 
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